Hortus Politicus

« De nos jours la végétation, par opposition au minéral, occupe une place importante dans le tissu urbain des villes occidentales. Elle est de plus en plus désirée par les urbains pour leur permettre de supporter la ville, de l’accepter dans leurs pratiques et usages quotidiens. Les espaces verts sont des lieux de détente et de récréation, prisés par les citadins (Emelianoff, 2007; Da Cunha, 2009) » Les espaces verts urbains : étude exploratoire des pratiques et du ressenti des usagers

Vous pouvez consulter notre précédent article sur le  Territoire extra-local & Environnement

« 7 Français sur 10 choisissent, aujourd’hui, leur lieu de vie en fonction de la présence d’espace vert à proximité de leur habitation (UNEP/ Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 2008)« .

#sitespecific a organisé son 1er atelier consacré à la problématique de la « faune et de la flore en ville » le 27 juillet 2019 dans la commune de Petit-Quevilly.

Un jardin est aussi un miroir à plusieurs facettes dont celles des politiques locales et environnementales des communes mais également celles d’une nature humanisée dans sa gestion, d’une société dans ce qu’elle saisit comme enjeux.  C’est ce qui est spécifié par ce titre, Hortus Politicus – Jardin politique dans l’esprit de l’émission de France Musique « Musicus Politicus » car à l’instar de la musique, tout jardin pourrait être politique.

 

Prévenir est plus efficace que guérir

 

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Une vue du jardin du Cloître //  Petit-Quevilly

Atelier ‘ Specific

Ces propositions de rencontre résultent d’interrogations sur les liens entre le vivant et les urbains. Elles participent à cette ambition de reconquête d’un territoire commun. La biodiversité est au cœur des questions environnementales. Agir pour la biodiversité autour de nous fait partie des objectifs premiers du projet #sitespecific.

Les quelques principes de ces ateliers

  •  Fonctionner « in situ »
  • Questionner, conjointement, les espaces verts publics.
  • Discerner les qualités et les défauts pour se remettre à la biodiversité.

Atelier’ Specific # 1

Préambule

« Abordons ensemble la faune et la flore, en ville, dans nos parcs & jardins comme celui de la Chartreuse Saint-Julien de Petit-Quevilly. Ce dernier, ponctué de plantes médicinales, condimentaires et de fruitiers, s’étend sur plus de 9000 M² et propose également un parcours historique. »

  • Un exercice collectif sur la question de la perception.
  • Un temps de rencontre pour confronter les regards, les points de vue, inviter à réagir.

 

« Choisir la voie du mieux »

 

Modalités

A partir d’un partage d’expériences, ce 1er RDV souhaitait interroger les conditions d’existence de la faune et de la flore en ville, ce, en nous installant au sein d’un jardin de la ville de Petit-Quevilly. Ensuite, se pencher sur la conception de cet espace végétalisé et sur les possibles qui lui sont offerts pour être « habité », être « approprié ».

« Site specific conçoit le jardin public comme un espace d’accueil parfaitement adapté aux questions environnementales et sociétales. De plus, un jardin c’est aussi prendre le temps d’observer, tenter et réessayer, en ce sens, où il doit être perçu avec le souci de l’effort continu, tel un processus qui ne s’interromprait pas.

Questions

  1. Comment un espace vert se fait miroir, écho de notre gestion de sa préservation ?
  2. Quelles « libertés » sont offertes, par un lieu public végétalisé, aux espèces animales/ Végétales ?
  3. Qu’en est-il de l’adéquation voire de l’inadéquation des espaces végétalisés aux variations climatiques ?
  4. Quelles conséquences de celles-ci sur la faune et la flore?

La Notion de BIODIVERSITÉ HEUREUSE

Cette idée a émergé avec les jardins de Chaumont- Sur- Loire et l’ édition 2011 du festival international des jardins. Le principe étant de « redonner la parole aux plantes » au sens politique, en particulier, du terme. Par le fait, la ville, la rue et les espaces publics végétalisés sont des territoires citoyens. Ces jardins contribuent à la vie d’un quartier.

Le déroulé de la visite

Depuis une vue d’ensemble et grâce à une circulation dans les allées, nous partons à la recherche de ce jardin, de son histoire, de son inscription dans la commune à son contexte historique et son ancrage territorial local. Quels sont ses publics ? Quelles visions globales en avons-nous ? Quelles faunes et quelles flores sont présentes ? Quel est l’état de cet espace vert ? Quelle est sa condition au regard de son entretien ? Quelles indications sont spécifiées ? Pouvons-nous rapporter des « souffrances végétales » ? Quelles remarques pouvons nous formuler et à partir de quels constats ? Quelles améliorations ? Quelles suggestions ?

Les éléments à prendre en compte:

Depuis le tri pour les poubelles, jusqu’à l’hôtel à insectes, en passant par les mangeoires/ abreuvoirs à oiseaux et autres possibilités permises pour la nidification, nous noterons les pistes empruntées ou à explorer pour ce jardin. En outre, nous listerons « les fonctionnalités » offertes/promises ou possibles (dans le sens à développer).

Pourquoi ?

Dans les zones urbaines, la nature a besoin de nous pour survivre, ce pourquoi il convient d’être solidaire et impliqué.Il est important d’abriter la faune sauvage en ville et de créer les conditions de sa préservation.

« En introduisant de la végétation en ville, en aménageant et en gérant les espaces verts, on influe sur les pratiques existantes comme le démontre Abbara (2002) ou Arrif (2007). »

Les observations directes

  1. Absence de tri sélectif pour les poubelles
  2. Absence de récupérateur d’eau
  3. Absence de composteur- Collectif &/ou associatif de quartier- (recycler et composter sur place pourrait permettre au sol et donc aux plantes un meilleur développement et une plus grande résistance)
  4. Absence de Lombricompost (déchets verts et biodéchets)
  5. Absence de composteur pour déjection canine -(Une solution gratuite et écologique, de l’engrais, un jardin et un verger assaini et des avantages au niveau agronomique).
  6. Absence d’hôtel à insectes
  7. Absence de mangeoire, abreuvoir.
  8. Absence de ruche
  9. Présence de bacs mais absence de verdissement collaboratif – (ils se trouvent derrière une haie à l’entrée côté droit- Un endroit idéal pour insérer des composteurs puisque c’est caché.) Ces trois bacs pourraient être déplacés et rejoindre un espace plus accessible.

Nous pouvons impulser l’idée d’une intégration possible d’un volet expérimental voire d’une parcelle dédiée à un essai de régénération naturelle.

Le compost est un amendement organique contribuant, s’il est épandu à intervalles réguliers, à améliorer les caractéristiques du sol :

  • Amélioration de la structure du sol : effet mulch (protection du sol, lutte contre l’érosion…), stimulation de la vie microbienne et amélioration de la prospection racinaire
  • Augmentation de la capacité de conservation en eau
  • Minéralisation des sols

Par ailleurs, il est à retenir que nous assistons à un déclin du moineau des villes fautes d’insectes.

Source Défi Écologique- Article « 10 oiseaux que l’on rencontre en milieu urbain » de Julien Hoffmann

  • La présentation des espaces

La structuration du site se développe autour d’ allées et de la valorisation d’un patrimoine matériel spécifique, le Cloître.

Il est remarqué que « le dessin paysager de cet espace fait davantage penser à un jardin de musée où marcher sur l’herbe serait interdit, ceci serait accru par la présence de petites dalles (pas) blanches intégrées ».

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Le jardin et son allée principale, une vue des petites dalles.

Conçu comme une cour carrée, cet espace végétalisé se vit de manière géométrique, divisé voire subdivisé en allées et contre-allées. Ce dessin pourrait donner l’impression d’une circulation qui s’effectue suivant une logique de « courant avec des sens de circulation » ou encore d’allées majeures et mineures.

  • Une impression de circuit

« L’aménagement et la composition de l’espace sont de puissants organisateurs des flux qui, en définitive, ne changent qu’en termes de vitesse des parcours empruntés et de sens de rotation des itinéraires de promenade.« source

 

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Les contre-allées

L’imposant Cloître fait s’adosser la promenade à son histoire, à son rythme. Les couleurs neutres et ocres contribuent à un effet calmant voire neutralisant. « L’imposante bâtisse pourrait-elle être végétalisée ? Ne serait-ce qu’au niveau de ses toits? « Les toitures végétalisées participent à la gestion de l’eau et peuvent représenter une surface non négligeable pour vie plus sauvage. 

La palette chromatique de cet espace végétalisé varie du vert, jaune aux rose, blanc et violet installant une notion de cadence. « Les espèces choisies sont -elles suffisamment diversifiées ?  »

Une des allées qui longe le cloître

Le type d’espace vert conditionne fortement les pratiques et les usages qui en sont faits (Alonso et al., 2002).

Sur les abords des allées, nous rencontrons un mobilier composé de table en pierre sculptée qui pourraient permettre à la faune de se désaltérer. Cependant la pureté et la fraîcheur de l’eau donnée aux oiseaux est quelque chose de primordial. Il convient de donner une place importante à la qualité de l’eau donnée aux oiseaux. (La consommation moyenne d’eau est de 20 à 25 ml par 100g de poids corporel). La pollution de cette dernière est à prendre en compte car elle engendre des maladies. Par chance, il y a également les verdures ou fruits qui apportent énormément d’eau.

Une vue depuis une des trois allées majeures

Le sol du jardin ne laisse planer aucun doute quant à sa souffrance. Il est brulé, peu d’espèces émergent de ce dernier (1er plan). Nous pouvons, par ailleurs, constater que les pommiers implantés sont encore jeunes et peinent à produire de l’ombre. Nous apercevons deux « petits » pommiers » morts déjà atteints par la chaleur de l’été 2018.

L’état du sol du jardin

Cette étendue d’herbe produit soit une impression d’espace libre permissive pour les jeunes publics, soit une sensation évidée d’un terrain au sein duquel peu d’intimité est possible, sur lequel, l’envie de s’asseoir demeure relative. De plus, les déjections canines (les chiens sont interdits dans le jardin) viennent ajouter leur désagréments. A la verdure absente s’additionne l’inconfort de l’assise.

« Le ressenti positif des habitants envers les espaces verts n’est pas homogène. Il change d’une personne à l’autre, mais aussi pour un même individu selon le moment, la saison ou l’espace vert. S’il faut rester conscient de cette diversité, de grandes tendances peuvent être identifiées. » source

« Les gens ont envie de se poser, pourquoi ne pas installer des transats ?  » « L’environnement végétal joue à l’occasion le rôle du substitut de destination, le moyen d’être, sporadiquement, vacanciers ou touristes. » source

Au fil de cette déambulation, nous remarquons un mobilier caractéristique ainsi que la création d’ilots.

  • Les caractéristiques des « ilots de convivialité »

A la fois, lieu de rencontre, espace pour s’asseoir, lire, se poser, l’espace d’agrément végétalisé est source de bien-être.

nous pouvons ajouter que l’absence de table limite les autres possibilités. Un espace gagne à être réfléchi afin d’être multiple, pluriel au regard des activités et appropriations possibles. De surcroît, les zones d’ombres sont elles aussi peu nombreuses ce qui peut accroître le manque d’appropriation ou encore le peu de temps passé par les publics. Les sièges sont régulièrement vides lors des journées ensoleillées ou pluvieuses.

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Les ilots du jardin

Floriculture

Les espèces présentes au cœur de ce jardin s’étirent du rosier buisson, en passant par quelques plantes mellifères y compris les onagracées (gaura), Lamiacées (sauges) à l’exception du tournesol, de l’ail des ours, Nepeta et Souci par exemple. Pour ce qui est des arbres, les pommiers, cerisiers sont présents en grand nombre.

  • Plantes mellifères (riches en nectar, en pollen et en miellat) : les cultiver c’est assurément faire un geste pour la planète, car grâce à elles, les insectes butineurs assurent la pérennité des espèces. Elle favorise la biodiversité.
  • Les papillons jouent un rôle essentiel dans la pollinisation, pour qu’ils se plaisent il faut bannir tous produits chimiques et accueillir des plantes mellifères, aromatiques, lavande, asters…
  • Les oiseaux demandent un jardin tout simplement un jardin très diversifié avec des haies vives, des arbustes à baies et des plantes à graines (Amarantes, Œnothères, Cosmos).

Les flore requiert des soins tels que la taille (couper les fleurs fanées), il faut stimuler la vigueur des plantes, arroser régulièrement (de préférence le matin tôt ou le soir) pour que les plantes se refassent une santé. Les arbres, arbustes et vivaces plantés récemment ont besoin d’être arrosés régulièrement. De plus, un sol en bonne santé est indispensable au bon développement des plantes.

 

« La fleure c’est de la pure poésie » François Morel

Les fleurs, pour les passionnées de leurs formes, parfums et couleurs, sont relativement peu représentées. De plus, la fleur apporte de la féminité au jardin.

 

Capture d’écran du livre  » Le nouveau jardinier fleuriste » Hippolyte Langlois – Gallica

 

  •   Les états de la flore

Depuis une des allées, nous constatons l’impact de la sécheresse sur les arbustes et les haies. les charmilles sont en difficulté.

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Deux arbustes semblent morts, non loin de l’espace de jeu. Ils ont été plantés au sein d’un endroit non ombragé d’où l’importance majeure à accorder à la résistance des espèces et aux choix des emplacements. Il est toujours dommage de voir la nature aussi exsangue. Par ailleurs, ces arbustes avaient du paillage aux pieds, ce qui peut contribuer à les protéger.

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Soleil et végétation

Revenons un instant sur un plan du jardin déjà aperçu en amont, nous pouvons remarquer une importante branche morte qui correspond au tiers d’un arbre. Les effets de la canicule et de la sécheresse se font sentir de manière directe.

Une rudesse climatique qui se fait sentir dès la scène d’ouverture du jardin, ici, au premier plan. Les haies assez basses bordent la route avec, en arrière plan, les immeubles limitrophes à ce territoire.

Séquence d’entrée du jardin

Le long des murs, plus en aval de la visite, s’installe une flore sauvage très prisée. Au cœur des massifs, place aux espèces autonomes.

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  • Les possibles

Avec les fruitiers (pommiers et poiriers) , nous pouvons facilement envisager l’idée d’une cueillette ou l’organisation de manifestations en lien avec ce type d’arbres afin de créer de la vie de quartier. Ce jardin implanté non loin des écoles pourraient également permettre l’initiation aux actions de sensibilisation pour la valorisation, la conservation, le tri, la lutte contre le gaspillage, les biodéchets et surtout légitimer la transmission nécessaire de cet héritage naturel en direction des jeunes générations.

  • La faune représentée

En cet après-midi, après la découverte de « longues routes » formées par les fourmis, nous remarquons la présence de quelques pigeons, corbeaux et, à l’oreille, assez peu d’autres oiseaux sont présents en cette période, pourtant de nidification « intensive ». A cela, nous croisons les divers trajets de bourdons.

La faune en action

  • L’accès à l’information et la valorisation des espaces

A cet espace vert se greffe l’histoire du lieu qui doit son existence à la présence, dès le 17 ème siècle, de plusieurs confréries de moines à Petit-Quevilly. C’est en 1667 qu’arrivent les Chartreux sur la commune. Au sein de ce jardin, se sont 12 cellules pour les 12 moines comme 12 pierres en granit. Cet aménagement a été réalisé en 2013 « dans un style médiéval et épuré », un jardin pensé comme un « voyage dans le temps ». Qu’en est-il de la valorisation de cette histoire ?  plusieurs bornes, panneaux et autres cartels se succèdent pour compléter notre connaissance.

Grâce au travail du service des archives de la commune, l’accès à l’information peut se faire de façon assez détaillée depuis internet et l’onglet chartreuse st Julien. 

En outre, vous pouvez découvrir que la Chartreuse a pu bénéficier d’une visite virtuelle malheureusement inaccessible aujourd’hui (le lien renvoyant vers un message d’erreur), par contre, pour compléter, un plan de la chartreuse saint-julien est consultable.

La question des cartels permet d’obtenir des éléments de détails historiques à même de nous projeter dans le quotidien des moines. Leur simplicité est appréciée, toutefois, l’absence d’élément numérique est relevée. C’est aussi en raison de la prolifération des nouveaux outils et des process de numérisation de la documentation que cette réflexion trouve sa raison d’être. En revanche, il est vrai que ces données pourraient satisfaire les curieux soucieux de précisions voire de reconstitutions virtuelles.

Un plot cartel

  • Les autres espaces

 

D’autres univers semblent avoir existé néanmoins le visiteur s’en tient aux grilles et vues qui s’en dégagent sans pouvoir bénéficier d’indications.

 

 

 

Ce bâtiment/maison condamné mais rénové voit son accès fermé par une grille extérieure. Cet ensemble rejoint la rue Victor Hugo. Cet espace vert clôt pourrait bénéficier aux initiatives sociétales du type « jardins partagés ».

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  • La perception de propreté

« Parmi les tendances fortes du ressenti des habitants envers les espaces verts collectifs, la conception d’une nature propre et maîtrisée est très forte. Comme le note Boutefeu (2007), « si le parc est un endroit calme, il est aussi assimilé à un lieu propre sans déchet ni pollution ». Le critère de propreté apparaît en effet sans équivoque dans 69 % des réponses étant ainsi le premier critère d’évaluation de la qualité d’un espace vert pour les habitants. » source

Le problème que rencontre le jardin de la Chartreuse Saint-Julien tient en la surreprésentation des déjections canines. Celles-ci jonchent le sol herbeux, elles pourraient être compostées!

« Comme composteur,  peuvent être utilisés les silos du commerce soit être construit avec des planches de bois ou du grillage en prenant garde à bien laisser le fond du bac à compost en contact avec le sol car c’est une source directe de micro-organismes (comme les vers de terre) indispensables à la réussite du compost. L’astuce étant d’avoir plusieurs compartiments (minimum deux) à compost afin de pouvoir le retourner aisément. Pendant qu’ un bac terminer sa fermentation en compost, il convient de remplir le second et ainsi de suite !

  1. Choisir un endroit à l’ombre
  2. Creuser une tranchée de 20 cm de profondeur et d’une largeur correspondant à la quantité de déchets souhaités.
  3. Couvrir de paille ou d’un plastique noir et maintenir humide comme pour un compost normal. source

Le temps 2 de l’atelier 

Puis, nous partons à la découverte comparative depuis le square Marcel Paul, situé tout près, afin de « mettre en pratique » nos commentaires. Après avoir apprécié et pris en compte un certain nombre de paramètres du type « comment nous sentons-nous au sein de cet espace ? « , « quel effet produit-il sur nous ? « , « comment pouvons-nous nous l’approprier ? « – Nous rejoignons cette deuxième proposition d’espace vert quevillaise.

  • Le square Marcel Paul

Une photo du square prise le 16 mai 2019

C’est avec la prise en compte de la nécessité de la comparaison que nous poursuivons notre exercice critique. Comment les espaces sont-ils accessibles ? Quels types de végétation ? Quels publics ?

Le calme ambiant et l’ombre offerte par les marronniers viennent amener une autre question: Par rapport au jardin du Cloître, quelle est la grande absente de cette scène ? La voiture. En effet, cet espace est conçu comme une enclave, un peu en dessous de la route et au-dessus du trottoir, de sorte que vous ne pouvez qu’apercevoir les voitures qui sont garées. L’impression de sécurité et la sensation d’intimité sont immédiates.

« L’espace vert se définit alors en termes de calme, de lutte contre le bruit, de relaxation, de détente, etc.  » source

  • La notion de contrôle de la végétation

Alors que nous l’avons vu en amont, une nature maîtrisée fait partie des tendances fortes, ça l’est aussi parce que  » l’absence de contrôle de la végétation est rejetée ». source  

La commune de Petit-Quevilly a mis en place la gestion différenciée de ses espaces, gage d’économie, certes les tontes et l’entretien des jardins et parcs laissent davantage de place à quelques libertés, cependant, nous sommes encore loin des prairies fleuries, des parkings, clôtures, pieds d’arbres (en ville), murs et toitures végétalisés, pas encore de semis de prairie, de prairie  naturelle ni de valorisation des herbes folles…De plus, sont encore utilisés des souffleurs de feuilles à moteur et un nettoyage des trottoirs est encore réalisé, ce, de manière, non mécanique. Vous pouvez lire l’article consacré à Petit-Quevilly & les feuilles mortes

  • Ce mode de gestion des espaces verts est une pratique courante dans les pays d’Europe du Nord, en France, celui-ci a pris de l’ampleur réellement lors du colloque européen du 24 et 25 octobre 1994 à Strasbourg « Vers la gestion différenciée des espaces verts » – Article courrier de l’Environnement de l’INRA
  • INRA (Institut National de la Recherche Agronomique
  • Le département du Tarn en partenariat avec la CAUE (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement) du Tarn ont publié un guide-gestion-differenciee-des-espaces-verts-et-naturels

A ce titre, une gestion éco-responsable pourrait être envisagée car elle possède un impact environnemental et sociétal supérieur. C’est la garantie d’une réduction des pollutions visuelles et sonores pour les usagers et habitants, mais c’est aussi un formidable outil pédagogique et de sensibilisation du public.

Contexte météorologique de l’atelier

  • Une météo spécifique: les canicules

Juillet

« L’épisode caniculaire qui va se renforcer jeudi nous invite à réfléchir du point de vue de nos territoires extra locaux: nos quartiers comme nos communes de la rive gauche rouennaise. Depuis la non adaptation en termes d’isolation de nos logements, de nos bureaux, l’inadéquation des espaces, le manque de verdure dans nos rues et quartiers… Quels choix ? Quelles préventions? Quelles gestions des situations ? Quels dégâts et quels constats ? Prenons un temps pour partager nos expériences de cette traversée caniculaire. Commençons lors de notre Atelier’ Specific # 1!  » – Post Facebook de la page Site Specific.

La France connaît un été 2019 très chaud avec déjà deux canicules au compteur. En juillet, ce sont surtout les villes de l’ouest, du nord et de l’est de la France qui ont vu leurs records pulvérisés.

Juin

« La canicule européenne de juin 2019 est une période de chaleur estivale inhabituelle et exceptionnellement précoce qui affecte l’Europe en fin juin-début juillet 2019. Elle survient seulement onze mois après la canicule de juillet-août 2018 ».

  • Les particularités du calendrier

La question de la date fut posée. En tenant à respecter, a minima, un RDV par mois, fin Juillet s’imposa naturellement. Il est vrai que cette date estivale, propice aux vacances qui plus est, ancrée en fin de mois, et très peu de temps après cette journée historique de jeudi, a pu s’apparenter à un défi au regard du déplacement des participants. (2 inscrits et 4 intéressés ont décliné).

Petit-Quevilly

  • Attachement  & Ancienneté de présence

Cette notion a déjà été questionnée sur ce site, il n’en demeure pas moins qu’il semble nécessaire de l’explorer, un tant soit peu, encore aujourd’hui. C’est en partant du principe qu’un espace est public, dans le sens où, tous, nous pouvons nous l’approprier, que nous avons parcouru ce jardin. Et c’est avec cette du tous que nous avons, très tôt, butés.

Au fil de cette rencontre, il est apparu une difficile communication basée sur un défaut d’écoute et de compréhension des enjeux de cet atelier ainsi qu’une persistance des jugements de valeur et des généralisations (« les gens »). Par ailleurs, nous ne sommes pas sans savoir que cette commune cristallise une vie politicienne complexe à même de donner à comprendre les différents types d’ attachement.  En effet, au delà de la mémoire familiale, ouvrière, les schèmes de l’attachement traversent les histoires des habitants de cette commune. Pour autant les autres regards, « les neufs », « les découvreurs » ont peiné à être légitimés, sacrifiés, ou presque sur l’autel de l’ancienneté de présence sur ce territoire. Théorie de l’attachement – Source CAIRN

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Jardin du Cloître – Atelier ‘ Specific # 1 – 27 juillet 2019// Petit-Quevilly

« Que l’on veuille plus de nature ou non, les usages sont nettement connus et définis contrairement au ressenti envers les espaces verts. Ce dernier est plus varié et moins bien cerné. Présente sans être toujours vue, pratiquée sans être nécessairement réfléchie, la nature en ville souffre fréquemment d’un manque de reconnaissance et de considération. » source

Pour poursuivre votre intérêt sur le jardinage en ville, nous vous conseillons la lecture du dernier hors -série n° 210 de l’Ami des Jardins.

Isabelle Pompe pour #sitespecific, le 09 aout 2019.

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Si la rive gauche était une femme

Aujourd’hui, 1er juillet 2019, c’est le lancement d’une 2 ème campagne de sensibilisation , après T’étais où, là ? Rive gauche, voici « Si la rive gauche était une femme » . Les #rivegauche et #sitespecific restent, vous pouvez leur ajouter #femmerivegauche.

La rive gauche nous apparait de plus en plus comme une femme au sens où elle est soumise à des critères esthétiques qui ne lui permettent pas, entre autres, d’être visible. A cela s’ajoute, le fait qu’elle semble, encore, être considérée comme un objet et non comme un sujet à part entière. De par les travaux d’aménagement, le renouvellement urbain et ses aberrations, nous pouvons affirmer que la stratégie de certaines collectivités de cet espace de référence reposent sur des logiques autoritaires où le pouvoir est centralisé. C’est en cela que l’objet est domestiqué.

 

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Rouen Rive Gauche Feat #sitespecific

 

Sous le coup de dominations diverses, la rive gauche semble ne pas être la candidate idéale car elle ne répondrait pas aux canons de la beauté imposés. Cet endroit dispose de formidables propositions, la tour Tougard, par exemple, est une merveille architecturale de 1955. La rive gauche est cette modernité brutaliste et controversée qui montre une autre vision historique de Rouen. Une autre vision de cette ville est possible mais les ressources exceptionnelles qu’elle représente ne sont pas activées.

 

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Tour Tougard Feat #sitespecific

 

Poursuivons avec les stéréotypes attendus. La rive gauche, par son pluralisme, ses paysages et ses visages est la parfaite disruptive. Elle défie tous jugements de valeur, souvenez-vous. Elle est cette femme indépendante.

 

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Rue de Trianon Feat #sitespecific

 

Elle incarne la fin d’un monde car les modèles dominants ne sont pas parvenus à faire d’elle ce qu’ils souhaitaient. Elle est ce refus ostensible et catégorique. Nous pourrions croire qu’elle a plié, qu’elle est « démodée », elle se moque de tout cela, bien trop occupée à briser les préceptes. Elle est cette friche, ne l’oubliez pas. Elle est cette matérialité devenue objet de convoitise, d’études et de projets.

 

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Roseraie de Grand-Quevilly Feat #sitespecific

 

La rive gauche est ce grand territoire aux passés, en partie, ouvriers qui a vu la domination s’exercer sur ses sols. Certes producteurs d’une économie et porteurs d’un développement, aujourd’hui, comme tout revers de médaille, ce passé et ce présent industriels semblent être les oubliés. La mémoire et les récits de vie de ses habitants peinent à franchir les seuils des portes familiales. Nous ne voyons pas, n’entendons pas.  Les visages sont effacés, les souvenirs non commémorés, les liens ne se tissent pas. Les gens vivent sans que leur attachement ne soit respecté, valorisé.

 

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Parc des Chartreux de Petit-Quevilly Feat #sitespecific

 

Cette rive si souvent jugée, ignorée parce qu’elle n’est pas synonyme d’attractivité, ne serait pas en mesure d’attirer. De quel modèle s’agit-il ? De quelle perception du territoire ? De quelles images ? De celles dont il faudrait qu’elle s’émancipe pour parvenir à être, à exister pleinement sans que ses populations ne soient réduites à de simples usagers, sans que ses paysages ne soient stigmatisés, sans que ses résidents ne soient ignorés.

 

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Jardin des Plantes de Rouen Rive Gauche Feat #sitespecific

 

Ces images proposent un regard miroir entre la rive gauche et la place de la femme dans les mondes de la culture et de l’art. Elles ont pour volonté de sensibiliser aux questions de la représentation. Ce que dit ce territoire « invisible » trouve un écho puissant avec ce que dit ce rapport, datant de 2018, sur les inégalités du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes 

Toutes ces conceptions ont été réalisées à partir des photographies d’ IPL.

Isabelle Pompe pour #sitespecific

 

Ligne de partage Vs Ligne de front

Parlons de partage, de frontière et de limite. Une ligne c’est quoi ? Deux options s’offrent à nous:

  • Trait continu, dont l’étendue se réduit pratiquement à la seule dimension de la longueur : Tracer, tirer des lignes.
  • Trait réel ou imaginaire qui sépare deux éléments contigus ; intersection de deux surfaces : La ligne de l’horizon.

Voire trois: trait tracé sur le sol pour délimiter une piste, en marquer le début et/ou la fin : Ligne de touche.

Ligne de partage

Le partage c’est quoi ?

  • Action de diviser une chose en portions, en parties : Le partage du butin.
  • Fait de partager quelque chose avec quelqu’un : Le partage du pouvoir.

Ce qui nous intéresse, tout d’abord, c’est la ligne de partage. Cette association de mots est aussi régulièrement associer à « la ligne de partage des eaux » (limite géographique qui divise un territoire en un ou plusieurs bassins versants. Plus précisément, de chaque côté de cette ligne, les eaux s’écoulent in fine dans des directions différentes…En France, il existe des points triple et quadruple avec par exemple Rhône/Seine/ Meuse, Rhône/Seine/Loire, Rhône/Loire/Garonne…)

Ici, avec Site Specific, nous sommes avec la Seine pour unique actrice, de ce fait, pas de « ligne de partage des eaux ».

Chaque métropole entretient un rapport avec son fleuve qui cristallise parfois une relation proche de la symbiose ou une difficile cohabitation. Le 1er élément à observer ce sont la considération des quais et leur aménagement. Nous comprenons qu’à Rouen, les quais ont aussi été pensés comme des hébergeurs de paquebots touristiques. la rive droite avait ses occupants saisonniers et qu’en était -il de la rive gauche ?

La rive gauche est doublement coupée car la ligne de chemin de fer suit la Seine.

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Europa (Gare désaffectée Rouen rive gauche), IPL, 2015

Disons qu’elle avait sa ligne de chemins de fer, ses trains, son dépotoir tout du long, que, de temps à autres, quelques voitures venaient y faire des courses, des dérapages pour se marrer, que longer ses quais c’était comme traverser un pays dont le sol et le décor étaient suspendus à une époque antérieure…Mais cela pouvait avoir son charme, sa forme de mélancolie…

Et puis, petit à petit, on a commencé à voir apparaître, des éléments de décor comme des choses en couleur:

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Red (quai rive gauche), IPL, 2015

Cela n’a pas vraiment changé à cet instant, d’ailleurs, mon étonnement fut grand lorsque j’ai découvert ces baby-foot seuls, rouge, là. La dignité de la rive gauche n’était pas pleinement réhabilitée avec ces petits efforts, une courtoisie à peine. La balance entre les quais allait prendre encore un tout petit peu de temps.

 

La différence

« Caractère ou ensemble de caractères qui dans une comparaison, un ordre, distinguent un être ou une chose d’un autre être, d’une autre chose. »Source

Pour celui qui se postait d’un côté ou de l’autre de la Seine, les éléments de disparité étaient flagrants. En face, les quais avec le Marégraphe étaient de toute beauté avant le Panorama XXL. D’ailleurs, il fut question, un temps, que cet équipement déménage rive gauche….

Désormais, les quais ont leur arbres et n’ont plus leur fête foraine. Les face à faces se passent mieux déjà à hauteur des quais, après cela se corse toujours un peu dès qu’on en sort et qu’on emprunte les rues qui irriguent les quartiers St Sever, Europe, Grammont, St Julien, Jardin des Plantes et la direction du Petit-Quevilly via l’avenue de Caen…

Trop, beaucoup trop de voitures circulent, bouchent, polluent ces axes et le ressenti en termes de vie de quartier est à la peine. La faute à des aménagements urbains pour le « tout voiture » ou plutôt, le « tout transport routier ». Les piétons galèrent, les vélos tentent leur chance un peu. Les lignes de front que sont ces rues, avenues où les véhiculent circulent en trop nombre, souvent à trop grande vitesse apportent au décor une grande indécence. Le charme n’opère plus car cela n’a rien de très agréable comme promenade pédestre…

  • Les milliers de pots d’échappement, ça empoisonne
  • Les milliers de véhicules routiers, c’est dangereux, bruyant et cela prive toute qualité de l’air, de vie.
  • Les communes écrasent sous le poids de leur « sur-immatriculation »
  • Les transports en commun tel que le Teor ou le Métro usent les rues, les quartiers et crèvent le commerce local. Regardez Rouen rive droite et l’avenue Alsace Lorraine, continuez avec Le Petit- Quevilly et l’avenue de Caen/Jaurès depuis le métro….D’un côté, l’ennui ce sont les qualités d’aménagement de ces lignes…Elles sont au mauvais endroit ou non adaptées, elles empêchent toute centralité pour les habitants et donc la création de lieux fluides de partage. D’un autre côté, avant, il y a peu, le métro n’existait pas…et donc la distance allait de pair avec la différence…

Ici, rive gauche, nous subissons la voiture et l’absence de vie de quartier, de centralité tout simplement pour certaines communes c’est très flagrant, ce ne sont que des lignes, et encore des lignes, des horizontales, droites, tout droit, toujours tout droit…Mais avant, cela, nous évoluons derrière nos fortifications à angle droit.

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Un jour flou d’angles, IPL, 2015

Notre enceinte, notre enclave, la cité administrative, la tour des archives, passez par la Place Joffre c’est plus agréable même si le balai des voitures, la ligne droite jusqu’à St Sever et le métro qui suit la ligne c’est un peu trop « toujours tout droit »….

Le Centre commercial St Sever est un lieu privé qui fait office de lieu de vie car la mairie n’est pas parvenue à avoir l’idée de créer un endroit de partage. A côté du centre, il y a la MJC et les services sociaux, de l’autre côté le marché Place des Emmurés, ok. Les rues du quartier sont résidentielles et les quelques commerces « ghettoïsent » les espaces, par exemple, ceux de la rue Lafayette, de la rue St Sever. Dans le même temps, à Rouen, les loyers même rive gauche sont chers, les baux commerciaux sont en grande difficulté idem rive droite.

  • Pourquoi ne pas pas proposer des baux précaires, solidaires, associatifs ou je ne sais pour ne pas laisser mourir ces quartiers ?
  • Et ne pas se recentrer sur la rive droite et son hyper centre historique en termes d’actions de ce type.
  • Cesser le clivage cela commence aussi là, permettre les conditions d’une mixité repose sur le fait qu’il ne faut ni abandonner ni privilégier.

 

Le manque d’équité

En écoutant l’histoire de la rive gauche et la perception qu’en ont les habitants lors d’entretiens, nous pouvons prendre la mesure d’un sentiment de colère, d’abandon en raison d’un manque de traitement égalitaire. Au point que les appellations rive gauche et rive droite avaient, un temps, disparu au profit de Sud, Nord, Est et Ouest. Il n’en demeure pas moins que le code postal est une affaire qui passe encore très mal. 76000 et 76100 ressort comme parfois « une différence injuste », un « cela veut tout dire » , « un symbole ». Cette distinction géographique est nourrie par la concurrence déloyale qui prédomine sur les deux rives. Une compétition? Non, une affirmation de supériorité d’un bord et une déconsidération pour l’autre.

Screenshot_2019-05-15 Arrondissements de Paris — Wikipédia

 

La faute ne revient pas au fleuve.Il est vrai qu’à Paris, la Seine traverse aussi la ville, c’est aussi un département, mais ce n’est pas tout à fait à partir du fleuve que les vingt arrondissements municipaux forment « l’escargot ». Les 20 arrondissements ont été créés en 1859.

 

 

La distinction

A l’origine, Rouen existait seulement rive droite. ce qui constitue un problème historique majeur car c’est « à partir de » et non « avec » que la ville s’est développée. Son aire urbaine relève de la Métropole Rouen Normandie, donc non, la rive gauche de Rouen, ce n’est pas la banlieue. Il est vrai que le passage d’un état de la matière à un autre est encore perçu, aujourd’hui, comme une altération. Ce qui se trouve être à l’origine de cette distinction. Le fait d’avoir annexé la rive gauche au monde premier rouennais (rive droite) continue d’alimenter les logiques excluantes. En face pas de réplique, pas de ressemblance, avec ce tête à tête de rive se plante une ligne de front, une ligne d’opposition, de camp adverse. Le meilleur moyen pour la rive gauche d’exister pleinement, librement serait de refuser ce jeu de dupes, de s’émanciper de ce rejet, de ce traitement de défaveur, de refuser ce qui la hiérarchise.Pour cela sur qui peut-elle compter ? Qui pour la promouvoir, pour la dire, la raconter et d’ailleurs où se fixent les regards ?

Entre les quais et le jardin des plantes ?

« La rive gauche ne se limite pas aux bords de Seine. Plus en retrait, le Jardin des plantes devient un spot de choix pour les touristes. Près de 568 000 personnes l’ont visité en 2016. Le centre commercial St Sever est cité toutefois, les grands travaux du quartier ont marqué économiquement durablement, de plus, les touristes se voient régulièrement proposer davantage d’offres de restaurants et d’hôtels rive droite ce qui parfait la névrose des commerçants. « Antoine Péllerin, réceptionniste à l’hôtel Saint-Sever, fait le même constat : « L’affluence est meilleure en semaine, nos clients sont surtout des gens venus pour leur travail à Rouen et qui habitent loin de l’agglomération. Quelquefois des cars de touristes allemands ou hollandais arrivent jusqu’ici tout de même, mais c’est peu fréquent. », le journal poursuit pour cet article du 30 mai 2018 : « Beaucoup d’eau coulera encore sous les ponts avant que les deux rives se rapprochentSource

  • « L’office de tourisme organise « des rallyes de visite » dans le quartier Grammont deux fois par an – des visites à pied de 2 à 3 heures accompagnées d’un guide qui s’adapte aux thématiques choisies par les familles. » Source
  • Et enfin, le Parc urbain des Bruyères (L’ancien hippodrome, à cheval entre Rouen, Sotteville-lès-Rouen, Saint-Étienne-du-Rouvray et Le Petit-Quevilly fermera mi-juin. Il ne rouvrira qu’à l’issue des travaux, prévue fin 2019.)

 

Avec Site Specific, essayons de valoriser cette rive comme elle le mérite et donnons à voir les images de celle-ci, son histoire, sa mémoire, son patrimoine et ses habitants.

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Trois couleurs: Bleu, IPL, Petit-Quevilly, 2019

Le Petit-Quevilly, commune de résidence, possède des ensembles architecturaux, une histoire ouvrière passionnante et toujours des ambiances!

De nouveaux lieux émergent, tels que le Kaléidoscope des Copeaux Numériques

 

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L’intérieur du Kaléidoscope, 2018, Crédits Joëlle Petit

 

Au-delà des lieux, des noms, des labels et des projets, toutes les communes de la rive gauche sont des mines d’or au quotidien, elles offrent un « patrimoine de l’humilité ».

 

Pour dernier exemple, comment est-ce possible que peu de personnes connaissent le pôle régional des savoirs qui a, certes, depuis changé de nom mais, au fait, quelle est sa mission?

L’ATRIUM

L’Atrium, ex-Pôle régional des savoirs, devient un nouvel espace régional de découverte des sciences et techniques de Normandie.

D’une surface de 1 000 m² d’exposition, il abrite jusqu’en octobre 2019 l’exposition annuelle sur l’espace et l’aérospatiale « Voyage vers Mars. Découvrir la science de l’air, de l’espace et ses métiers », co-construite avec NAE, la Cité de l’Espace de Toulouse, la Cité des Sciences et de l’Industrie, des partenaires de recherche locaux, la Cité des Métiers de Normandie…

Y sont hébergées une quinzaine d’associations régionales qui  œuvrent pour le partage des savoirs et des connaissances dans différents domaines : Cité des métiers de Normandie, Agence régionale de l’environnement, CARDERE, Normandie Images, Normandie Livre et Lecture, Promotion Santé Normandie, Journal Globules…

Source

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L’Atrium c’est :

  • Un lieu scolaire et grand public, ouvert du mardi au dimanche
  • Une grande exposition de dimension nationale
  • Une animation menée par Science Action Normandie, pour la diffusion de la culture scientifique et la découverte des métiers, en lien avec la Cité des Métiers.

 

Nous reviendrons, plus en détail, ultérieurement sur des structures et leur typologie de publics, telles que Seine Innopolis qui malheureusement ne repose pas sur un projet en partenariat avec la population locale et de, ce fait, fait figure de beauté architecturale inaccessible pour les habitants de la commune.

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Seine Innopolis (Ancienne usine de filature- La Foudre), Petit -Quevilly, IPL, 2016

 

Isabelle Pompe, 15 mai 2019

 

 

 

Le partage du sensible

Au début était Jacques Rancière.

J’ai découvert cet auteur avec le « Spectateur émancipé », puis « Le partage du sensible ». Je vous invite à faire sa connaissance ou à le réentendre avec un portrait qui date de décembre dernier diffusé sur France Culture pour Profession philosophe ou encore à lire cet article de septembre 2004

A la lecture de la production de ce chercheur comme il aime à se définir, je me suis demandée si je n’avais pas fait, là, une rencontre déterminante dans ma vie de militante.

 

« C’est par le train, par la gare, que j’ai rejoint la ville de Rouen,

 

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Gare Rouen rive droite, 2015, IPL

 

Au regard de mon exode social comme j’ai, aussi, aimé le nommer, je me suis sondée quant à la perception que l’on pouvait avoir de moi en tant que nouvelle arrivante et comme « quitteuse » de Paris. En outre, je me suis placée comme témoin de cet écho entre ce territoire d’adoption et ma propre vie. Au début, je me suis sentie mal ici. Seule, tellement seule et rapidement face à ma chute. J’ai perdu connaissance pour reprendre, ensuite, mes esprits et parvenir à me tranquilliser. Ce que c’est rude comme expérience émotionnelle un territoire mal traité mais comme c’est formateur.

 

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Rouen, Quai rive gauche en 2014, IPL

 

N’étais -je pas moi-même cet abandon, cet endroit laissé pour compte à l’instar de cette rive gauche rouennaise? N’étais-je celle dont on ne veut pas avec cette inscription redoutable car durable dans le chômage ? N’étais-je pas, enfin, cette précaire à qui on n’ouvre pas la porte, celle qui ne vaut rien, là, parce qu’elle ne serait pas d’ici ? Celle à qui on reproche son Paris d’origine, celle que l’on juge…Oui, j’ai expérimenté, ici, à Rouen, l’exclusion. Ma différence de parcours, de choix de vie et l’activation de certaines de mes ressources m’ont mise sur la touche. Tenue à l’écart des cercles, des cultureux, des « artistes »….Je suis autodidacte dans différentes domaines, je ne cherche pas de légitimation. Je n’avais rien à prouver mais tout à partager car j’étais dans la soif de découvrir, d’être rassurée sur cette destination morcelée.

 

Nous nous sommes vues et revues cette rive et moi, je me suis attachée à elle lorsque j’ai commencé à partager son sensible.

 

Je me suis rappelée, en 2012, lorsque j’avais opté pour terre d’adoption, après Paris, la ville de Rennes. Sans y repenser, en 2014, j’ai choisi Rouen alors que je venais de vivre de grands bouleversements personnels et professionnels. Un « R » en commun certes mais quel écho plus juste que ce délire nostalgique voire mélancolique qui règne à Rouen. Deux années de distance entre ces deux choix où tout a basculé finalement. Celle qui aurait pu m’accueillir et celle qui m’a recueillie.

Elle n’est pas endormie cette ville, elle est politisée à outrance, faite d’opposition franche, de dureté, elle est clivante. Elle fait référence à un endroit où le frontal ne cesse de sévir.

 

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La chute de Rennes, IPL, 2018

 

Elle est aussi ce vaste champ exploratoire où s’irritent, avec une vive impétuosité voire provocation,  les notions de gout, de beau, d’ erreur et de rien. Elle est cet espace qui s’étire mais qu’on ne saurait voir. Elle est cette ville qui tranche, qui coupe, qui scinde et où tout se croise. Elle ne colle à rien qui soit crédible, plausible, elle est cette sédimentation inouïe, de celle qu’on ne laisse pas devenir, de celle qu’on enferme, qu’on enlise dans un imaginaire patrimonial usé jusqu’à la couenne.

Elle est celle qui possède plusieurs récits mais dont un seul serait autorisé par les volontés politiques extra locales. Elle est tenue en laisse par des élites ignorantes, des maîtres ignorants comme dirait Jacques Rancière.

Des hommes et des femmes qui l’emmurent dans des espaces circonscrits, qui prennent de haut ses conflits, ses errements, ses disgrâces. Elle est cette terre où le bon souvenir est ancien, religieux le plus souvent, elle est cette grande à qui on a brisé les jambes de peur qu’elle ne s’échappe, qu’elle ne prenne de libertés. Elle est minorée, boudée, là, dans sa province, dans sa région, dans la plus illustre méconnaissance, dans le plus grand mépris, parfois. Elle ne se résume pas, elle ne se veut pas compartimentée, elle se sait affaiblie sans ses deux rives qui fondent son monde premier. Elle ne souhaite pas se démunir, se départir. Elle tient à son « dépareillage » mais réfute tout catégorisme. Sans sa mixité, elle n’aurait aucun pouvoir.

 

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La Seine et ses histoires sociologiques de rives, IPL, 2014

 

Sa Seine et cette fausse narration qui va avec. Je ne veux pas croire à ce refus du partage, à cet affront du 76000 et du 76100 (Rouen rive gauche). Je ne veux pas alimenter ces oppositions: ces touristes versus ces habitants, cette rive versus cette autre, cette sociologie versus cette autre, je veux apaiser cette relation. Je pense que l’issue de ce face à face finit par ternir la ville, lui empêche tout déploiement digne, la contrecarre dans son ampleur et son charme.

Rouen, ce ne sont pas les quatre rues de cet hyper centre historique comme nous le présente l’ office malheureux du tourisme. Le problème c’est que cette posture politique est adoubée par les faiseurs d’images fans de sur-esthétisation, les story tellers game over… C’est-à-dire ceux qui ne voient pas qu’ils participent à une annulation, à l’effacement du pouvoir qu’à l’habitant sur sa ville. Une ville est faite pour être habitée plus que pour qu’être visitée, croisée.

Rouen, ce sont des histoires. Rouen ne peut être retenue et amenuisée au point de se ridiculiser à force de contorsions autour de « Jeanne » par exemple. Ce n’est pas, non plus, l’impressionnisme qui doit régir une programmation culturelle annuelle. Sclérosée est la ville, brimée, sa rive gauche réfute ce système parce qu’elle est cultures et diversités. Elle est l’ extinction de ce modèle uniformisant.

 

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Quartier St Sever, 2014, IPL,

 

Elle est cette déroute à la bienséance car elle embrouille la beauté, interpelle, cloue, sidère, place dans un embarras, dérange. Sa pauvreté bouleverse, ses rues bousculent, ses gens démolissent tous les préceptes que l’on pensait avoir sur le « déjà vu ». Elle  appelle la notion de vide. Elle chamboule le spectateur, m’a laissé seule et coite à maintes reprises. Cette rive c’est la gifle, elle nous déconcerte, nous perd, nous désoriente car tout paraît loin, tout semble sans fin et ce ne sont pas ses images qui pourraient nous aider à poursuivre, elles manquent cruellement à l’appel. Quelles sont les illustrations ? Quels sont les clichés? Et qui pour nous faire découvrir cette rive, qui pour s’y risquer ?

L’humilité, comme je l’ai déjà évoqué, celle de la mémoire ouvrière, celle du passé historique, celle des classes moyennes et/ou populaires, il faut croire en sa vertu pour parvenir à elle. Selon moi, l’humilité est gage d’innovation, elle est l’antithèse du gigantisme, le modèle contraire, le croquis inversé, le chromo authentique. La rive gauche, par son patrimoine de l’humilité, c’est le refus de la hiérarchie. Ce en quoi, elle est passionnante et intelligente.  »

 

Isabelle Pompe, 12 mai 2019.

 

 

 

Territoire social & Voiture # 2

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In advance of a broken car, IPL, 2017

Nous avons vu précédemment dans Territoire social & Voiture # 1, l’automobile fait partie intégrante de notre « paysage ». Nous résidons, pour la plupart, dans des espaces de relégations, des banlieues où ce mode de déplacement est presque le seul moyen opérant pour se déplacer. De plus, de par notre territoire social, et ce constat, nous sommes les premiers à subir les effets néfastes de la voiture -pollution- dépendance- coût associés. Par ailleurs, il existe un amour populaire de l’automobile.

Paradoxe ?

Non, elle appartient à une culture populaire, c’est un patrimoine défendu qui possède des « valeurs ». Alors, dans cet article, nous évoquerons les modes d’expression de cette culture « voiture ».

Pourquoi ?

Parce qu’à « territoire social » s’associent des pratiques populaires qui se doivent d’être traitées sans jugement de valeur. De plus, ces cultures/ loisirs sont stigmatisés, parfois dénoncés, décriés…Ici, sur mon territoire d’habitation, sur quelques mètres à peine, je vois chaque jour mon jeune voisin et sa « voiture tunée » bleue, mais surtout, je l’entends. J’ai aussi à portée de vue, mes autres voisins en bas, en face, en train de réparer voiture, camionnette/camion qui se composent de deux groupes distincts.

C’est depuis ces postes d’observation que s’est structuré cet article, autour de deux postures: l’acteur et le spectateur. La 1ère partie de cet écrit concerne l’acteur avec la notion du « faire« – sera donc développé la pratique du Tuning. Elle sera également questionnée comme marqueur social. Nous l’avons noter, précédemment, il existe un amour populaire de la voiture, de ce fait, il semble intéressant de nous pencher sur les courses automobiles à travers la posture du spectateur. Avec Les 24 h du Mans et la Formule 1, au regard de leurs stratégies et territoires, nous développerons la question de la réception de leurs publics. Nous irons, ensuite du côté de la mécanique comme activité et secteur pour reprendre cette posture de l’acteur – « du faire« , puis vers la mécanique « sauvage« , en tant que spectateur, en nous demandant comment est définie, vécue cette pratique ? Et enfin, L’approche, à la fois anthropologique et artistique de David de Beyter, des « Big Bangers ». Cette communauté qui vit le crash de voiture comme art de vivre.

 

« Dans l’horreur que suscite, chez certains, la sociologie entre pour beaucoup le fait qu’elle interroge le premier (ou le dernier) venu au lieu de donner la parole seulement aux porte-parole autorisés ».

Pierre Bourdieu, La distinction.

 

La suite qui serait susceptible d’être donnée à cette série d’articles -consacrée à notre rapport affectif et subi aux voitures – pourrait prendre la forme d’une documentation visuel. Un travail de portrait (ethnophotographie) des résidents de ma rue et de leur véhicule.

 

1. LE TUNING

En transformant les comportements de ces populations issues des classes populaires en mépris de classe, ce sont des lieux de mémoire, générationnels par définition, que l’on attaque, que l’on moque. Une mémoire ouvrière, rurale dont le récit des portes-paroles légitimes a été si souvent refusé.

Le Tuning, un marqueur social

Pour explorer cette discipline/pratique/loisir pas si évident à définir, nous reprendrons les propos de Yoann Demoli (co-auteur avec Pierre Lannoy de l’ouvrage « Sociologie de l’automobile » paru en janvier 2019 aux éditions La Découverte), les travaux d’Eric Darras et son article « un lieu de mémoire ouvrière: le tuning » et l’émission de Chloé Leprince sur France Culture du 13 mars 2019, « Beauf, plouc et gros Jacky : de Shakespeare au tuning, ces (dé)goûts qui innervent le mépris de classe. »

 

Le « tuning » est le parangon de ce qui est moqué dans la voiture par certaines catégories sociales comme un « truc de beauf » selon Yoann Demoli Source

« Une passion pour l’automobile est une pratique culturelle classante, c’est-à-dire une pratique culturelle observée avec condescendance et mépris par les instances culturelles. Selon le sociologue Pierre Bourdieu, « la pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe, à justifier la domination des uns par les autres ». (Source)

« Cette fracture automobile recouvre une fracture culturelle. A chaque fois qu’il est question de tuning, le message sous-jacent est : comment peut-on aimer les voitures ? Comment peut-on aimer les voitures alors qu’au mieux cet ustensile doit être perçu de manière utilitaire, sans compter tous ceux, qui, dans les grandes villes désormais, n’en possèdent plus. » Source

« Il est loin le temps où les dominants de Pierre Bourdieu avouaient aimer les voitures, il faut remonter pour cela au temps de Françoise Sagan et de Pompidou, comme si, depuis lors, les routes de chaque classe sociale s’étaient séparées sans jamais pouvoir se rejoindre. » Source

 

Une tentative de définition

« Le tuning semble défier la sociologie de la culture : il relève à la fois de l’activité populaire et esthétique, de la pratique culturelle et sportive, individuelle et collective, de la « passion » ordinaire préservée bien que fortement méprisée et réprimée par le droit et les forces de l’ordre ; il s’agit encore d’une activité culturelle pratiquée par de jeunes hommes virils et pourtant patients et exigeants, des individus modestes pour un loisir coûteux. » Eric Darras – source

Un aperçu historique

De son côté dans l’émission de France culture, nous parlerons plus facilement de loisir.

« Ce loisir né de la bidouille de vieilles carcasses avec le “hot rod” dans l’Amérique des années 20 pour faire des rodéos du côté de San Francisco, est arrivé en France au début des années 1990. Au plus fort de son succès, voilà une petite dizaine d’années, les sites spécialisés estiment que le tuning aurait rassemblé jusqu’à 200 000 passionnés.

Entre-temps, sa popularité outre atlantique devait beaucoup à la jeunesse hispanique puis aux rappeurs à grosses cylindrées dorées. » Source France Culture

Qui sont ces passionnées?

Le travail d’enquête sur le terrain mené, dans la région de Montauban en 2012, par Eric Darras a permis de souligner que tous ou presque appartenaient à une jeunesse rurale. Tous sont confrontés aux  » transformations socio-économiques lourdes auxquelles ces jeunes hommes tentent aussi d’apporter leurs réponses par le tuning. Mais les tuners se distinguent néanmoins des plus démunis par les ressources, savoirs et savoir-faire précisément objectivés dans et par leurs véhicules tunés, objets d’une fierté individuelle et collective. » Source Eric Darras

Pourquoi?

« Le tuning revêt des critères esthétiques, célébrés lors des meeting et autres compétitions. Les prix, trophées sont autant de récompenses convoitées ce pourquoi le « Faire pour faire » est primordial et ces « ouvriers qui font du beau »  deviennent des « œuvriers ». L’idée étant que « c’est beau parce que c’est bien fait« , l’amour du travail bien fait doit être perceptible : « l’objectif c’est de montrer notre passion ». »Source

Les « mains » & l’enfance

Chez les virtuoses, le tuning prolonge un intérêt déjà ancien pour le dessin ou la mécanique parfois devenue activité professionnelle. L’enfance, comme origine de la vocation est citée, pour les plus doués.

Passages

L’évolution des customisations évolue avec l’âge, le vélo, puis les scooters, motos en enfin la voiture avec l’obtention du permis de conduire comme libérateur, désinhibant moyen d’avoir enfin accès au Graal. Avec l’âge, la passion se transforme en vocation.

La quête

Ils désirent exprimer, créer, montrer une pièce unique, rare et singulière afin d’obtenir davantage le respect des pairs plus que l’admiration des non-initiés. Une façon de façonner, de s’opposer aux modèles ordinaires, de se placer face à la mécanisation qui engendra, avec elle, la standardisation. La fierté tient en l’art de faire soi-même.

Quel est leur territoire d’habitation?

Les tuners vivent le plus souvent dans un environnement industriel rural ou semi rural, dans des bourgs péri-urbains dans la ceinture des 20 à 30 km autour de villes moyennes selon l’article d’Eric Darras.

« Ce loisir qui consiste à accessoiriser, modifier soi-même, et décorer sa voiture au prix de longues heures de travail et souvent d’un vrai budget, Eric Drouet le pratique en effet depuis “Muster Crew”, une association qui rassemble près de cinq mille passionnés en Seine-et-Marne, le département à l’est de Paris. »Source France culture

Fierté ouvrière et patrimoine

« Comme affirmation populaire du soi, le tuning est une manière obstinée et créative de s’exprimer sous contraintes, une mémoire « d’en bas ». Comme pratique culturelle il rappelle, par le bas, et non sans une certaine lucidité tragique, la richesse perdue d’une vie populaire dans toutes ses dimensions culturelles, sociales ou affectives » ajoute Eric Darras.

Épisode Ford Mustang

(Citée dans la 1ère partie  » Territoire social & voiture # 1″) Revenons à ce modèle de voiture un instant.  « La motivation de Benjamin est patrimoniale, il certifie fièrement que sa Ford mustang rutilant était une « épave » lorsqu’il l’a acheté. Il s’agissait de le sauver, comme d’autres sauvent des monuments historiques. La mustang relève pour beaucoup de passionnés de l’automobile du chef-d’œuvre de la culture ouvrière. Source Eric Darras

* Cette voiture a vu le jour en 1964, pensée comme une petite voiture sportive qui envahirait les rues, elle fit une entrée fracassante. Ford venait de réinventer l’automobile pour les jeunes américains, de plus, de nombreuses options étaient disponibles pour agrémenter la voiture, le but étant que chacun ait une Mustang unique.

Voitures sportives comme étalon

« Les tuners prennent pour référence constante les voitures sportives, notamment allemandes, dont ils cherchent à reproduire les principaux marqueurs de distinction : becquet arrière des Porsche, ouverture des portes papillons des Lamborghini, pneus larges, jantes chromées… »précise Eric Darras.

Aujourd’hui en France

Monde de l’Auto Samatan

Les 21, 22 et 23 septembre 2018, s’est tenu le 11ème Monde de L’auto à Samatan. Avec ses plus de 4000 m² d’expositions de modèles et d’animations, le salon attend  plus de 10 000 personnes. Cet évènement doit son existence à des passionnés de la mécanique. Source  La commune de Samatan (Gers) compte environ 2400 habitants.

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Youngtimers

Depuis quelques années déjà, nous assistons à un retour en force voire à une déferlante des tendances des décennies 80- 90, en écho, les styles et pratiques convergent au point de concerner la mode, les modèles qu’ils soient vestimentaires ou encore ceux des voiture.Site du magazine Youngtimers

Les 1ères conséquences pour les modèles de véhicules, leurs côtes enflent. Ces nouveaux acquéreurs représentent des nouveaux collectionneurs mais ils couvrent aussi un très large spectre tant aux niveaux des modèles recherchés (berline, sport, grand tourisme, prestige) que des moyens financiers dont ils disposent. Les youngtimers sont à comprendre comme « jeune voiture de collection« , par conséquent une pluralité de marques et de modèles sont concernés toutefois la rareté de production et l’état conditionnent, en général, le passage de statut. La légitimation s’opère avec certains critères, sous condition.

  • La vente « Dream garage « 

RM Sotheby’s a proposé 140 youngtimers aux enchères. L’ensemble des lots de la collection était réparti sur quatre ventes: Paris, Amelia Island, Fort Lauderdale et Essen. Une vingtaine d’entre eux seront vendus le 6 février 2019, place Vauban à Paris. Pour la vente à Essen, deux Renault 5 Turbo 2, un modèle dont la cote atteint des sommets: entre 80 000 et 90 000 euros et une Lancia Delta HF Integrale Evoluzione «Martini 5» de 1992 (estimation 120 000 – 140 000 euros), par exemple.Source vente Essen

 

 

LA QUESTION DE LA RÉCEPTION

« A raison de 1500 euros minimum pour faire repeindre toute la carrosserie (mais facilement le triple pour de la peinture mate et des éclairs qui lacèrent les flancs) et des détails mécaniques insoupçonnables à l’oreille profane, le tuning est vite devenu un objet de raillerie. » Source France culture

 

Émission Strip-tease

135.3 db, un épisode de l’émission Strip-tease diffusé par France 3 en 2000. Le protagoniste resté dans les annales de la télé après ce passage s’appelait Christophe, qui, vingt ans plus tard, fait encore l’objet de nombreux commentaires ricanants à chaque fois qu’un internaute rend une copie de l’archive accessible depuis YouTube.

« C’est du côté de Douai, dans le Pas-de-Calais, que Strip-tease avait déniché Christophe, 23 ans, des enfants tôt, un Marcel, l’accent picard et une R21 « tunée » dont le pot d’échappement s’écoutait au ras du sol. »

Traitement médiatique

Dans les médias généralistes, on continue de parler plutôt comme d’une pratique exotique un peu grotesque, macho et pas très finaude. C’est le principe de la caricature : les ailerons dorés et le moteur qui grogne fournissent des images plus spectaculaires pour dire une jeunesse souvent rurale, plutôt invisible dans les médias. Source FC Les clichés opérant comme des objets caractéristiques de distinction: la tenue, l’accent et la pratique culturelle moquée (non légitimée par la haute culture) seront repris par les médias tels que les Inrocks (ils en ont fait, par exemple, leur deuxième moment d’anthologie de toute l’histoire de l’émission Strip-tease.) Strip-tease en 7 épisodes cultes – Les Inrocks

Le tuning ne relève pas d’une pratique isolée, elle est régulièrement associée aux présentations de voitures anciennes dans des salons et autre foires, aux courses auto/moto.

 

2. LA COURSE AUTOMOBILE

La course automobile est un sport et donc une pratique culturelle. En choisissant volontairement des manifestations très connues, c’est une façon de s’adresser à notre mémoire collective de téléspectateurs, à notre expérience commune de spectateurs. Aborder ces courses permet de se demander ce qu’elles peuvent produire comme image, comme réception populaire et comme forme d’attachement.

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24H du Mans 2016 Source

« Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive…Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la victoire de Samothrace.«  Filippo Tomaso Marinetti, Manifeste du Futurisme, 1909.

2.1 Les 24h du Mans

« L’automobile agit sur les représentations communes. Elle émeut, elle agit sur la sensibilité, elle fait intervenir l’émotivité. L’automobile ne laisse pas insensible les individus par toute une production médiatique qui a modelé les consciences individuelles de manière à ce qu’elle soit vue sous une certaine forme sympathique ayant donné naissance au mythe de l’auto. D’où son passage d’objet utilitaire à valeur économique à Objet mythique à valeur sacrale » selon Nathalie Halgand (Source)

Pour réaliser cette 2ème partie, l’idée étant toujours de questionner la réception, c’est l’article d’Eric Leser, du 18 juin 2017, pour Slate, qui m’a, ainsi, servi de point de départ. En écho, nous nous tournerons vers la bande dessinée Michel vaillant, puis en direction de la Formule 1. Un article de Michel Pinçon et Monique Pinçot-Charlot, « Sur la piste des nantis, les rallyes » de septembre 2001 au Monde Diplomatique ainsi que celui de Nathalie Halgand  » La passion de l’objet : le cas de l’automobile « Des œuvres d’art sur quatre roues » ont apporté leurs échos sociologiques.

L’intérêt de parler des 24h du Mans tient à la typologie de ses publics et au territoire au sein duquel elle s’inscrit, en outre, rappelons-nous les adeptes du tuning et leur référence en termes de véhicule: « les voitures sportives, notamment allemandes, telle que celles de la marque Porche « . Il se trouve que les 24h du Mans et la marque Porche, c’est une longue histoire avec 19 victoires, à ce jour.

  • La cas Mercedes-Benz

C’est avec l’accident dramatique de 1955 qui couta la vie à plus de 80 spectateurs dans les tribunes ainsi qu’au pilote français, de la Mercedes-Benz 300 SLR, Pierre Levegh. (Il s’agit du plus grave accident de l’histoire du sport automobile) que Mercedes s’est retiré de la compétition automobile en tant que constructeur pour les 43 années à venir au Mans, et durant 55 ans en Formule 1. Source images

Un peu d’histoire

Cette course automobile d’une durée de 24h se déroule en juin (l’édition 2019 se déroulera le 15 et 16 juin) et existe depuis 1923. Une semaine d’évènements est organisée autour de cette course.

La course en chiffres

  • Une fois par an
  • 1 journée test qui rassemble 23000 spectateurs Chiffre 2015
  • Elle dure 24h soit l’équivalent de 17 grands prix de F1
  • 1 circuit de 13kms avec une ligne droite de près de 5kms
  • 330 kms/h (vitesse enregistrée sur la droite des hunaudières)
  • Les véhiculent sont à fond 85% du temps.
  • 258 000 visiteurs pour son édition 2017 (publics très fidèles)
  • 5000 Kms de jour comme de nuit (certaines portions de la course ne sont pas du tout éclairées)
  • 3 pilotes qui se relaient environ toutes les 3 heures
  • 22 pilotes y ont perdu la vie depuis sa création (chiffre 2017)

La course et ses caractéristiques

  • Course la plus prestigieuse au monde
  •  Banc d’essai incomparable
  • Offre un spectacle unique chaque année
  • Scénario dramatique
  • Les plus grands constructeurs mondiaux sont présents

« Des animations et des concerts plébiscités par le public – un accueil du public toujours plus soigné et des conditions d’accès au circuit facilitées grâce aux parkings gratuits. » Source

La course et les pilotes féminins

Michèle Mouton a marqué l’opinion au volant de son Audi Quattro en remportant quatre rallyes de championnat du monde au total (Sanremo 1981, Portugal 1982, Acropole 1982, Brésil 1982) et deux fois la course de côte de Pikes Peak (dont une fois au classement général). En 1975, elle remporte, dans la catégorie 2 litres, sa 1ère victoire au 24H du Mans.

La course et sa réception chez les acteurs de cinéma

Beaucoup de comédiens ont un rapport singulier, à noter Paul Newman qui a fini deuxième en 1979. Steve McQueen, dont le destin s’est noué autour de ce circuit, s’est ruiné en faisant, en 1970, un film devenu mythique baptisé simplement: Le Mans. Le documentaire, The man & Le Mans, sorti le 11 novembre 2015 de John McKenna et Gabriel Clarke lui rend hommage.

La course en termes d’expérience de spectateur

« L’ambiance magique qui règne sur le circuit, qui grouille encore de spectateurs, en dépit de l’heure tardive. On ne le dira jamais assez : la nuit Sarthoise reste un moment assez unique » Source

« Le hurlement métallique, lancinant et déchirant des moteurs, et les disques de frein qui rougissent la nuit dans les virages, les échappements lâchant des flammes saccadées. Le plaisir mécanique à l’état pur. »

Les 24h du Mans font office de pèlerinage pour les « nostalgiques de l’automobile triomphante, de la vitesse et de la fureur des machines« . Source Eric Leser pour Slate

 

…… »Le paradis sur terre », « il faut imaginer l’ambiance, le bruit! », « je suis devenu accro« , « une institution », « le plus beau circuit du monde », « l’exploration du mythe« , « circuit mythique, « légendaire« …

La course et sa diffusion télévisuelle

Pour son édition 2018,  » Course internationalement reconnue, les 24 Heures du Mans disposent d’une couverture télévisée conséquente en France, avec notamment les chaînes de France TV et d ’Eurosport« . Source

Pour son édition 2016, « Les 24 Heures du Mans font partie de ces évènements sportifs retransmis à travers le monde grâce à une couverture télévisuelle de grande ampleur. Cette année la course sera retransmise dans 190 pays pouvant ainsi potentiellement être suivie par 802 millions de téléspectateurs. « Source

2015,  « La couverture télévisuelle des 24 Heures du Mans avait atteint 100 millions de téléspectateurs uniques et l’épreuve était l’événement sport mécanique le plus regardé en France et dans plusieurs autres pays (chiffres Eurodata 2015 mesurés dans plus de 30 marchés). »Source

  • Par comparaison, C8 avait rassemblé, devant le Grand Prix de Monaco en Formule 1 en 2017,  1 million de téléspectateurs.Source

Michel Vaillant & La course

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Michel Vaillant de Jean Graton – Graton éditeur

« Attention Légende ! Au volant de sa Vaillante, le célèbre pilote automobile a fait frissonner bien des lecteurs qui se demandaient comment il réussirait à déjouer les pièges des écuries concurrentes et les soucis mécaniques tout en franchissant le drapeau à damier en pole position. La réponse dans cette intégrale indispensable. « Source

Cette Série de bandes-dessinées a été créées par Jean Graton en 1957. Le grand défi est le 1er album sorti en 1959. Depuis ses débuts, les aventures de Michel Vaillant passionnent les amateurs de courses automobiles mais aussi les lecteurs moins accrocs aux sports mécaniques, qui se sont attachés à la famille du célèbre pilote. (Source) Aujourd’hui, les 70 titres de la collection Vaillant totalisent plus de 20 millions d’albums vendus dans 16 pays, dont les États-Unis et le Japon » Source

 

Sociologie de la Ville du Mans

La ville du Mans, nettement marquée politiquement à gauche, porte plusieurs surnom dont celui de L’ouvrière. Elle a été l’une des plus grandes plaques tournantes industrielles de l’Ouest de la France durant les XIXe et XXe siècles (« La plaque tournante de l’Ouest »ou « Porte de l’Ouest » pour son réseau autoroutier et son rôle de distributrice ferroviaire).

Le Mans en quartiers

La ville dont la population avoisine les 143000 habitants est divisée en 6 secteurs soit 72 quartiers. Parmi eux, l’Insee a désigné cinq quartiers de la ville comme des ZUS : Les Sablons, Bellevue, les Ronceray, Les Glonnières et l’Épine. Deux autres quartiers sur la commune d’Allonnes sont également considérés comme tels : Chaoué et Perrières.

Le Mans figure à la 57e place parmi les 100 plus grandes villes de France concernant le taux de pauvreté selon la Gazette des communes – 2014 Le taux de pauvreté s’établit à 19% (37000 personnes). Un chiffre comparable avec d’autres grandes villes de l’Ouest, comme Angers Caen ou Tours, moins touchées par la crise que des agglomérations du nord et du sud de la France. Par exemple, le taux de pauvreté peut aller jusqu’à 75 % dans certains quartiers de Marseille, trois fois plus que la moyenne de la ville.

« L’Ouest, de tradition moins inégalitaire et moins marqué par la crise, est moins représenté » indique la Gazette des communes Source

 

—Dans cette approche de la voiture comme pratique culturelle, nous avons questionné son inscription sur un territoire social. Nous avons évoqué le Tuning et les Youngtimers. La course des 24h du Mans en interrogeant son ancrage local à travers la ville du Mans notamment. Celle-ci, en effet, se montre sous un jour moins inégalitaire que d’autres territoires d’habitation. Cependant, la voiture s’incarne aussi socialement que ce soit par les véhicules de prestige mais aussi par des comportements excluants tel que l’entre-soi économique. 

 

2.2 L’auto & la haute bourgeoisie

La voiture c’est une question de vocabulaire, de niveau de langage. Alors que nous venons d’aborder cette pratique culturelle à l’aune du Tuning et de la course, Les 24h du Mans, évoquons, brièvement, les rallyes et « l’auto ».

Automobile Club De France

Les membres de la haute bourgeoisie fréquentent les cercles, tels, à Paris, l’Automobile Club, place de la Concorde, ou le Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

  • « Premier Automobile Club au monde fondé en 1895, “l’Auto” incarne une institution pionnière qui s’établit dans le somptueux écrin du 6 et 8 place de la Concorde dès 1896. »Source

« Les rallyes existent depuis le début des années 1950, ils représentent la troisième instance de socialisation après la famille et l’école pour la haute bourgeoisie. Le rallye atteint presque toujours son objectif : faire en sorte que les jeunes ne ruinent pas un avenir brillant, un destin hors du commun, par une mésalliance qui viendrait rompre le fil de la dynastie, noble ou bourgeoise. Il n’y a pas de libre concurrence dans l’économie affective grande bourgeoise. »Source

C’est en relisant la partie de l’article « Sur la piste des nantis, les rallyes » paru au Monde Diplomatique en septembre 2001 des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon -Charlot, qu’il m’est apparu évident de reprendre certaines citations en rapport avec le territoire social qui est le nôtre. Source

Le traitement des espaces publics est aussi révélateur d’inégalités profondes dans les conditions de vie générées par l’intervention des administrations locales. Ainsi, à Paris, le périphérique, et son vacarme incessant, est couvert dans les quartiers de l’Ouest, ceux de la bourgeoisie, alors qu’il est à l’air libre dans de nombreux autres secteurs. La voirie est différente entre les beaux quartiers et les arrondissements pauvres.

« Le patronat, un singulier qui désigne un ensemble d’agents sociaux auxquels on peut supposer une certaine unité de vues, est remplacé par les entreprises, un pluriel d’entités individualisées.  »

 » La mobilité n’est pas la même selon qu’elle est contrainte ou choisie, selon qu’elle est une condition de survie ou qu’elle fait partie d’un mode de vie et d’une identité. »

« Tout en manifestant ce collectivisme pratique, la grande bourgeoisie prône l’idéologie de l’individualisme. »

 

3. La Formule 1

Cette discipline sportive a suscité des grands moments de liesse dans l’histoire du sport et certains grands prix sont gravés dans tous les esprits. La Formule 1 c’est aussi des écuries mais surtout des pilotes dont les renommées sont internationales.

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Ayrton Senna- McLaren Honda – 1989 – Grand Prix de Monaco

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Résultat du Grand Prix de Monaco 89 Source

En 2018, le Grand Prix de Monaco a été remporté par Daniel Ricciardo ( Red Bull – Tag Hauer) en 1h 42’54’807′
En 30 ans, 10 minutes sont gagnées mais est-ce ainsi qu’il faut regarder ce sport ?

 

 

Un bref historique

Considérée comme la reine des catégories du sport automobile, comme un aboutissement pour les pilotes, elle est l’un des évènements sportifs les plus médiatisés, avec la coupe de monde de Football et les Jeux olympiques. La Formule 1 est officiellement crée en 1946, sa réglementation est effective en 1948 et voit s’ouvrir son 1er championnat en 1950. Elle trouve son origine dès les années 20/30 avec les courses automobiles disputées en Europe. Au fil du temps, l’escalade des performances, la puissance croissante des moteurs ne vont pas sans engendrer des problèmes de sécurité. Des changements réglementaires tentent d’endiguer le taux de mortalité des pilotes (35 décès de pilotes en course ou en essai). De l’ innovation à la révolution technologique en passant par le basculement économique, introduit par les pays émergents, la formule 1 ne cesse de changer d’ère.

  • Le cas Mercedes

55 ans après leur accident tragique survenu lors des 24h du Mans de 1955, le constructeur auparavant motoriste, s’engage sous son propre nom, Mercedes Grand Prix, en 2010, pour les championnats du monde. 2014 marque le début d’une période totalement dominée par Mercedes Grand Prix, avec cinq titres des constructeurs, cinq championnats du monde des pilotes (Lewis Hamilton en 2014, 2015, 2017 et 2018, Nico Rosberg en 2016), soixante-quatorze victoires entre 2014 et 2018, trente-neuf doublés, quatre-vingt-quatre pole positions, et un record de dix-neuf victoires et vingt pole positions en une saison en 2016.

Mercedes et le marché français :  Marque leader du premium en France devant Audi et BMW en 2017. Avec 68’007 immatriculations au 31 décembre 2017, au sein d’un marché global qui avoisine les 2’110’000 véhicules neufs, Mercedes reprend son fauteuil de leader et enregistre, par la même occasion, sa meilleure performance dans l’Hexagone. Source

 

 Typologie des circuits

Screenshot_2019-03-28 Grand Prix de Formule 1 — Wikipédia.png

A raison de 35 millions d’euros exigés par la FOM, les pays émergents ont pu bénéficier de l’autorisation d’organiser leurs propres grands prix.

Argent & politique

Stratégie & modifications

FOM ( Formula One Management) – En 2017, à la suite de la prise de contrôle de la Formule 1 par le groupe américain Liberty Media, Chase Carey prend les commandes de la discipline et remplace, à ce poste, Bernie Ecclestone qui a régné, sur elle, durant quatre décennies.

Bernie Ecclestone, homme d’affaires anglais, s’est illustré au travers une stratégie de conquête des pays émergents: sur les 21 épreuves du championnat, il faut en compter 12 organisés hors d’Europe. Celui, qui s’est exprimé, en 2016 sur le fait qu’il refusait de voir des femmes au volant des monoplaces au motif qu’elles ne serait pas crédibles, s’est vu, en 2014, accusé d’ avoir versé 44 millions en pots de vin pour prolonger son règne de 40 ans sur la formule 1….

  • Une volonté d’exclusivité

En 2008, lorsque le coût du plateau – c’est-à-dire la facture garantissant la présence des 22 acteurs de la F1 – a approché les 18 millions d’euros par an, la Fédération française du sport automobile, qui avait pris le relais des organisateurs, a abandonné la partie: c’est donc la suppression du Grand-Prix de France de Magny-Cours*. Celle-ci a été  vivement critiqué par les fans.  *Ce circuit, situé dans la Nièvre en Bourgogne, a accueilli un grand prix de 1991 à 2008. La France a perdu ainsi un circuit qui permettait de créer de la diversité au regard des publics tant en termes de territoire/région mais aussi socialement par opposition à Monaco ou au Castellet. Désormais, la France est exclusivement représentée par la région du sud-Est pour l’organisation de ses grands prix.

Rolex– « La marque signe un accord de partenariat global avec la Formule 1. Elle devient, à partir de 2013, et pour plusieurs années, l’un des principaux partenaires de la Formule 1™ en tant que Chronométreur Officiel et Montre Officielle. »Source. Cette marque de luxe, pionnière du sponsoring sportif, est visuellement très voire trop présente sur les circuits, au point de saturer et de créer, de par sa présence exclusive, une forme de pollution visuelle. En termes d‘image, « Rolex reste la marque non seulement la plus connue du monde, mais aussi la plus prisée sur le marché du vintage. Un succès qu’elle doit en partie à ses collectionneurs dont la passion a tendance à devenir une obsession », soulignait le journal Le Point en 2016. Source

  • Un changement de marque, changement de monde

Rolex représente 4, 3 milliards de C.A estimé en 2014, elle se place 1ère au classement des maisons horlogères suisses en terme de chiffres d’affaire.

Tag Hauer est un partenaire historique de la course automobile avec les 24 h du Mans et la Formule 1 via ses partenariats avec Ferrari puis McLaren (depuis 1985).  Ce dernier a aussi sponsorisé les très grands de la discipline: de Fangio à Alain Prost, en passant par Ayrton Senna, ou plus récemment Kimi Räikkönen, Jenson Button et Lewis Hamilton. Cette marque est également associée à Steve McQueen et à sa « Monaco » au poignet pour son film Le Mans (1971). Cependant, en termes de poids, Tag Hauer pèse cinq fois moins que Rolex.

Steve McQueen Monaco Tag Hauer Le Mans.jpg

  • Les pays émergents et la culture masculine

« La croissance du marché masculin dans le luxe est intrinsèquement liée au développement économique des pays émergents, en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou en Afrique. « Ici, on est bien loin du modèle occidental qui conjugue surtout le luxe au féminin », souligne Joëlle de Montgolfier, directrice senior du pôle Études & Recherche chez Bain & Company sur la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. La Chine fait figure d’exemple et de leader : au niveau national, la part des achats masculins s’élève à 70 % du secteur du luxe. » Source

  • La formule 1 et les femmes

Cette discipline sportive que l’on pensait exclusivement réservée aux hommes en termes de pilotes fait apparaître quelques petites surprises: Lella Lombardi, la dernière en date, a été la seule a avoir participé au plus grand nombre de grand-prix. Elle est la seule femme à avoir terminé un Grand Prix de Formule 1 dans les points, en Espagne lors du championnats du monde 1975. Elle se classera 6ème. Nous pouvons citer également Divina Galica, Désiré Wilson et Giovanna Amati.Source

Les GRID GIRLS

« Employer des grid girls (filles sur la grille) a été un élément de base pour les Grands Prix de formule 1 pendant des décennies », a rappelé le patron américain (de la FOM) Jusqu’à leur remise en cause à la mi-décembre 2017. Pour l’occasion, la BBC effectue un sondage auprès de ses auditeurs. Il en ressort que 60 % sont favorables au maintien des filles sur la grille.

Depuis 2018, ce sont des enfants qui accompagnerons les pilotes (à surveiller pour cette période de grand-prix 2019 qui commence). L’idée étant de contribuer au rajeunissement des publics, d’apporter davantage de divertissement et de défendre des valeurs sociétales différentes, une des conséquences du mouvement #MeToo Source

Bernie Ecclestone (patron de la F1 pendant 4 décennies), 87 ans, s’exprime sur le sujet: » « Les pilotes aiment [les grid girls], le public les aime, et ça ne pose problème à personne. Il faudra m’expliquer en quoi cela gêne de voir une fille, jolie qui plus est, se tenir avec un panneau devant une voiture avant le départ d’un Grand Prix. »Source

Anciens mondes Vs Nouveaux mondes?

La stratégie de FOM consiste en un repositionnement sur le marché mondial de la marque avec d’une part son redéploiement géographique – Le retrait de certains circuits relevants des pays de  « l’ ancien monde« , substitués par ceux  des « nouveaux » –pays dits émergents-  est potentiellement envisageable. En termes d’image, la FOM veut incarner la puissance du luxe et s’assurer des capitaux extérieurs au détriment des publics fidèles, des sportifs et de la vision même du sport. Une forme de pureté perdue est régulièrement soulignée par les anciens sportifs et publics. De plus, l’hyper sophistication des monoplaces apporte une certaine vision du sport automobile qui peine à toucher, à émouvoir. Les monoplaces sont des engins extrêmement complexes, ce qui ravit les experts/marques mais n’est pas source d’intérêt chez les publics.

La décennie 1990 plébiscitée par les publics

Une certaine nostalgie est remarquée lorsque les journalistes sportifs de la chaine « Formula One » (YouTube – 2 millions d’abonnés) demandent aux  internautes, en 2016, de voter pour leur « duel préféré entre pilotes » lors de grands prix ou encore leurs grands prix d’Espagne, de Belgique, d’Autriche préférés: les années retenues (dans l’ordre) sont 1992, 91,  98 et 99.

  • 1994 et la question de l’éthique

 Questionner l’éthique des intérêts financiers dans le sport c’est aussi revenir vers des accidents mortels. Le circuit d’Imola a provoqué le décès, sur le circuit, de l’autrichien Ratzenberger le samedi 30 avril 1994. Une loi italienne interdit l’organisation ou le maintien d’un événement sportif en cas de décès d’un des acteurs. Roland Ratzenberger est pourtant mort sur le coup mais les officiels se seraient arrangés pour que son décès ne soit annoncé qu’à l’hôpital de Bologne. Propos confirmés ensuite par le docteur Ricci, chargé des autopsies de Senna et de Ratzenberger à l’Institut médico-légal de Bologne. Roland Ratzenberger n’est pas mort «d’un arrêt cardiaque», comme l’affirme la Fédération internationale de l’automobile (FIA), mais a été tué sur le coup. Source Le lendemain, dimanche 01 mai, Ayrton Senna se présente dans le paddock, prend le volant de sa Williams et meurt à son tour, juste après l’accident, devant 300 millions de téléspectateurs…Mais là encore l’annonce de son décès ne sera indiquée qu’à la fin de la course.

  • La place de la politique en deux épisodes

Réunies au sein de la Formula One Constructors Association (FOCA), un groupe de pression destiné à défendre les intérêts des principales écuries britanniques entendent peser plus lourdement sur la direction de la discipline en profitant de la passivité de la CSI.

En 1978, avec Jean-Marie Balestre nommé à la tête de la CSI, les choses changent. La CSI devient FISA. Les conflits entre les deux groupes FOCA et FISA se « soldent » avec les différents acteurs concernés en 1981. Ils signent, les « Accords de la Concorde » qui entérinent le partage des pouvoirs entre FISA et FOCA…

  • La géopolitique

la Chine ou la Russie aujourd’hui, ou dans un but d’expansionnisme économique, le Qatar, entretiennent des relations tortueuses avec le sport. Ce dernier est un soft power qui permet d’exister aux yeux du monde et d’attirer des capitaux extérieurs.

Conséquences sur les publics

Alors que, comme nous l’avons cité en amont, le duel Senna/ Prost passionnait à hauteur de 300 millions de téléspectateurs il y a plus de 20 ans, ils sont 400 millions en 2016. Ils étaient 450 millions en 2014 contre 510 millions en 2011. Le désintéressement n’est pas seulement français ou européen mais bien mondial. Ces chiffres interpellent d’autant plus que la population mondiale ne cesse de croître, à raison de 400 millions tous les 5 ans et que le nombre de grands prix est passé de 162 (1990/99) à 177 depuis 2010.

« Le Wall Street Journal révèle, en outre, que deux facteurs, pouvant expliquer cette baisse importante, correspondent à une deuxième partie de saison dominée par Sebastian Vettel (Ferrari depuis 2015) et au changement de diffuseur en Chine et en France. »Source

2013, diffusion sur canal +

« En passant sur Canal+, chaîne payante, les audiences ont chuté en France car les téléspectateurs ne souhaitent pas payer un abonnement uniquement pour regarder les courses de Formule 1. Il est vrai que le dimanche après-midi, les français entre autres, avaient pour habitude de regarder les Grands Prix sur TF1.

L’impact des modes de diffusion a été, en partie, rejeté par certains publics car ces derniers étaient excluants.

  • Lorsqu’on « sonde » des personnes à ce sujet, les 18 – 25 ans se souviennent que « leurs parents regardaient le Grand Prix » mais eux se sont très vite désintéressés du sport automobile. « 

Remarques: L’impression formulée par les publics est qu’il n’y a plus autant de compétition qu’auparavant entre les coureurs, que le podium est occupé par les mêmes constructeurs et ne laisse plus de place aux surprises ni aux outsiders. De plus, cette typologie de course (sa longueur ou son absence de surprise) peut ne pas correspondre à la génération « z » souvent associée à la culture du « zapping ».

L’image véhiculée d’un sport sous influence politique/géopolitique et financière est doublement négative lorsque les stratégies se font au détriment des coureurs. L’interrogation porte sur « l’essence du sport » ? Que reste-t’il de sa dimension humaine et de ses valeurs ?

Stratégie mise en place

  • Renouveler son public, le rajeunir.
  • Séduire un nouveau public via FB avec des monoplaces « plus agressives », « plus performantes ».
  • L’âge des coureurs est à prendre en considération, par exemple Charles Leclerc est le 1er coureur automobile à rentrer chez Ferrari (2019) si jeune, il a 21 ans. Pour les grands prix 2019, ils seront les plus jeunes à concourir (tous ont moins de 25 ans) depuis 1950.

 

Quittons le paddock pour écouter les paroles d’un conseiller d’orientation:

« Vous savez, Antoine n’aime pas trop les activités intellectuelles ; il ne lit quasiment pas, écrit très peu et en plus il a une orthographe épouvantable… Peut-être serait-il plus à son aise, plus heureux, dans une filière professionnelle… » Source

 

3. LA MÉCANIQUE

 

La mécanique (à comprendre par « secteur »), premier employeur de France, est présente dans de nombreux secteurs de pointe comme l’aéronautique, l’énergie, la mécatronique, la robotique… Les recrutements font la part belle aux jeunes techniciens et aux ingénieurs.Source

Mécanique et école

Cette tribune de 2016 d’Alain Bentolila parue au Journal Le Monde nous rappelle le mépris entretenu de la France pour ses métiers, ses filières techniques.

 » Comme si les activités manuelles étaient le juste aboutissement ou la juste sanction de l’échec scolaire. Disons-le fortement, il s’agit là d’une insulte aux savoirs fondamentaux comme à la noblesse du geste. »

 

Pour traduire l’échec scolaire ou le désaveu de l’école, voici comment sont considérées les personnes en fonction de leur parcours scolaire selon Roger Cornu  {( sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)} « si vous n’avez pas le bac, aujourd’hui, vous êtes considéré comme un déchet« . Comment comprendre ce rapport à l’autre alors que ce système injuste produit de l’image négative. Commençons par la question de l’impérieuse nécessité de la main-d’œuvre.

Travailleurs & ouvriers

Dès la première guerre mondiale, la France, doit faire face à une pénurie de main-d’œuvre masculine nationale. Celle-ci s’impose aux autorités françaises comme un des problèmes les plus aigus. Après 1945, c’est principalement à l’Italie de pourvoir la France en travailleurs. Cependant, à la fin des années 1950, l’immigration italienne vers la France se réduit alors que les besoins en main-d’œuvre augmentent en conséquence de la croissance économique et des effets de la guerre d’indépendance algérienne (suspension de la libre circulation entre l’Algérie et la France, mobilisation du contingent). Si l’Espagne devient la principale source de travailleurs immigrés, les autorités françaises commencent à tolérer plus amplement la venue irrégulière d’étrangers.

Nous allons observer certaines caractéristiques migratoires. Nous savons qu’au Petit-Quevilly s’est installée une importante communauté portugaise. L’immigration portugaise ne date que de la fin des années 50. Les Portugais deviennent en quelques années la « communauté » étrangère la plus nombreuse. En dix-sept ans, les Portugais en France passent de 20 000 (1958) à 750 000 (1975). Source

Cette carte fait apparaitre une très forte progression de la part de la population active employée dans l’industrie qui correspond à l’essor industriel mais l’on constate que tous les territoires ne sont pas concernés de la même manière. Nous pouvons remarquer que la Seine-Maritime est dans le « rouge » (plus de 40% de la population active) depuis 1860.

 

  • Travailleur, ouvrier, employé ?

L’ouvrier ne se définit plus comme tel, nous indique Martin Thibaut (sociologue du travail à l’université de Limoges, a entamé son enquête, Ouvriers malgré tout (Raison d’agir éditions, 2013). Ces derniers ont investi d’autres secteurs. Il se tertiarise. Par ailleurs, il observe que la parole est donnée aux ouvriers lorsque les entreprises sont délocalisées car « Ils apparaissent comme un monde vieux, finissant« .

Selon l’Insee, la France compte 6,3 millions d’ouvriers, classés en trois catégories : qualifiés, non qualifiés et agricoles. Un chiffre en net recul par rapport aux années 1970. Alors qu’ils occupaient 40 % des emplois il y a quarante ans, ils n’en occupent plus que 20,5 % aujourd’hui. Source

Au total, un homme français sur trois ayant un emploi est encore un ouvrier. (Le secteur reste masculin à 80%)

« Les ouvriers représentent encore près du quart (21,5 %) de la population active, c’est important. Ce qui a vraiment décliné, c’est leur visibilité  » selon le sociologue du travail, David Gaborieau

 

« On s’intéresse rarement à l’intérieur des usines, comme s’il n’y avait plus que des ouvriers sans emploi » ajoute Roger Cornu { ( sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)}.

Les ouvriers et leur invisibilité médiatique

« A la télévision, seules 3 % des personnes interviewées sont des ouvriers, contre 61 % de cadres, selon le baromètre de la diversité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) »

Ouvrier – Employé

Les deux « désignations » ont perdu de leur « sens ». Nous aurions pu penser que la question du statut joue entre ouvrier/employé/agent de maîtrise mais, aujourd’hui, la frontière entre le monde des ouvriers et celui des employés n’a jamais été aussi floue. La notion de « classes populaires » traduit cette mixité nouvelle.

  •  75% des employés sont des femmes
  • Les classes populaires sont aussi le résultat d’une hybridation, par exemple, pour exemple, au regard des enfants – le père est ouvrier et la mère est employée.

 

 Géographie des métiers

Selon l’Insee, l’histoire industrielle, le développement des villes et les migrations ont façonné la géographie des métiers. Les ouvriers industriels sont ainsi surreprésentés dans les parties nord et ouest de la France.

 

Mécanique et voiture

La mécanique comme activité technique, comme savoir-faire peut s’appréhender comme une pratique ouvrière. Nous l’avons constaté avec ce rapport « aux mains« , aux travaux manuels pour le tuning mais nous pouvons entendre régulièrement cette banalisation  » du faire « .

 

La question de la réception de la mécanique chez les jeunes

  • La filière de la mécanique

« Alors que l’automobile continue de faire rêver et que certaines filières techniques ou artisanales attirent de nouveau les jeunes, beaucoup d’entreprises en France recherchent activement des professionnels de la mécaniquemais n’en trouvent pas. Un seul et unique constat : le problème ne date pas d’hier ! Il aurait fallu que la branche automobile réagisse plus tôt et lance « un plan ORSEC de communication auprès des jeunes » il y a bien longtemps…Les louables actions mises en place dernièrement ne sont clairement pas suffisantes. »Source

 

Après cette question de la réception et de l’image que nous renvoie la mécanique, nous pouvons, par ailleurs, remarquer que les spécialistes/garagistes ont vu leur métier se complexifier et implicitement leur tarif croître. Sur notre territoire social, nous cumulons les difficultés: notre parc automobile vieillit, nous sommes dépendants de la voiture et supportons difficilement les frais imputés par les réparations. Elles sont parfois très lourdes de conséquence. Observons une pratique qui s’est développée dans les cités puis sur des parkings de résidence, à savoir la mécanique sauvage.

 

3.1 La mécanique sauvage

Lorsque certains parlerons de systèmes D, d’ actions proches de la débrouillardise, du partage qui repose sur des compétences d’autres contesteront, dénonceront bien avant que celle-ci ne soit réglementée…

 

La mécanique sauvage a engendré des abus, a produit des dégâts, elle est, désormais, réglementée. Sachez, néanmoins, qu’elle ne se traduit pas de la même façon et qu’elle n’est pas reçue de la même manière en fonction des territoires où elle s’exécute. Observons, dans un premier temps, la présentation qu’en fait le journal Paris Normandie en 2016, à Évreux:

Évreux, quartier de la Madeleine- « En ces temps de disette économique, toutes les solutions pour mettre quelques sous de côté sont bonnes à prendre. A fortiori lorsqu’il s’agit d’effectuer des réparations sur son véhicule. L’automobile est le troisième poste de dépenses des ménages en France derrière l’alimentation et le logement. Ce n’est donc pas étonnant de rencontrer, au hasard des parkings ou en pleine rue, des habitants qui mettent la main dans le cambouis« .Source

Lorsque nous sommes conscients de notre dépendance quotidienne à la voiture, que nous mesurons la situation subie qui est la nôtre. Il paraît tentant de réduire les dépenses en passant par ces « mécaniciens de l’espace privé/public ». Pour certains territoires, cette pratique s’est ancrée historiquement, en Ile-De-France, comme  un garagiste de Vitry- Sur- Seine le fait remarquer : « la mécanique sauvage en banlieue c’est vieux comme le monde »   Source

Quel territoire social  est concerné ?

D’un point de vue extra local, c’est-à-dire ici, en bas de mon immeuble au Petit-Quevilly, j’assiste, depuis déjà quelques mois, au déroulement d’ « interventions mécaniques » à ciel ouvert avec ce qu’il faut comme odeur, bruit et dégâts sur ce que je définirais comme un parking privé de résidence…Je me suis tout d’abord demandé qui réparait quoi? Un voisin, de mon quartier, en galère avec sa voiture, me suis-je dit. Puis, les véhicules changent de formes, de marques et de couleurs. Hier, jour ensoleillé de mars, c’était au tour d’un camion, dommage pour l’aération de mon appartement…

Un souvenir lointain quant à cette pratique m’est alors revenu à l’esprit. Nous sommes dans le milieu des années 90, dans les hauteurs de Nancy et de son Haut du Lièvre. Je revois, au pied de l’immeuble des comportements qui me semblaient appartenir à un autre monde, telles que ces familles qui allaient chercher leur caravane et qui s’installaient, tout l’été, sur le parking prenant ainsi des vacances in situ. Et puis, cette mécanique, un peu partout au point de ne pas imaginer qu’elle puisse être, un jour, qualifiée de « sauvage ».

  • En 1957, l’architecte Bernard Zehrfuss se met donc à l’ouvrage pour construire les plus grandes barres frontales d’Europe – plus de 400 mètres de longueur. Les travaux, qui s’échelonnent sur treize ans, donnent naissance à un quartier qui compte 3 400 logements et héberge alors 12 500 personnes. En crise dès 1962, ce quartier compte aujourd’hui 6500 habitants .Source

C’est, en effet ce qui me frappe, la distance temporelle entre mon souvenir et aujourd’hui. Il s’est passé presque 20 ans. Pourquoi en parlons-nous de cette manière désormais alors que cette mécanique existe, au point de faire partie intégrante de la vie d’un quartier, depuis « toujours » ou presque ?

Retournons un instant en région parisienne avec les réactions, en 2014, d’une municipalité.

Le Maire d’ ERMONT & La mécanique sauvage

Par un arrêté municipal, la commune d’Ermont dans le Val d’Oise (95), en quatre articles, interdit la mécanique sauvage, le 17 juin 2014. Ermont est une commune de 30 000 habitants au nord ouest de Paris. Le maire, à l’origine de cet arrêté, est Hugues Portelli. Personnalité politique en place depuis 1996, Hugues Portelli, au sein de son territoire social, a pu donner à vivre en 2008, un épisode singulier avec les Restos du cœur. En effet, il a crée une polémique en qualifiant la distribution de repas par Les Restos du cœur « d’assistanat« , il a interdit les maraudes de l’association à Ermont malgré les protestations de la Ligue des Droits de l’Homme (Source).

 

« La distribution de repas, c’est de l’assistanat. Nous préférons accompagner nos habitants les plus démunis en faisant de l’insertion par notre épicerie sociale, notre centre communal d’action social ou encore notre partenariat avec la Croix-Rouge. Grâce à leur travail, nous n’avons pas de SDF sur la ville. »

 

Voici, une capture d’écran de leur arrêté:

Screenshot_2019-03-26 Mécanique sauvage.png

Source

La Maison des communes de la Vendée* cite, dans un document concernant les pouvoirs du maire, ceci: (Source)Screenshot_2019-03-26 POUVOIRS DU MAIRE ET LE STATIONNEMENT - 5_reglementation_du_strationnement_circulation_mise_en_fourri[...].pngScreenshot_2019-03-26 POUVOIRS DU MAIRE ET LE STATIONNEMENT - 5_reglementation_du_strationnement_circulation_mise_en_fourri[...](1)

Remarquons la date du décret, 1964.

*La Maison commune de la Vendée regroupe 6 entités juridiques distinctes qui depuis de nombreuses années travaillent ensemble au service des collectivités des élus et de leurs agents : le Centre de Gestion de la Fonction Publique Territoriale, l’Association des Maires et Présidents de Communautés de Vendée, l’Association Vendéenne des Anciens Maires, e-Collectivités Vendée, GéoVendée et le Fonds Départemental d’Action Sociale.

 

  • Une reterritorialisation d’un espace

Les troubles, que la mécanique sauvage engendre, relèvent de l’environnement et de la tranquillité publique. Ce qui change ce sont aussi les populations, cette pratique tolérée hier se voit aujourd’hui interdite. Est-ce ce changement de populations, ou est-ce la prise en compte de valeurs sociétales et donc environnementales (RSE) qui ont engendré cette règlementation ?

Une façon de reterritorialiser (par l’ autorité) un espace social (public ou privé) s’est exprimée. Paradoxalement, la parole citoyenne, à force de plaintes, a été entendue. Ce changement de mentalité a pu produire, pour certains, une modification de taille dans le sens où le territoire qui était partagé mais « subi » redevient commun et neutre. Pour ceux qui s’étaient « appropriés » cet espace, ils ont été dans l’obligation de se « retirer ».

Longtemps, ce débordement sur l’espace partagé fut « admis » car d’une part, il faisait partie intégrante d’un décor social et d’autre part parce qu’il prenait vie au sein d’un territoire ghettoïsé. Une façon politique de laisser les populations évoluer entre elles sans que la mairie ne se responsabilise ni ne s’occupe de ces espaces de référence souvent éloignés/ex-centrés. Une manière indirecte de signifier que cet espace social ne fait pas partie des politiques publiques de la ville.

Cette pratique, quasiment culturelle au vue de sa temporalité et de son mode d’existence, a subi une assimilation. La mécanique « sauvage « est devenue l’incarnation d’un folklore désormais non désiré. Un comportement politique s’est manifesté en vu d’ intégrer ces « minorités » à un groupe social (la ville dans son ensemble) en demandant à cette pratique de répondre aux « caractères » qu’exige le groupe. La conséquence première fut sa proscription.

Tant que la considération de ces espaces, souvent de relégation, n’était pas effective, ces quartiers étaient appréhendés comme des « non-quartier d’une ville« . Ces espaces insulaires se sont développés au fil de ces habitants et donc de leurs pratiques. Durant cette période, (plusieurs décennies) la « mécanique sauvage » ne dérangeait personne ou presque.

  • Qu’est-ce qui est commun?

Les abus de la mécanique sauvage sont évidement à contester mais pourquoi au lieu de verbaliser, d’interdire, ne pas proposer des espaces communs et citoyens de partages d’expériences dédiés à cette pratique ne sont pas initiés ? A l’instar des garages citoyens, des selfs garages sont souvent impulsés par une association, il existe, d’ailleurs, un annuaire de ces derniers Source

L’intérêt pour une commune

  • Recréer du lien social tout en facilitant la transmission de savoir-faire.
  • Réactiver ces ressources spécifiques (savoirs et compétences)
  • Susciter des vocations
  • Signifier une marque de confiance aux habitants
  • Permettre l’autonomie citoyenne
  • Faire réaliser des économies à tous

Sur le site « Self garage » , 150 garages associatifs sont référencés dont 2 en Seine- Maritime (Franqueville St-Pierre et au Havre) et 4 dans l’Eure pour finir, 2 dans le Calvados, 4 dans la Manche, et un dans l’Orne

En Seine-Maritime, les deux selfs garages référencés reposent sur des initiatives impulsées depuis une commune de 6100 habitants environ et une autre de 170 000 autres. Nous pouvons nous demander pourquoi, sur des territoires sociaux avoisinant les 20 000 habitants en moyenne, ce type de proposition ne voit pas le jour ?

En intégrant, à une politique de ville, tous les citoyens, nous agissons dans une logique de partie prenante, sans hiérarchisation entre les individus, sans stratification sociale supplémentaire.

Le vélo connait ce type de propositions, de plus elles sont très bien accueillies par les habitants et collectivités. Toutefois, cette pratique concerne majoritairement les résidents de centre -ville.


 

3.2 « BIG BANGERS »

 

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Crédits David de Beyter

Une autre pratique s’inscrit également sur un territoire social, rural cette fois-ci. Avec le crash de voiture comme art de vivre, les Big Bangers nous convient à un spectacle sans appel.

2008 – Voitures (destruction) Big Bangers

« Big Bangers « : une pratique dérivée de l’auto-cross, sport populaire dans le Nord de la France. Celle-ci consiste à provoquer des chocs violents de véhicules, de «good crash», dont l’unique gain/motivation serait le spectacle de la destruction et la contemplation de son résidu, l’épave, ou selon le terme des amateurs de cette communauté une «auto-sculpture». Source

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Crédits David de Beyter – 207

« La carcasse semble tombée du ciel, à pic, dans ce champ hivernal. A moins qu’elle n’ait poussé là, comme un mirage dans un sillon de boue. » Source

AUTO CROSS

Ce sport, populaire dans le Nord de la France mais aussi en Belgique, est aussi très développé en Angleterre. La finalité de la course est la réduction à néant de l’objet voiture. Il faut regarder les courses sur circuits à Ploegsteert ou à Warneton pour admirer les ruines s’entrechoquer comme de vieux pots de yaourt calcinés. Mais David De Beyter s’intéresse à tout ce qui entoure la course« . Source

Circuit de Warneton

Big Bangers – Processus

« Il n’y a pas d’intention artistique sous-jacente, juste la jouissance du spectacle de la destruction dans le moment de l’accident mais aussi avant et après, quand il n’en reste que des décombres fumants. Exhiber la voiture brûlée participe aux plaisirs annexes. Elle peut correspondre aussi à une phase de test préparatrice, pour savoir comment et à quelle vitesse le véhicule s’enflamme. » Source

DAVID DE BEYTER

Photographe, né à Roubaix en 1985, vit et travaille à Tourcoing.

Big Bangers, les films

  • Le projet raconté par David de Beyter

Le projet Big Bangers cherche à révéler, dans la représentation d’une pratique de la destruction, une réflexion sur l’obsolescence et la dématérialisation. Par son approche anthropologique, il nous confronte à une sorte de culture brutale et chaotique, où la voiture en ruine devient trophée.

En extrayant volontairement de cette pratique toute une série de formes qui s’apparentent à la sculpture, celui-ci met à mal la notion de progrès et nous plonge dans ce qui semble faire l’écho d’une société qui produit ses propres ruines.Source

  • Les échos humains à ces réflexions

A l’instar du « déchet » pour les personnes qui ne possèdent pas le Bac, de la sous -représentations dans les médias (3%) des classes populaires, nous pouvons poursuivre avec d’autres rapports excluants voire méprisants entretenus avec la ruralité.

L’obsolescence – Ruine, souligne le changement d’échelle, au regard des marchés et de sa production, du monde agricole. Les producteurs français sont confrontés à de très graves difficultés économiques. Précarisés, leurs situations sociales tournent, parfois, aux cauchemars.

La surproduction, le gaspillage, les fermes -usines – La ruralité comme culture brutale vis à vis du monde animal.

Engrais/pesticides/pollution de l’air et des sols -Mise en danger des hommes, faune et flore.

Zone blanche – La ruralité ce sont aussi des espaces de référence qui ne possèdent pas de connexion internet. Ces territoires accusent un manque de renouvellement des populations en partie à cause de cela, et engendrent une exclusion du numérique pour les habitants, alors même que ces derniers voient déjà leurs services publics se raréfier.

Le bassin minier, les industries et l’ère post-industriel du nord de la France

Nous pouvons penser à la fin du bassin minier. Dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, marqué économiquement, socialement, « paysagèrement », écologiquement et culturellement par l’exploitation intensive, de la fin du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, de la houille présente dans son sous-sol.

 

La mutation de l’industrie vers les services n’a cependant pas été totale ; en dépit d’un net phénomène de désindustrialisation et de tertiarisation, la région reste en effet à la fin du XXe siècle l’une des plus industrialisées de France avec un tissu industriel localement dense pour ce qui concerne la métallurgie, automobile, chimie, papeteries (papier-carton), verreries, cimenteries, secteur de l’énergie (nucléaire, gazière principalement) industrie du bois et le secteur agroalimentaire et de la pêche industrielle (conserverie, plats préparés, etc.).

  • L’influence de l’esthétique des films MAD MAX

les visions du monde post-apocalyptiques de cette séries de films ont produit une mythologie qui s’est ancrée dans la culture populaire et dans les arts depuis 1979. La guerre contre le pétrole, la pénurie d’eau pour Fury Road (2015), permettent un exploration dans un monde barbare, sauvage et viscéralement dangereux. Le spectacle oscille entre la représentations des Freaks, le tuning comme pratique ouvertement affiliée et les explosions spectaculaires. Les bruits des moteurs hurlants, les courses poursuites impitoyables ont suscité un intérêt croissant depuis 36 ans.

 

 

Isabelle Pompe, 30 Mars 2019