La visibilité & Les représentations

#sitespecific reste un projet à visée sociologique, un outil pluriel qui se concentre sur des interrogations sociétales et environnementales. La question des représentations et celle des pratiques sont intrinsèquement liées à la genèse du projet.

Visibilité sociale

Comment le projet est-il perçu ? Par qui ? Et qui le porte ? Implicitement la question de la la visibilité, puis de légitimité font leur apparition. La visibilité sociale est essentielle à la reconnaissance des groupes sociaux. Une idée que #sitespecific souhaitait aborder, ne se présentant pas comme une association, par conséquent pas comme un groupe mais davantage comme une démarche citoyenne solitaire. Un parti pris qui regroupe intérêt personnel et intérêt général.

La rive gauche rouennaise, patrimoine de l’humilité, IPL, 2019

Il a donc été nécessaire de penser une programmation et le relai d’initiatives, comme nous l’avons déjà indiqué, qui puissent nous amener vers des axes de recherches diversifiés. Les cultures, les questions de société, l’environnement, l’économie sociale et solidaire… Vivre ici, dans ces quartier et communes, comment, autour de quoi, face à quoi, et quelles réalisations, ambitions, perspectives ? Quelle (s) représentation (s)  de nos territoires avons-nous ?

Les représentations

La valorisation de la rive gauche tient, il est vrai, en une volonté de reconnaissance, d’interrogation et de meilleure identification, la valoriser pour qu’on la voit, qu’on la respecte mais aussi participer à la ré-interrogation de la notion de valeur. (Nous reviendrons sur cette notion ultérieurement).

Nous pouvons reprendre les propos de Roger Chartier dans son ouvrage « Le monde comme représentation » (2006) en effet, il intègre de fait dans sa définition des représentations en regroupant sous ce terme « les pratiques » car elles visent à faire reconnaître une identité sociale, à exhiber une manière propre d’être au monde, à signifier symboliquement un statut et un rang. « source

Cet espace de référence qu’est la rive gauche rouennaise peut souffrir d’une image erronée, biaisée politiquement, socialement, historiquement…Une hiérarchisation territoriale malheureuse s’est mise en place, réduisant parfois ces territoires sociaux à des clivages entre les classes moyennes et populaires, à une vision binaire et appauvrie de terres industrialisées.

Sans le massifier, nous parlerons pourtant d’un territoire, complexifié par ses disparités mais aussi complexé par ses propres origines, par son humilité et par ce qu’il croit être un manque d’atouts. Là où nous y voyons des ressources, d’autres y voient un manque cruel d’intérêt, une terre d’ennui voire dortoir alors que, pour nous, l’existant est une mine d’or.

  • Une des raisons à cela se fonde sur la notion de valeur, celle accordée aux ressources existantes mais non valorisées, non activées voire non ré-activées.

Est-ce que cette croyance est partagée entre les pouvoirs politiques locaux et les habitants?

La domination

« Par la visibilité le pouvoir s’assure de son effet », soulignait Deleuze.

Le statut de la rive gauche révèle de multiples crispations. Son rang, dans la dynamique métropolitaine, repose tant sur une complexité de perceptions et d’engagement que sur des paradoxes. Le modèle dominant ne peut s’imposer à tous, chaque territoire ayant ses spécificités, ses forces vives, ses valeurs et ses richesses. Des acteurs sont prioritaires et d’autres sont à la traine mais les enjeux des communes/Quartiers ne sont pas nécessairement des leviers métropolitains.

Toutefois, la domination de la commune de Sotteville les Rouen ne fait quasiment aucun doute sur les communes retenues par le projet #sitespecific (Petit-Quevilly, Grand-Quevilly, Petit-Couronne, Grand-Couronne, St Étienne du Rouvray, Oissel), au même titre que St Sever n’occupe pas la même place que Grammont, île Lacroix et que le quartier St Clément/Jardin des Plantes fait figure de dominant pour les quartiers de Rouen rive gauche. Cette domination nous amène à davantage nous arrêter sur les territoires dits dominés. N’omettons pas néanmoins de souligner que la domination peut être appuyée, aidée par la hiérarchie urbaine car ces territoires ont des valeurs communes à la métropole par exemple. C’est là où le commun devient problématique, de quel commun s’agit-il ?

Pourquoi certains territoires sont dominants ?

Selon #sitespecific, les éléments retenus sont les suivants:

  • Par leur capacité à attirer (pour nous habitants: par leur capacité à se mouvoir, à proposer, à permettre l’autonomie, l’émancipation citoyenne…)
  • Par leur notoriété (image perçue, voulue, territoire identifié, détenteur de patrimoine immatériel)
  • Par leur patrimoine matériel
  • Par leur qualité de vie (cadre de vie, offre culturelle, services, typologie d’habitats, animation, commerces…)
  • Par la perception des habitants eux-mêmes (fierté, attachement, fidélité)
  • Par la reconnaissance et la valorisation de ses actions locales

Certains points sont mis en exergue et choisis comme ligne d’une politique territoriale, c’est souvent le cas du patrimoine matériel, pour son caractère exceptionnel, rare et donc source de distinction car non reproductible.La notoriété a posé ses jalons et agit comme leviers pour bon nombre de territoire ayant pour valeur: le pouvoir.

« Pour faire en sorte que les membres du groupe l’acceptent, le pouvoir doit être traité comme une valeur. Les valeurs de pouvoir peuvent aussi découler des aspirations individuelles au contrôle et à la domination (Korman, 1974) ». source

En reconsidérant les populations comme des vecteurs (déplacements) uniques démultipliés à même de modéliser des ressources, le territoire s’appuie sur son acquis disponible (les habitants) et sur les expériences en cours, en devenir induites par la production de ses habitants/citoyens.

 

Un territoire possède ses spécificités matérielles, immatérielles et symboliques.

 

La typologie de ses habitants fait partie des axes de recherches de #site specific. Prenons quelques exemples, sachant que la part d’artistes sur la commune de Sotteville semble* plus importante que pour les communes de la rive gauche (même si cette remarque nécessite d’être interrogée avec précisions) . Ces derniers participent aux renouveaux des attentes, à la notion de ville créative et peuvent engendrer des gentrifications. La question des derniers arrivés est, en ce sens, très importante également (qui vient, pourquoi, quelles populations ?) quelles seront donc les ressources nouvelles dont disposera le territoire (s’il est en mesure de créer les conditions d’accueil et d’émancipation de ces dernières) ?

Il en est de même pour la domination d’un projet de quartier sur l’autre. Ces situations se produisent parce que les initiatives citoyennes sont le résultat d incarnations. L’octroi de pouvoirs n’est pas sans conséquence, l’empowerment en fait partie. Ce pourquoi, les valeurs de #sitespecific repose sur un systématisme: les initiatives font partie de processus, elles doivent être interrogées et réinterrogées pour ne pas omettre le principal: l’intérêt général, ce qui est pour le « bien public » (Un bien public pur est un bien non rival et non excluable).

La question des enjeux, pour tous projets, est en cela essentielle pour comprendre que le territoire est si spécifique qu’aucun quartier ne se ressemble ni même aucune rue, à tel point que la notion de quartier elle -même est extrêmement complexe à définir.

➸Que vient faire Site specific dans cette signification symbolique ?

  • Observer, analyser, rencontrer pour mieux mesurer les évolutions et degrés de ces significations.
  • Interroger les modalités de perception
  • Évaluer au niveau extra local les traductions des évolutions, mutations et ruptures
  • Prendre en compte l’invisibilité (actions, discours, phénomènes)
  • Accepter la  notion de différence au regard des territoires étudiés et ce qui les constituent socialement
  • Travailler sur la notion de centralité

Un exemple: Petit-Quevilly par le prisme de ses habitants: questionner la mobilisation des résidents de la commune, quels freins, quels dynamismes, quelles attentes, quelles mixités, quelles perceptions et quels degrés d’implication collective et comment se porte l’individualisme? Comment les quartiers se définissant-ils et à partir de quoi ? …

Les notions spécifiques, la ruine comme valeur, IPL, 2019

La distinction

« Il y a donc une visibilité sociale, implicite mais nettement perceptible par le regard sociologique, à laquelle s’ajoute l’ensemble des stratégies de distinction.source »

Bourdieu nous indiquait, déjà, que la visibilité, le vu, dans « La Distinction, critique sociale du jugement » (1979)  est une réalité sociologique indéniable:

« La représentation que les individus et les groupes livrent inévitablement à travers leurs pratiques et leurs propriétés fait partie intégrante de leur réalité sociale. Une classe est définie par son être perçu autant que par son être, par sa consommation – qui n’a pas besoin d’être ostentatoire pour être symbolique – autant que par sa position dans les rapports de production (même s’il est vrai que celle-ci commande celle-là) ».

Invisibilité

« l’invisibilité permet de rappeler qu’une part des actions et des pensées est conçue et exécutée à l’abri du regard de l’autorité. »source Les phénomènes apparaissent en dehors des discours, écrits normatifs et autres traités politiques.

Que viennent livrer les groupes sociaux (associations et autres), les individus (habitants, porteurs de projet…) comme représentations ? Quelles sont leurs pratiques ?  Actions et pensées et quel degré d’invisibilité ?

#sitespecific ne limite pas le devenir d’une proposition à sa fréquentation. La massification tend à rendre invisible les spécificités et à dissimuler des actions locales. Le nombre ne fait pas la force, de plus, l’unité réduit considérablement la marge, la bigarrure et empêche la diversification.

A l’échelle politique, faire converger peut conduire à une diffraction, la mutualisation altère un territoire local car aucun territoire ne se ressemble. Comme pour des ondes, lors de la rencontre avec un objet, l’unité serait cet obstacle au développement, la source d’ une modification voire d’une rupture dans leur diffusion. Ce pourquoi, la valorisation doit se produire à l’échelle humaine, au cœur de micro-territoires sans logique reproductible, sans avoir recours à la norme du système dominant.

#sitespecific poursuit son travail de terrain avec, notamment, une enquête qualitative (entretiens) afin d’interroger la problématique de la perception du fait urbain et des espaces verts.

Les postes d’observation qu’occupent le projet l’invite, régulièrement, à émettre des préconisations et lorsque des disjonctions sont trop flagrantes entre un projet de territoire et ses valeurs, ne serait-ce que dans l’absence de considération des habitants, des populations, #sitespecific rappelle systématiquement la vitale co-construction, ce, dès l’origine du processus projet.

#sitespecific voit, écoute et souligne la vigilance dans la considération des paroles citoyennes, les habitants sont précieux, c’est de cette rareté divisible, de cette transformation de ressources mésestimées, que les territoires pourront produire et galvaniser leur richesse humaine spécifique.

Valoriser c’est aussi prêter attention, accepter de s’arrêter dans ses réflexions. Partir à la rencontre pour se mettre en route vers des lieux étrangers, rares et intangibles.

 

Isabelle Pompe pour #sitespecific le 28 novembre 2019.

 

 

 

Publicité

Perception du territoire

Percevoir se définit par le fait de saisir quelque chose par les organes des sens, discerner, parvenir à connaître, à distinguer. La perception pourrait être une idée plus ou moins nette de quelque chose. Alors ce territoire, comment est-il perçu, sous quel aspect se présente-t’il?

Quels visages ?

Résidente, depuis octobre 2015, du Petit-Quevilly, je réalise et continue de mesurer une absence de « fierté » ouvrière de mon territoire d’habitation par rapport aux messages/images que la commune « emploie » pour se donner une pluralité de « visages ». La politique du maire, en matière communicationnelle, est un vecteur d’image très puissant. C’est par le déploiement de sa stratégie de communication que nous pouvons comprendre les mécanismes d’une stratégie globale. Si la visibilité de ce territoire se constitue avec une absence de relai mémoriel et sans valorisation d’un existant, nous pouvons nous demander ce qui soulève un intérêt plus important.

La Valeur travail

Dominique Royer, en 2002, pour « Qu’en est-il de la « valeur travail » dans notre société contemporaine ? » Précise que « L’homme est un être vivant et, de ce fait, il agit. C’est une activité de pensée, de réflexion, de contemplation ou de création. C’est aussi une forme de rapport de l’homme au monde jusqu’à l’activité de transformation du milieu social ou naturel. »Source

L’intégration par le travail est économique, symbolique et sociale :

  • économique car elle autorise l’insertion et la participation au travers d’activités de production et de consommation ;
  • sociale parce qu’elle entraîne la constitution de liens sociaux par l’inscription dans des groupes ;
  • symbolique par les normes et les valeurs communes qui sont construites socialement.

« Le travail occupe une place essentielle dans nos sociétés, même par son absence. C’est une des bases de l’économie. C’est la source principale des revenus qui autorise l’accès à la consommation. C’est aussi la voie principale de l’insertion sociale. Le travail structure des catégories professionnelles et des pratiques collectives. Dominique Royer

Si je m’en tiens à la communication de ce territoire, je ne vois guère apparaître le patrimoine ouvrier par exemple. Le travail est un élément structurant mais il ne semble pas être perçu comme vecteur d’un patrimoine. Il occupe, par ailleurs, une place maîtresse dans nos sociétés. Localement, peu de réhabilitations, hormis le bâtiment de l’ancienne filature de la Foudre, ont été réalisées. Dans le même temps, il s’agit bien du site au regard de son édifice et non des personnes qui y ont travaillé qui sont mises en valeur par cette légitimation nouvelle.

La notion de patrimoine

Cette singularité territoriale est suffisamment créatrice de distinction pour constituer un patrimoine. Le patrimoine culturel se définit comme l’ensemble des biens, matériels ou immatériels, ayant une importance artistique et/ou historique certaine, et qui appartiennent soit à une entité privée (personne, entreprise, association, etc.), soit à une entité publique (commune, département, région, pays, etc.).

Cet ensemble de biens culturels est généralement préservé, restauré, sauvegardé et montré au public, soit de façon exceptionnelle (comme les Journées européennes du patrimoine qui ont lieu un week-end au mois de septembre), soit de façon régulière (château, musée, église, etc.), gratuitement ou au contraire moyennant un droit d’entrée et de visite payant.

  • Le patrimoine dit « matériel » est surtout constitué des paysages construits, de l’architecture et de l’urbanisme, des sites archéologiques et géologiques, de certains aménagements de l’espace agricole ou forestier, d’objets d’art et mobilier, du patrimoine industriel (outils, instruments, machines, bâti, etc.).
  • Le patrimoine immatériel peut revêtir différentes formes : chants, coutumes, danses, traditions gastronomiques, jeux, mythes, contes et légendes, « petits métiers », témoignages, captation de techniques et de savoir-faire, documents écrits et d’archives (dont audiovisuelles), etc.

Le patrimoine fait appel à l’idée d’un héritage légué par les générations qui nous ont précédés, et que nous devons transmettre intact ou augmenté aux générations futures, ainsi qu’à la nécessité de constituer un patrimoine pour demain. On dépasse donc largement la simple propriété personnelle (droit d’user « et d’abuser » selon le droit romain).

 

Il relève du bien public et du bien commun

 

Demandons-nous si notre patrimoine ouvrier relève du bien public et du bien commun? Est-il de l’ordre de l’intérêt général de savoir, de connaître le passé industriel d’une commune ? Lorsque nous prenons conscience des conséquences en termes de santé publique et de sécurité civile que soulève cette présence industrielle forte, nous pouvons affirmer que cette « existence chimique, pétro-chimique et pétrolière » relève de l’intérêt général.

Petit-Quevilly est cet espace de référence fait de pierres et non de paroles, peu d’échanges et donc peu de transmissions, peu de partages de ces « humanités » prennent forme. La commune ne propose guère à ses habitants de se rencontrer. Si l’on se réfère aux mutations engendrées par la notion de gouvernance, qui vont jusqu’à impacter l’intégralité des politiques publiques en replaçant au centre le citoyen, je me demande où se situe ce territoire et s’il n’est pas lui-même « détaché » des évolutions de mentalités.

Les risques ?

Vivre déconnecté des changements c’est s’assurer d’un retard quant à l’attractivité de son territoire, c’est aussi se garantir un défaut d’autonomie citoyenne, gage d’une émancipation. Confirmer que le repli est toujours à l’œuvre et conserver le contrôle et donc entretenir une certaine méfiance des citoyens que l’on perçoit encore comme des usagers et non comme partie prenante. « Penser à leur place » est aussi le meilleur moyen de se couper des populations.

L’oubli, la disparition de cette mémoire ouvrière, et la perte de singularité de la commune sont des risques non négligeables. Avec l’ignorance des habitants et le désaveu de la commune, comment « vit » cette histoire? Comment est-elle traitée et archivée, comment est-elle transmise, comment se régénère-t’elle et à partir de quoi, de quand, l’histoire officielle de la commune est jugée acceptable, transmissible?  Plonger ce territoire d’habitation dans le grand bain inoculant et aveugle de la méconnaissance c’est aussi mépriser ce qui le distingue.

 

Petit Quevilly Salesse.jpg

Enfants dans la cité UNAN- Petit-Quevilly, Novembre 1952, Henri Salesse

Gouvernance & Marketing

Le vocable gouvernance exprime la manière de conduire les affaires d’une entité. Dans le cadre d’une organisation, la mise en place d’une gouvernance digne de ce nom implique une définition précise du processus de décision et des parties prenantes impliquées pour la question du pilotage.

C’est un concept représentant la manière dont un domaine d’activités est gouverné. La gouvernance renvoie à un système d’entités décisionnelles qui dirige un certain domaine d’activités, autrement dit à un « système de gouvernance », impliquant notamment une structure de gouvernance et un dynamisme de système (processus de gouvernance, activités de gestion, etc. Attention toutefois à l’usage parfois contradictoire qui est fait de ce terme, nous pourrions isoler les trois étapes d’une gouvernance démocratique comme suit:

  1. Vérifier régulièrement la pertinence (qui la définit?) et la permanence du projet.
  2. S’assurer que l’action menée est conforme au projet, et en mesurer l’impact.
  3. Conduire l’action conformément aux règles établies en commun.

 

MARKETING TERRITORIAL

Pourquoi cette commune ne crée par d’instances participatives, ni ne permet pas, par le biais, de lieux physiques des espaces de paroles citoyens ? Avec sa géographie particulière et son absence de centralité, comme nous l’avons déjà évoqué, Le Petit-Quevilly, donne à comprendre et à recevoir une image de ville déconnectée de son passé lorsque celui-ci nous est compté. Car dès la découverte de cette commune, lors d’une promenade physique ou virtuelle, nous ne percevons pas son histoire. Il n’y a pas de plaque, ni de musée de l’industrie, rien ne vient commémorer ce lien, pourtant très fort entre ce territoire, ses habitants et ses usines.

En pleine interrogation quant au marketing territorial, je me suis demandée s’il ne s’agissait pas d’une image non désirée par la commune.

« Le marketing territorial désigne la manière dont les pouvoirs publics utilisent les techniques de la publicité et de la communication, issues du monde de l’entreprise, pour promouvoir leurs territoires. Ces pratiques existent à toutes les échelles, depuis la promotion d’une petite commune à celle d’un État. Le but est d’attirer des populations jugées désirables, des investissements, des entreprises, ou tout cela à la fois. « Source

Les supports (affiches, spots publicitaires, sites internet) sont des indicateurs indispensables pour la compréhension d’une stratégie de marketing territorial. Nous pouvons comprendre le positionnement de la commune, les cibles visées et appréhender la notion d‘image voulue.

 

STORY TELLING

Le storytelling, c’est l’art de raconter des histoires (et de les écouter), son but: convaincre et persuader, de manière objective, donner confiance. L’idée étant d’attirer – reprenons les termes issus de la définition du marketing territorial  – » les populations jugées désirables, des investissements, des entreprises« . Comment construire une image en -dehors d’une histoire véritable?

Pour commencer, nous avons noter qu’il ne s’agit pas d’activer voire de réactiver les ressources spécifiques d’un territoire comme ici avec notre passé industriel mais de capitaliser avec des ressources à même d’attirer l’extérieur (capitaux comme habitants).

« Le paysage est l’un des supports les plus courants du marketing territorial, d’autant qu’il peut servir de support à un discours orienté dans le sens voulu : éloge de la lenteur, préservation du patrimoine et perpétuation des traditions (dans le cas d’une campagne de publicité pour la région Bourgogne), ou au contraire hyper connectivité, dynamisme économique et insertion dans la mondialisation (en particulier lorsque le public ciblé sont les investisseurs et les entreprises).

  • SEINE INNOPOLIS

« Situé au sud de la métropole rouennaise, le pôle d’excellence Seine Innopolis accueille sur près de 10 000 m², dans un ancien bâtiment industriel inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, les entreprises dédiées au numérique. » Source . C’est ainsi qu’est décrit, dans les premières lignes, ce projet, vous remarquerez que la situation géographique est pour le moins vague.

Il se présente comme  le pôle des technologies de l’information et de la communication et a ouvert ses portes en centre ville en 2013. Mais est-il ouvert à la population? C’est avant tout un programme immobilier qui se compose davantage de bureaux (open space, espace de co-working), de salles de réunion et espaces communs, des services et de locaux de stockage et techniques. L’accès y est sécurisé.

 

  • Interrogeons la recherche et le secteur public?

« La Normandie se classe parmi les dernières régions métropolitaines…La recherche est essentiellement porté par les entreprises privées… »

  • SEINE INNOPOLIS & son offre

Screenshot_2019-04-11 Pôle numérique Seine Innopolis - Rouen Normandy Invest

Startup, innovation, R&D, réseau de formations avec les campus universitaires, écoles d’ingénieurs et de commerces…

  • Quel degré de proximité avec les habitants? 

Observons les niveaux de diplômes selon l’âge au niveau national puis en Seine-Maritime avec les derniers chiffres de l’INSEE ( 2015.)

 

Au niveau national, nous pouvons remarquer que pour les 25/49 ans, la part globale du supérieur (court + long) correspond à 40, 3 % et que la part qui correspond à l’ensemble (de 25 à 65 ans et plus) est de 25, 9 %. La part de ceux qui ne possèdent pas de diplôme, brevet, CAP/BEP et Bac est de 64,7%.

  • Que disent les chiffres du département de la Seine-Maritime ?

La part des titulaires (dans l’ensemble) d’un diplôme de l’enseignement supérieur âgé de 15 ans et plus est de 23% sans distinction (court ou long). Celle des « sans diplôme, CAP/BEP et titulaire du BAC » est de 77%.

Screenshot_2019-04-11 Pôle numérique Seine Innopolis - Rouen Normandy Invest(1).png

Seine Innopolis est un site qui ne s’inscrit pas de manière extra locale au regard de la population concernée (les habitants) et du quartier populaire au sein duquel il s’ancre.

Enfin ces formes de communications tendent souvent au greenwashing, c’est-à-dire à présenter un territoire comme durable ou respectueux de l’environnement, en dépit des faits.« Source

  • « Petit-Quevilly Village »

 » La commune a entamé la réalisation d’environ 500 nouveaux logements sur un secteur en pleine mutation. Ainsi devrait-on voir, depuis l’actuelle salle des fêtes Astrolabe jusqu’à l’église Saint-Pierre, une déclinaison d’espaces collectifs et semi-collectifs : cours, jardins, square, allées, bandes paysagères… Le long d’une coulée verte desservant les équipements majeurs et symboliques, tels que la mairie, les écoles, l’église et la salle des fêtes. Au total, plus d’un hectare d’espaces verts parsèmera les voies, îlots et rues résidentielles du quartier. »Source

L’objectif :  Redynamiser un quartier et attirer de nouveaux habitants. Il y aura du collectif et de l’individuel, et 20% de logement social », présente Charlotte Goujon, deuxième adjointe en charge des finances, de la politique de la ville, et des affaires scolaires. Le cadre lui-même devrait permettre d’améliorer la vie dans le quartier avec un hectare sur cinq dédié à la voirie, aux aires de jeux et aux allées réservées aux modes de déplacement doux.Source

Un problème de connexion: Entre une réelle scission de ce quartier avec le reste de la commune et la présence immédiate de la SUD III, ce projet soulève quelques interrogations. Il est, en effet, le seul espace où les immeubles n’ont pas impacté le paysage. Il est, à la fois; coupé symboliquement de ce qui caractérise les limites géographiques du Petit-Quevilly et proche de la mairie. Il apparaît comme étant le seul quartier qui pourrait bénéficier d’une nouvelle centralité.

Screenshot_2019-04-10 Google Maps.png

Un problème de santé : « Petit-Quevilly c’est aussi une route à fort trafic qui découpe la commune, la SUD III ▬ « Des chercheurs de l’Inserm du CRESS (Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Paris Sorbonne Cité, Inserm – Université Paris Descartes – Université Paris 13 – Université Paris Diderot – INRA) ont étudié le risque de leucémie aiguë chez l’enfant à proximité des routes à fort trafic ■ Les résultats montrent que la fréquence de nouveaux cas de leucémie de type myéloblastique (418 cas sur les 2760 cas de leucémie) serait plus élevée de 30% chez les enfants dont la résidence se situe à moins de 150 m des routes à grande circulation et qui ont une longueur cumulée dans ce rayon dépassant 260m. » Source

Screenshot_2019-04-11 Mappy - Plans, comparateur d'itinéraires et cartes de France.png

Et vous ?

En tant que citoyens, résidents de ce territoire par conséquent partie prenante de son histoire, avez-vous conscience de votre rôle ? Vous percevez-vous comme des  ressources au regard de votre mémoire, récits et paroles?

Comment vous sentez-vous au sein de cette commune?

Aimez-vous votre territoire? Quels rapports entretenez-vous avec votre commune?

Existe -t’il un lien familial générationnel entre vous et ce territoire? Comment le définiriez-vous?  Est-il proche, sans importance ? Ces questions feront parties du questionnaire bientôt diffusé.

Petit- Quevilly, 1952 Henri Salesse

Henri Salesse, Petit-Quevilly, Novembre 1952

In Situ

Les structures, les politiques publiques activent très peu le passif social et industriel de ces territoires d’inscription. Ces communes doivent leur image, histoire et développement en très grande partie grâce à la place de l’industrie. Elle est cette présence constitutive quasiment identitaire. Mais entendons-nous parler de ces sites au regard de la constitution d’une mémoire collective et ouvrière sur place ?

La commune du Petit-Quevilly semble plutôt assez mal vivre sa situation historique et sociale au point de ne pas parler, de ne pas commémorer et donc de ne pas donner de place à ces particularités. S’agit-il d’un sentiment de honte quant aux industries qui certes sont présentes économiquement mais aussi participent de plein fouet à des pollutions plurielles sur cet espace de référence? Ou alors est-ce l’image disons « prolétaire » qui ne fait provoque pas les « bons bruits » ?

La commune est, il est vrai, sujette à des crispations sociales dans certains de ces quartiers, assortis de l’appellation ZUS (Zone Urbaine Sensible), possède un parc en logements sociaux équivalent à 38%, le trafic de drogue notamment et l’insécurité sont parfois pointés du doigt. Mais, qu’est-ce qui gêne dans cette commune ? Nous pouvons  dégager au regard de la perception soit une « mauvaise réputation » soit une « identité aseptisée » dans le sens neutralisée et perdue au profit de la notion de banlieue/Couronne/ Agglomération.

La banlieue se définit par une zone floue, franche mais indéfinie. Une sorte de non-lieux d’un point de vue macroscopique qui existe grâce à la ville/Métropole autour de laquelle il se constitue. A l’aune de la réforme des espaces de références, la banlieue reste une zone péri-urbaine clivante qui subit son exclusion. Alors, quoi ressentir lorsqu’on se sait résidents d’une commune de l’agglo riche par ailleurs mais dont l’image n’étant pas valorisable pour une stratégie de marketing territorial se voit dissoute, anéantie au profit du non man’s land banlieue et toute sa péjorativité.

Que connait-on de la ville que nos territoires sociaux entourent? A qui appartenons-nous? A Rouen ou à notre commune?

Si nous nous considérons comme rouennais, ne sommes -nous pas déconnectés de notre territoire extra local qui lui possède une histoire très marquée et surtout très différente?

Quel est notre sentiment d’appartenance entretenons-nous avec notre lieu de résidence et, avant cela, que savons-nous de la commune au sein de laquelle nous sommes installés?

Paris & Sa banlieue

« Dans l’intimité de chacune et chacun s’écrit l’histoire de la banlieue à la fin du XXe siècle, une histoire en marge de l’actualité, mais qui depuis n’a pas changé pour les pauvres vivant près de la capitale sans ne rien en connaître. On peut hélas le constater à la projection du film récent d’Olivier Babinet, Swagger. Les deux mondes s’ignorent mutuellement« . Source

 

Ex Nihilo

En partant de rien

Souhaiter attirer une autre population en véhiculant une autre histoire n’est-ce pas un aveu du peu de satisfaction voire de considération des habitants actuels ? Nier leur contribution c’est aussi les ignorer, refaire une histoire, reconstruire une image c’est partir d’un tout qui ne serait « rien ». Une « biographie » de la ville élaborée hors-sol.

Petit-Quevilly possède par ailleurs, une histoire qui s’est construite au fil du temps, d’un temps long, elle n’est pas une cité nouvelle ni une ville conceptualisée à l’instar du Val de Reuil par exemple.

  • Voici plus de 40 ans que la ville de Val de Reuil (ville nouvelle le Vaudreuil) est « sortie de terre » partant de rien, édifiée en pleine campagne, dans la plaine du Vaudreuil, limitée à l’ouest par les forêts de Bord et de Louviers et à l’est par les falaises du Vexin longeant la rive droite de la Seine. Conçu par l’atelier Montrouge avec comme objectif d’atteindre 140 000 habitants en l’an 2000. Cette commune, en 1967, fait partie d’un programme de création de neuf villes nouvelles afin de répondre à des impératifs économiques de décentralisation industrielle et de développement du secteur tertiaire, démographiques et souvent environnementaux décidé par l’État.

 

L’image comme capitulation

L’image comme vecteur du renoncement, comme l’ incarnation d’un abandon de la vraie histoire. Une vision fictive qui interroge la transparence, l’effacement.

L’histoire est pourtant une passion pour beaucoup de citoyens de l’hexagone, une ressource inestimable en termes d’attractivité, alors pourquoi? La hiérarchie du souvenir prime-t’elle ? Existe-t’il une histoire honorable et une autre que l’on préfère ignorer, cacher?  Quelle image est diffusée de notre commune?

Depuis le site internet du Petit-Quevilly, nous percevons une image confuse, des visages floutées, des scènes « brumeuses », les endroits sont reconnaissables mais les « gens » souffrent d’une imprécision.

Voici ce que propose le bandeau déroulant de la 1ère page du site:

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly.png

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly(1).png

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly(4).png

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly(3).png

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly(2).png

Screenshot_2019-04-11 accueil - Ville de Petit-Quevilly(6).png

A la hauteur de la prise de vue répond un éloignement, en toute logique du sol, du concret quotidien et donc loin de la hauteur des hommes. Les sites photographiés sont le CDN – Centre Dramatique National (ancien théâtre de la Foudre), la médiathèque François Truffaut, l’Église Saint-Antoine de Padoue, le bâtiment de l’ancienne Filature de la Foudre (Seine Innopolis), la piscine Tournesol, le parc des Chartreux (jardin des Oiseaux).

L’ impression de voir s’exprimer une « identité communale » qui tient peu compte de ses diversités, il ne s’incarne pas avec des « visages » mais avec des « scènes ». On assiste davantage à une forme d’uniformisation, voire d’atomisation d’un territoire, nous pouvons le regretter car il est le résultat d’une histoire riche car sédimentée.

Pourquoi choisir une autre image de notre territoire?

En quoi, la place des activités industrielles et donc des ouvriers n’est pas ressentie au regard, par exemple, des moyens communicationnels et d’une politique culturelle. Notre territoires social souffre d’une présence ouvrière non légitimée. On entend assez peu parler de cette place très forte occupée par les entreprises de la seine industrielle dans les mémoires et dans les quotidiens. Une sorte de déconnexion entre le l’image voulue, transmise via les services de communication, les discours, les supports de cette commune et celle qu’en ont les habitants. Eux sont reconnus fiers de leur passif, de leur mémoire industrielle et ouvrière.

Avec l’enquête terrain qui se précisera en juin et juillet (questionnaires), je vais tenter de mesurer le degré de fierté, la place de la commune dans l’esprit des habitants et implicitement les formes de liens qui existent entre eux.

A cela s’ajoute une désinformation des habitants quant aux risques auxquels ils sont confrontés historiquement et quotidiennement. Un accès complexe à l’information du, en partie, à une formulation spécifique à grands renforts d’acronymes pourrait se dessiner.

Ceci trouve un écho particulier à ma démarche. On m’estime optimiste dans ma capacité à intéresser et à sensibiliser des personnes qui seraient elles-même non intéressées par ces informations. Est-ce un refus de se sentir concerné? Une crainte? Un aveu d’incapacité à réagir, à intervenir? Auraient-ils baissé les bras? Pourquoi ne pas faire confiance à l’éveil possible d’une conscience collective?

Je reste toujours étonnée par ce sentiment négatif formulé, dès mon arrivée à Rouen, en 2014. Nous verrons bien.

 

Isabelle Pompe, 11 Avril 2019