Aujourd’hui, 1er juillet 2019, c’est le lancement d’une 2 ème campagne de sensibilisation , après T’étais où, là ? Rive gauche, voici « Si la rive gauche était une femme » . Les #rivegauche et #sitespecific restent, vous pouvez leur ajouter #femmerivegauche.
La rive gauche nous apparait de plus en plus comme une femme au sens où elle est soumise à des critères esthétiques qui ne lui permettent pas, entre autres, d’être visible. A cela s’ajoute, le fait qu’elle semble, encore, être considérée comme un objet et non comme un sujet à part entière. De par les travaux d’aménagement, le renouvellement urbain et ses aberrations, nous pouvons affirmer que la stratégie de certaines collectivités de cet espace de référence reposent sur des logiques autoritaires où le pouvoir est centralisé. C’est en cela que l’objet est domestiqué.
Rouen Rive Gauche Feat #sitespecific
Sous le coup de dominations diverses, la rive gauche semble ne pas être la candidate idéale car elle ne répondrait pas aux canons de la beauté imposés. Cet endroit dispose de formidables propositions, la tour Tougard, par exemple, est une merveille architecturale de 1955. La rive gauche est cette modernité brutaliste et controversée qui montre une autre vision historique de Rouen. Une autre vision de cette ville est possible mais les ressources exceptionnelles qu’elle représente ne sont pas activées.
Tour Tougard Feat #sitespecific
Poursuivons avec les stéréotypes attendus. La rive gauche, par son pluralisme, ses paysages et ses visages est la parfaite disruptive. Elle défie tous jugements de valeur, souvenez-vous. Elle est cette femme indépendante.
Rue de Trianon Feat #sitespecific
Elle incarne la fin d’un monde car les modèles dominants ne sont pas parvenus à faire d’elle ce qu’ils souhaitaient. Elle est ce refus ostensible et catégorique. Nous pourrions croire qu’elle a plié, qu’elle est « démodée », elle se moque de tout cela, bien trop occupée à briser les préceptes. Elle est cette friche, ne l’oubliez pas. Elle est cette matérialité devenue objet de convoitise, d’études et de projets.
Roseraie de Grand-Quevilly Feat #sitespecific
La rive gauche est ce grand territoire aux passés, en partie, ouvriers qui a vu la domination s’exercer sur ses sols. Certes producteurs d’une économie et porteurs d’un développement, aujourd’hui, comme tout revers de médaille, ce passé et ce présent industriels semblent être les oubliés. La mémoire et les récits de vie de ses habitants peinent à franchir les seuils des portes familiales. Nous ne voyons pas, n’entendons pas. Les visages sont effacés, les souvenirs non commémorés, les liens ne se tissent pas. Les gens vivent sans que leur attachement ne soit respecté, valorisé.
Parc des Chartreux de Petit-Quevilly Feat #sitespecific
Cette rive si souvent jugée, ignorée parce qu’elle n’est pas synonyme d’attractivité, ne serait pas en mesure d’attirer. De quel modèle s’agit-il ? De quelle perception du territoire ? De quelles images ? De celles dont il faudrait qu’elle s’émancipe pour parvenir à être, à exister pleinement sans que ses populations ne soient réduites à de simples usagers, sans que ses paysages ne soient stigmatisés, sans que ses résidents ne soient ignorés.
Jardin des Plantes de Rouen Rive Gauche Feat #sitespecific
Ces images proposent un regard miroir entre la rive gauche et la place de la femme dans les mondes de la culture et de l’art. Elles ont pour volonté de sensibiliser aux questions de la représentation. Ce que dit ce territoire « invisible » trouve un écho puissant avec ce que dit ce rapport, datant de 2018, sur les inégalités du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes
Toutes ces conceptions ont été réalisées à partir des photographies d’ IPL.
#sitespecific s’offre des postes d’observation locaux d’où il peut écouter, regarder, analyser, en résumé, prêter attention à ce qui se fait, se raconte et comment. Le samedi 15 juin 2019, il est allé accorder son temps et son esprit critique à une manifestation dont il entend parler depuis qu’il est arrivé à Rouen rive gauche, en 2014, à savoir l’Armada dans 7ème édition.
A l’aune de quoi peut-on définir cette « Armada de Rouen » ? Un grand rassemblement, une manifestation, un évènement, oui mais est-elle culturelle? Touristique? Populaire ? Les trois ? Est-ce une foire? En espagnol, Armada signifie « marine de guerre ».
A partir de quoi peut-on désigner, « spécifier » ? Des partenaires, des publics, des invités (les bateaux, les locataires d’espaces), des espaces (privés/publics- marchands/ mixtes), de l’occupation du territoire (où et comment)? Et peut-on préciser de quel type ? Et à quoi cela sert-il ? En fait, ce samedi 15 juin fera office de prélèvement. Qui, quoi, où et comment sont donc intégrés à ce fragment dont voici les détails.
Avant de davantage nous prononcer, sachez que nous avons opté, majoritairement, pour un traitement noir et blanc des photos prises ce jour là, plus en phase avec la météo et plus proche du projet et son haro sur le gigantisme. #sitespecific est à taille humaine, à hauteur « d’hommes », tranquillisons donc nos rapports avec l’humilité.
Des hauts diversifiés, Armada 2019, IPL
Un bruit qui court
Avant d’avoir les images, avant même de connaître l’existence des chantiers navals de Normandie (de 1894 à 1986) installés à Grand-Quevilly, nous avons pu distinguer qu’il se tramait ici, une page maritime « majeure ». Assurément, l’Armada semble avoir coiffé au poteau toutes les odyssées flottantes du coin. Nous distinguerons les modes opératoires communicationnels et promotionnels de l’outil protéiforme qu’est l’Armada plus en aval de l’article.
L’année 2019 est l’expression de sa 7ème édition. Cette dernière prend une vie effective le 6 juin 2019 et s’arrêtera, en vrai, le 16 juin. Nous connaissons tous la relativité de la notion temporelle lorsqu’il s’agit de mettre tout le monde à l’unisson. L’évènement démarre sa vie fictive un an plus tôt minimum et prendra fin, qui sait quand ?
Armada renvoie à « grand nombre de personnes ou de choses ». L’Armada s’ancre à Rouen depuis Jean Lecanuet. Cette fête maritime telle qu’elle se définit ou encore ce grand rassemblement de voiliers voit le jour, la 1ère fois, en 1989 (bicentenaire de la révolution française).
Majeur trop majeur ?
L’Armada est un mètre étalon qui vient rythmer l’année 2019 rouennaise dans son intégralité. Une hyper focalisation intentionnelle qui signe le début et la fin de l’année avec elle. Que reste-t’il à l’année 2019 ? Que reste-t’il à Rouen comme énergies, projets et possibilités ?
L’évènement majeur est par définition « dangereux » dans le sens où comme pour toute mastodonte, le monde, les enjeux, les regards…Se portent tous au même endroit et sur la même période. Il uniformise, en conséquence, les actions et programmations, écrase, empêche et hiérarchise. Lui est majeur, le reste est mineur par définition voire ordinaire de toute façon. Majeur c’est l’imaginaire de l’exceptionnel, le fantasme du Grand, le miroir déformant capital et premier. L’évènement maître donne le La, figure le primordial, incarne le principal. Nous sommes, vous l’aurez compris, loin d’une mémoire collective, l’essentiel vient annuler le pluriel, le Un vient chasser le commun. Pourtant l’Armada c’est aussi un fort succès populaire, les gens sont venus en très grand nombre. Toutefois, ce n’est pas à l’aune de ceci que nous étudierons l’approche des publics.
Le Majeur insulaire, Armada 2019, IPL
Lui, c’est un lieu également, là où les gens se déplacent, irriguent, un point de convergence, un point de mire où l’on se plait à se voir plus grand que nous ne sommes ou plus importants. Ces grandes manifestations sont source de liesse, de fierté. Nous lisions hier, Frédéric Sanchez (Président de la Métropole), s’exprimer en ces termes: « Pour l’Armada 2019, on met le paquet ». Source
La Métropole Rouen Normandie, premier partenaire financier de l’Armada, souhaite s’engager pleinement dans l’évènement. Objectif : faire rayonner notre territoire en France et à l’étranger. Nous avons pu mesurer un problème identifié dont souffre la ville de Rouen et son agglomération, elle n’est pas connue, mal connue. Peu de gens situent la ville, elle est parfois confondue avec le Havre. Depuis ce point de départ très « technique », il faut tenter d’imaginer le chemin à parcourir pour « rayonner ». Verbe que vous pouvez associer, selon votre état du moment, à briller, étinceler, flamboyer…
#sitespecific ne provoque personne mais l’objectif paraît tellement « démesuré »..Et puis luire pourquoi faire ? Pour se répandre, s’étendre, non c’est pour attirer les capitaux extérieurs, les investisseurs car l’image de Rouen n’est visiblement pas la « bonne ». Elle n’irradie pas de toute part. « La compétition entre les territoires se fait lors des évènements de ce type. Les touristes de l’Armada seront peut-être demain nos visiteurs, nos habitants et nos investisseurs. » Ce qu’il serait bon de redire c’est que sur ce territoire élargi qu’est la Normandie, la concurrence fait partie intégrante du décor: une pièce, trois villes pour un seul personnage principal. Qui sera sacrifiée sur l’autel ?
La Métropole Rouen Normandie est intéressante au regard de son incarnation de leader territorial. Elle existe, rappelez-vous les lois des récentes réformes territoriales, pour simplifier le paysage, mutualiser, renforcer les territoires…Pour nous, ici, elle est aurait pu être une aubaine, Rouen et son agglo enfin pacifiée aurait resplendi, rassembler pour se renforcer, mutualiser pour mieux valoriser, communiquer, cela semblait si réjouissant sur le papier. Sauf que les incidences profondes majoritairement politiciennes sont ressenties même par la population. La Métropole ne nous éclaire pas mais nous disperse. Elle s’est servi des 71 communes qui la constitue pour s’arroger la stature de Métropole mais nous sommes très loin du compte au regard de son fameux rayonnement et de son dimensionnement européen. Cet espace de référence n’est que le rassemblement de 500 000 citoyens habitants par le truchement d’un récit fictif.
Si ce n’était que cela, le fait d’être connecté ne nous sortira pas de l’enlisement dans lequel nous sommes si de profondes modifications de posture identitaire, de la part de ceux qui incarnent ce projet métropolitain, ne sont pas impulsées. Ce territoire souffrira longtemps de ses ressources en dormance, de ses initiatives avortées voire peu soutenues. Les habitants sont la raison d’existence de cette métropole, pourquoi ne seraient-ils pas sa raison d’être ? Construisez avec les citoyens habitants présents et non pour ceux que vous souhaitez accueillir demain, repensez avec nous, écoutez ce que le territoire humain vous dit, entendez le.
A Perdre de vue l’humain, Armada 2019, IPL
Les raisons de l’existence et l’accueil de cette édition 2019, soit six ans après la dernière, tiennent aussi au fait que des chantiers ont vu le jour. L’Armada c’est aussi une horloge, un phénomène de pression tant les enjeux et attentes sont immenses.
Chantiers et attractivité
Tous en même temps ou presque, sont par ailleurs de différentes natures et impactent naturellement une population diversifiée. « Des chantiers curatifs, d’accompagnement et d’attractivité » : parmi les chantiers en cours ou à venir, le président de l’agglo rouennaise fait la distinction entre trois types : ceux qui sont de l’ordre du curatif, et dont l’agenda s’impose (trémie et pont Boieldieu, côte de Canteleu) ; les chantiers d’accompagnement, engagés par d’autres collectivités au sein desquels la Métropole participe (parvis de la gare, accès sud au pont Flaubert) ; et enfin, ceux qui ont trait à l’attractivité du territoire (Cœur de Métropole, ligne de bus T4, éco-quartier Flaubert). Source
« Notre territoire est en pleine mutation pour cette 30ème Armada. Nous avons rénové le parvis de la gare, le centre-ville, les quais de Seine et dans quelques semaines nous allons inaugurer la nouvelle ligne de Téor T4 » Frédéric Sanchez Source.
Il ne s’agit pas de la 30 ème Armada, force est de constater, là encore, que les jeux de langage sont monnaie courante mais non, la 1ère Armada a eu lieu en 1989 et depuis se sont produites 5 Armada (94, 99, 2003, 08, 13). Il est bien question de la 7ème seulement et du 30ème anniversaire de la 1ère!
Les travaux, nous en avons mangé, bu, subi, nous n’en pouvions plus, voitures, piétons, vélos, usagers du métro, habitants de quartier, employés, touristes…Trop, c’était trop. Et lorsque nous nous sommes mis dans l’obligation de relire les propos du président de la Métropole, nous avions déjà compris que tout cela c’était pour ça mais la « mutation », les « rénovations », le « renouvellement urbain » nous sont apparus comme imposés. La faute à l’Armada ? « 3 millions d’euros de budget dont 1 million en subvention pour l’association », voici l’apport métropolitain comme 1er partenaire. Ceci reflète surtout un certain type de management, le pyramidal (le modèle d’organisation traditionnel), très loin de la gouvernance, des notions de parties prenantes et du transversal car la métropole s’incarne comme celle qui considère ses habitants comme des usagers et non comme des citoyens. Ce pourquoi, les travaux d’embellissement, les « améliorations », les destructions…Ont leurs raisons consternantes, parfois, d’être. l’Armada est XXL comme l’est le Panorama (décrié dès son arrivée sur les quais), au point de sourire, lorsque nous entendons Frédéric Sanchez parler de pragmatisme au regard des attentes des investisseurs qu’il a reçu lors de RDV au siège de la Métropole.
Pragmatisme ? Doctrine qui prend pour critère de vérité le fait de fonctionner réellement, de réussir pratiquement.
Attitude de quelqu’un qui s’adapte à toute situation, qui est orienté vers l’action pratique.
Créer des centralités fortes
« Devenue métropole en 2015, Rouen (Seine-Maritime) a une place à prendre au sein de la hiérarchie des autres grandes villes françaises. Mais a-t-elle su saisir sa chance ? Dans la compétition qui existe, de fait, entre les territoires, Rouen met-elle tous les atouts de son côté ? Peut-elle s’imposer comme une métropole incontournable ? Si les acteurs et observateurs de la Métropole Rouen Normandie semblent s’accorder sur le diagnostic, l’origine des symptômes et le traitement approprié suscitent pour leur part des divergences. » Source
« Rayonner » suggère une figure concentrique, centrale d’où se propagent les rayons en question. Alors, la création de ce « temple » a vu le jour techniquement, symboliquement, logiquement, tout à côté de la Métropole et de ses équipements culturels comme le 106 et le 107 (Centre d’art Contemporain).
Tant qu’il y aura la Seine, Armada 2019, IPL
La Seine est, à elle seule, un instrument de mesure pour tenter d’y voir plus clair entre Rouen et son rapport au fleuve. Combien d’investissement ont été réalisés ? La date de concrétisation des travaux sur les quais ? 2015. En 2010, les propositions formulées avaient été rejetées au motif que les quais n’étaient pas un espace suffisamment concentrique donc attractif.
l’Armada c’est la création d’une nouvelle centralité. Elle est la double erreur car elle fait suite au centre-ville historique de Rouen et son hyper focalisation qui ne permet plus de créer de distinction. Ce qui nous amènera ensuite à poser ce leitmotiv’ « Rouen, le centre du monde » visible partout, dans nos rues.
A cette illustration centrale placée « au cœur » de la Seine, nous avons ressenti la curieuse impression d’assister à un pèlerinage, rythmé, scindé en horaires et créateurs d’habitudes (feux d’artifice chaque soir). Dix jours et soirs ritualisés pouvant avoir les traits, la forme d’une messe, d’un cérémonial. Étions-nous tous conviés ?
Tirer un trait, Armada 2019, IPL
Avant de nous diriger vers la problématique des publics touchés, venus et/ou ciblés par cette manifestation, pouvons-nous examiner la présence des bateaux plus en détail ? Certains ont retenu notre attention, il s’agit de onze bateaux « gris », militaires où était inscrit : « Affaires maritimes ». A la liesse quasi générale s’ajoutait la fierté militaire normande. Le Thémis (PM 41), patrouilleur hauturier de la Direction des affaires maritimes basé au port de Cherbourg-en-Cotentin (Manche) accompagné par des bâtiments militaires anglais, canadien et hollandais notamment étaient donc présents. Sous pavillon Français, on comptera aussi le Pluvier, un autre patrouilleur également construit aux chantiers navals de Cherbourg mais basé à Brest, ainsi que le Jacques Houdart Fourmentin patrouilleur garde-côtes du service des douanes affecté au secteur Manche et mer du Nord.Source
Quand les affaires sont maritimes, Armada 2019, IPL
A centralité répond verticalité ?
Nous nous sommes rendus sur le site accompagnés par une personne étrangère au projet, ne résidant pas sur notre territoire, elle s’est jointe à nous pour cette expérience humaine afin de participer à ces espaces depuis ses perceptions, impressions, requêtes et remarques.
Dès notre arrivée sur les quais bas rive gauche, nous prenons la mesure que tous, nous allons dans la même direction, dans le même sens ou presque. Peu d’affichages voire pas d’affichage qui auraient pu nous renseigner sur le durée de l’attente estimée, sur les files elles-même. Nous levons la tête et apercevons une banderole métropolitaine mais rien de ce qui nous attend n’est actualisé. Nous allons tous nous cogner à ce mur humain de la file d’attente, à cet entonnoir sans que des files soient distinctement dessinées, aménagées pour parer de manière efficace à la gestion des flux. En chiffre, histoire de vous situer, l’Armada et sa dernière édition c’est :
Vous le saisissez très certainement, les évènement touristiques, culturels sont trop traduits et analysés depuis leurs chiffres, d’ailleurs, l’attente se fait sentir pour celui de la fréquentation de l’Armada (annoncée 1/3 supérieure à son édition 2013…) Passons… Et la place de l’humain dans tous ces chiffres ? Sa satisfaction, son confort, ses impressions ? Qu’en fait-on ? Nous aurions beaucoup aimé qu’une équipe de chercheurs de l’université de Rouen se penchent sur cette « chose » Armada, cet XXL afin de réaliser un travail de terrain à partir d’enquêtes quantitatives (questionnaire) et qualitatives (entretiens)!
Nous, les publics
Avec notre travail in-situ de testeurs/spectateurs, nous pouvons d’ores et déjà avancer que les différentes scènes, plans qui étaient donnés à être vécus, à être vus, faisaient état de :
Un manque d’information une fois sur les quais s’est fait sentir: nous attendions quoi et où devions-nous nous placer ? Créant ainsi un sentiment de compétition entre nous comme celui des caisses de supermarché avec « qui va plus vite? »
Des personnes, sans tact aucun, doublent, s’agacent. Nous restons dans une file en nous interrogeant sur ce flux qui n’a aucun sens et qui est illégal dans sa façon de procéder due à un défaut de parité dans les services de sécurité. Une fouille au corps étant introduite dans le processus de tri au checkpoint sauf que seule une femme est en mesure de fouiller une femme.
Enfin, une femme chargée de la sécurité précise que pour les femmes c’est par là, celles autour de nous regardent nous diriger dans le « bon sens » mais visiblement ne comprennent pas. Parlent-elles français ? Cette information ne sera pas traduite.
Un sentiment particulier s’installe peu à peu, nous nous réjouissons d’avoir mangé en dehors car hormis les carrés VIP et autres terrasses labellisées « New-York » vides, les espaces populaires sont, eux, pris d’assaut au point que les gens mangent assis sur n’importe quoi.
La place du vertical nous assiège dès le début, haut les yeux, lever la tête mais aucun banc ni autre installation n’est mis à la disposition des visiteurs afin de prendre le temps de regarder les scènes dans leur horizontalité cette fois, debout à attendre et debout encore et encore sera notre lot éprouvant jusqu’à notre sortie définitive.
Nous sommes très nombreux, dans un balai incessant, les gens hagards, ahuris, perdus, épinglent des visages perplexes, fatigués. Le personnel des bateaux semblent dans le même état.
Les gens, Armada devant le 106, IPL
Nous passons devant une installation centrale (devant le 107 et le siège de la Métropole). Plutôt bien réussie ce mur pour coloriage à notre gauche par contre nous restons dubitatifs quant à l’offre de droite pour les enfants et adultes située sur la Seine.
Le camping ne met pas en avant d’informations suffisamment claires pour que nous mesurions sa pertinence.
Le 107 ne nous a pas donné envie de rentrer de manière spontanée. Deux raisons à cela: 1/ Trop de vitres qui engendrent un sentiment d’enfermement. 2/ Le nom d’une banque juste au dessus comme si des bureaux bancaires avaient atterri là.
Nous sommes sur place sans plan, sans programme afin de tester les outils communicationnels mis à disposition sur site.
Ils nous paraissent, pour la plupart, être rédigé en français. Mais il ne s’agissait pas d’un « rayonnement » à l’étranger tout à l’heure ?
Nous sommes au pied du pont Flaubert, n’ayant aucune visibilité sur ce qu’il y a ensuite, nous hésitons à poursuivre, nous constatons, le long, la présence de boutiques, et étonnamment, nous avons croisé un stand de la marque Tesla. Nous restons un temps circonspects: un évènement « populaire » et des carrés VIP, des terrasses couvertes pour des services de restauration coûteux, Tesla (la marque touche, en majeure partie, une clientèle aisée)… Mais quelles sont les cibles ? De surcroît, la place centrale allouée aux espaces pour se restaurer n’est pas en mesure d’accueillir la typologie des publics du samedi: très nombreux, familiales et soucieux de leurs budgets.
La verticalité nous éprouve, alors nous décidons d’emprunter les marches du pont Flaubert, nous nous apercevons qu’un sens de circulation nous oblige à prendre tous le même escalier.
Les ascenseurs, non adaptés de par leur taille, laissent attendre de nombreuses personnes avec des poussettes ou d’autres à mobilité réduite…Au point que certains portent leur poussette pour tenter l’ascension.
Le pont et ses coursives peu larges mais opérationnelles facilitent notre cadence. Puis nous redescendons pour nous « amarrer » quai bas rive droite. Nous épinglons un stand de la marque Range Rover et ses tarifs salés: Le SUV Evoque coûte environ 40 000 €. Quel rapport ? Si seulement cette Armada avait pu être le moment pour aborder le transport fluvial comme alternative au transport routier…
La vue saturée et la fatigue sont plus que présents et nous éprouvons la ferme envie de nous asseoir. Oui, mais où ?
XXL versus humanité, Armada, IPL
En fait, après avoir tenter de rester concentrés, debout durant plus de deux heures, nous cherchons en vain à fuir, ne serait-ce qu’un instant ce flux. Oui, mais voilà que la pluie fait son entrée, alors, un lieu d’où s’échappe une petite forme musicale en live, nous tend ses bâches. Tous, nous y retrouvons… Nous sommes bientôt les uns sur les autres non pas pour profiter du concert mais bien pour se mettre à l’abri. De là, au milieu d’œuvres d’art installées tout près de comptoirs aux goodies, nous penchons une tête emplie de compassion pour cette architecture oubliée qu’est le Chai à vin, nous déplorons, une grande scène et le reste en plein air et ce qu’il reste du hangar 23.
Le Chai, un site specific, Armada 2019, IPL
Poursuivons cet éreintant voyage de samedi pourtant au début de son après-midi, vient la question des toilettes. Il faudra compter sur 0, 50 centimes d’euro l’accès! Nous sommes agacés. Pour les gens, qu’est-ce qui est plus simple d’aller au toilettes et payer cette somme ou uriner contre les arbres ? Les visiteurs sont majoritairement composés de familles, de couples (amants/amis), les personnes seules ne sont pas en reste. Les tranches d’âge représentées sont larges (allant de la toute petite enfance – Poussette) aux retraités (3ème et 4ème âge).
La typologie de publics de l’Armada présente le samedi 15 juin 2019, IPL
Nous découvrons ensuite les coursives, les gens qui mangent sur du béton, des moellons, c’est « wild », « roots » tout ce qu’on veut mais c’est surtout déplorable de voir des gens assis par terre dans un cadre aussi peu ragoutant. Pourquoi les arrières des quais rive droites n’ont pas été (davantage) aménagés ? Cela nous parait invraisemblable d’assister à des scènes aussi peu respectueuses des visiteurs. Est-ce au motif de la gratuité ? Faites payer les spectateurs 2 € mais offrez-leur de la dignité dans vos services.
Le personnel n’est pas en reste niveau traitement, nous croisons des jeunes gens en train de dévorer un sandwich par terre, à l’abri, toujours et encore, les gens sont assis sur des trottoirs, des barres pour vélo, se prennent en photo et cela nous touche qu’ils ne soient pas plus « aimés que cela. » Et c’est avec la considération de ces annotations que nous nous rendons compte que cette manifestation XXL est bien loin de satisfaire ses publics et ne peut porter le nom d' »évènement fédérateur » voire populaire.
L’Armada et ses coursives tristes, juin 2019, IPL
Nous prolongeons encore notre visite. Sans le faire exprès, les moments pénibles reprennent le dessus, le flux certes mais la sortie, au pied du pont Flaubert, est la seule issue qui fait office d’échappatoire. Avant de nous y rendre, nous passons devant les bateaux militaires, restons conscients que plus rien n’est grave, quoi que et puis, nous croisons des marins, seuls ou en groupe qui affichent une profonde désespérance. Ils en ont marre. Comme nous les comprenons. Toutefois, nous partons, à la recherche de ces visages afin de mesurer l’écart en distance qui leur est nécessaire pour décompresser du site. Ils sont publics, comme nous.
Les marins sur le départ, Armada 2019, IPL
De là, où nous sortons, nous mesurons le peu de place accordé aux vélos, pas de parkings présents. la traversée en direction de Docks 76 s’opère, nous restons persuadés que nous trouverons de quoi nous asseoir et boire un café avec une vue un peu dégagée. Erreur, la queue aux toilettes est longue et ils sont payants également, de plus le moindre espace libre à l’intérieur du centre est pris d’assaut par nos marins et notre personnel de l’Armada (à en juger par leur badge). Mais, là où nous nous arrêtons dans nos réflexions c’est sur la présence des marins, au pied de l’affichette: « Rouen, centre du monde ». Ils sont en poste, semble-t-il ? Euh…Les pauvres. Alors que nous parvenons à nous poser, nous faisons l’expérience d’un centre bondé par des gens venus s’asseoir. Les offres de petite restauration ne désemplissent pas. Heureusement que les DOCKS 76 sont là pour pallier cette demande insatisfaite par l’Armada elle-même. Il est 15H30. Nous nous sommes plus ou moins remis et nous repartons visiter cette fois le quartier afin de voir jusqu’où les publics de l’Armada s’étirent. Nous croisons quelques marins venus manger seuls, isolés, au milieu des bas d’immeubles. Nous continuons et les parkings (qui ne nous avaient pas concerné jusque là) font leur apparition: 3,50 €/ l’heure. Les visiteurs improvisent naturellement leur stationnement sur les contre allées, l’herbe…Nous partons en direction de la préfecture, nous détendre encore un peu et profiter des rayons de soleil et de la vue dégagée qui nous sera promise. Bien sûr avant d’arriver à bon port nous n’avons cessé de croiser les verticalités des mats pour chaque rue parallèle, un spectacle, en soi, joli.
Depuis la préfecture, le Dôme du tonnerre, H20 et un bateau, Armada, IPL
Vous le voyez bien à droite, la grande architecture arrondie, le dôme du tonnerre comme nous aimons le surnommer non sans ironie, et bien il est une des raisons invoquées pour ne pas accueillir un autre bateau. Par manque de place sur les quais, la faute au Panorama XXL, l’Aquarius ne fut pas autorisé à accoster…
L’Armada, les coulisses
L’aquarius
Un bateau a sauvé l’honneur de l’Europe en recueillant plus de 30 000 naufragés, c’est l’Aquarius. Affrété entre février 2016 et décembre 2018 par l’association SOS méditerranée, le bateau est ensuite immobilisé pour des raisons administratives et judiciaires. Source
« L’Armada, manifestation populaire et fête maritime réunissant des citoyens du monde entier se doit d’accueillir l’Aquarius afin de lui rendre l’hommage qu’il mérite, un hommage humaniste et fraternel.« Source
Faute de pavillon c’est la fin d’activité du bateau, alors des associations, au nombre de 27, se lancent dans le projet solidaire et généreux de proposer l’ accueil de ce dernier pour l’Armada.
Un extrait du Communiqué de presse du 24 avril 2019:
« Des représentants du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU ont annoncé mardi 23 avril 2019 le naufrage d’un chalutier dimanche dernier au large de la Libye faisant 800 morts. Ce chiffre macabre ne cesse d’augmenter, malheureusement dans l’indifférence de nos gouvernants. »Source
En marge des quais bondés de l’Armada de Rouen, ils sont une petite dizaine d’associations humanitaires (Amnesty International, ATD Quart Monde, Emmaüs, Médecin du Monde, …) à se rassembler, vendredi 14 juin, pour interroger l’organisation de l’événement : où est l’Aquarius ?
« Cela aurait été avec plaisir mais nous n’avons plus de place. Cela fait 5 ans que l’on place les bateaux invités à l’Armada. Cette demande arrive trop tard. Nous avons du aussi refuser le multicoque de François Gabart » explique le président de l’Armada, Patrick Herr.
Peut-alors observer un évènement à l’aune des éléments de réponse formulés par sa présidence ?
Pour reprendre les propos de Bertrand Rouzies pour Médiapart et son article du 8 février 2019 « le signal de ce refus est désastreux ». L’exemplarité telle qu’elle est précisée pour les services rendus en mer, aurait pu trouver sa « place » au sein de la grande manifestation.
» Une fête « populaire » et « gratuite » (le visiteur est le produit) qui, au-delà des retombées commerciales escomptées, se présente comme « l’événement fédérateur de l’axe Seine » . L’Armada se serait ainsi autorisée une représentation plus humble. L’humain face à cet XXL, à ce monumental à l’instar de la mer, est bien frêle. Justement, la vulnérabilité de l’Homme est sans cesse questionné au sein de cet élément naturel. Alors, la demande était légitime, en effet, de nous rappeler et, ce, d’une manière victorieuse, puisqu’il s’agissait ici d’accueillir un bateau symbolique pour son assistance, que la mer est une territoire de droits.
Les messages retenus
Avec les raccourcis, vous retiendrez « pas de place pour le droit des hommes », « pas de place pour les mains faibles ». Vous ajouterez l’accueil de la « fierté militaire » et ferez vos associations d’idées. C’est avec cela que chacun nous construisons notre « tout », c’est-à-dire, ici, notre expérience de visite. Vous l’aurez saisi, nous étions un brin contrariés. Nous avons fait l’apprentissage d’un défaut de synergies entre les publics, venus certes nombreux mais, il nous faudra le scander au besoin : « ce n’est pas à l’aune des chiffres de fréquentation qu’une manifestation se comprend ».
Les erreurs d’appréciation
L’Armada n’en était pas à son coup d’essai, de surcroît comment peut-on concevoir une telle campagne de communication et ne pas être à la hauteur d’un point de vue logistique ? En effet, les espaces n’étaient pas réfléchis pour s’adapter à ce flux de visiteurs, ni en termes de capacité ni au regard de ses offres. Cet évènement est aussi une vitrine pour attirer, pour aider à l’identification. Le problème de ce type de « produit » c’est l’effet miroir. Attirer qui ? Changer quoi ? L’Armada avait pour objectif, entre autres, d’infirmer le repli de Rouen, d’attester par la preuve que Rouen c’est…Quoi ? Grand, dynamique, à même de concurrencer qui ? Si pour nous, cela fut un test, il en a été de même pour ceux qui sont venus prendre une dose, une ration imagée de ce territoire. Cette narration qui leur fut contée a-t-elle suffit à prouver, à démontrer que Rouen c’est… Oui, c’est cela aussi le problème, Rouen c’est quoi ? C’est qui, le savez-vous seulement ? Les attitudes politiques en termes de valorisation territoriale sont très éloignées des habitants, rappelez-vous en, l’idée fondatrice de la Métropole c’est d’attirer des capitaux extérieurs, de jouer la carte de l’extériorité, pas vous ni nous mais ceux qui pourraient venir, ceux qui vont venir! Le postulat comporte sa dosette d’indifférence voire de mépris pour ceux qui résident et « font » cette aire urbaine.
Pragmatisme
Face aux interlocuteurs « pragmatiques », la présidence de la Métropole Rouen a tenté toutes les voies navigables ou non de la séduction avec cela comme toile de fond: « Rouen, c’est bien pour investir, Rouen attire du monde, Rouen c’est la Seine, Rouen c’est …Etc…
Nous pouvons répéter que les conditions d’accueil et les offres de services n’étaient pas en mesure de satisfaire une diversité de publics. De plus, les choix stratégiques effectués en matière de présentation/représentation, de commercialisation ne permettent pas de créer quelque centralité que ce soit. A ce titre, la notion de « centre », par définition, galvanise certes mais ne permet pas la mise en place d’une tentative de reconquête des territoires annexes.Alors que tout centre tend à s’étirer pour affirmer sa puissance. Là, n’est pas la question. Oui, mais la Métropole Rouen Normandie c’est Rouen et 70 communes. Partant du principe que sans les 70 communes et Rouen, la Métropole n’existerait pas, en quoi, Rouen vendue comme une centralité est-elle en mesure de créer des synergies avec les autres territoires ? D’autant qu’anonymés comme cela sous leur « 70 », ils ressemblent davantage à des terres oubliées, rassemblées histoire de dire. Que dit Rouen avec sa centralité d’Armada ? Elle se réclame d’une figure exclusive et excluante. En outre, Rouen et ses deux rives ont lancé un signal fort: L’Armada n’a autorisé aucune centralité à même de faire se rencontrer les espaces fluviaux et terrestres (les quais et la ville) des deux rives. Elle ne peut se targuer d’être rassembleuse car les espaces de relégation n’ont pu bénéficier d’une programmation irriguée par l’Armada.
La question de l’attractivité
Elle n’a pas contribué à impulser une image attractive de Rouen d’une part parce que les trois ressorts de l’attractivité selon Philippe Duhamel ( 2007) que sont le patrimoine, la modernité et l’évènementiel n’étaient pas rassemblés. Le ressort qui manque c’est celui de la modernité. L’Armada est une proposition « conservatrice« . Reprenons sa définition baudelairienne pour nous faire comprendre. Charles Baudelaire, souvent désigné comme le chantre de la modernité, « ne craint pas le paradoxe car la modernité c’est le paradoxe : la théorie de l’absolu relatif, la légitimité subversive, la permanence esthétique dans l’éphémère »Source. Baudelaire fait entrer dans la poésie des termes nouveaux car il s’inscrit dans un contexte culturel et politique, il s’ancre dans le réel. Ce qui se traduit par des approches nouvelles comme « la ville », « la laideur », « le trivial » avec des volontés novatrices comme « tirer l’éternel du transitoire ». L’Armada ne peut être cet outil en charge de l’attractivité rouennaise car certes ce sont dix jours d’évènements, oui, le monde maritime présent peut relever de la définition du patrimoine matériel et immatériel (symbole, folklore, chants) telle qu’ils sont définis par le code du patrimoine mais pas de modernité en raison d’une hyper focalisation communicationnelle, commerciale bref, stratégique oublieuse des humanités, du vernaculaire, du réel. Trop ancrée sur son sol conservateur, elle ne pouvait, en effet, accueillir l’Aquarius. Pour aller dans le sens de Rouen et son amour du traditionnel, il ne fallait pas œuvrer dans une logique disruptive, pour asseoir la stratégie territoriale de la Métropole, il n’aurait pas été convenable de trop diversifier, de faire avec notre « modernité ». Comment peut-on attendre des autres qu’ils s’intéressent à nous alors même que nous ne nous aimons pas ?
Le selfie de l’humilité, Armada 2019, IPL
Nous ne nous exprimerons pas sur les annotations de la météo jugée « capricieuse ». La tempête Miguel trouve sa raison d’être comme tant d’autres bouleversements météorologiques avec lesquels nous devons composer. En outre, la pluie est une actrice principale en Normandie pourtant bien peu de bâches ou des VIP.. Par ailleurs, n’ayant pu réaliser une analyse auprès des commerçants, nous ne développerons pas ce sujet. Notre exploration s’est faite sur site mais à quais donc ne comprend pas les défilés dans les rues, les visites en détail des bateaux. Notre échantillon tient en cinq heures d’après-midi (de midi à 17h), les concerts du soir ne sont donc pas développés.
L’Armada, le temps des discours
Si vous le souhaitez, afin de vous apporter des compléments d’information, vous pouvez vous intéresser aux bilans et discours suivants:
Ce que nous avons pu découvrir, après coup, s’est construit avec le départ et donc la fin de cette édition. Il semble qu’une forme d’habitude et donc d’attachement ont pu s’installer. Les publics ont manifesté leurs émotions et leur liens, en postant beaucoup de photographies sur les réseaux sociaux et en précisant leur présences/passages sur la manifestation. L’adjectif « triste » et les déclarations d’amour du type « Rouen, je t’aime » ont signé de nombreux post.
Isabelle Pompe & Co pour #sitespecific, le 24 juin 2019.
Son titre, « un rallye-photopour émanciper la rive gauche » n’est pas sans rappeler le sous titre de ce blog. Mais c’est quoi émanciper et pourquoi avoir choisi ce verbe pour traduire une action, une somme d’actions de valorisation?
Tout d’abord, apporter une définition de manière imagée n’est pas apparu de façon immédiate puis, pourquoi ne pas lancer, comme nous l’avions fait avec le #rivegauche et T’étais où, là ? Rive gauche.
Alors, allons-y, tentons d’expliquer ce que nous voulons dire par là. Nous sommes allés chercher les définitions en provenance de dictionnaires afin de rester le plus grand public possible. Neutre ou presque dans notre approche, toutefois, le fond qui rejoint la forme ajoute parfois une dimension citoyenne, engagée, symbolique, à vous de voir…
Avec le fond emprunté aux dernières élections européennes, nous avons conçu celle-ci. En décor de façade, il s’agit de Petit-Quevilly et son territoire social, nous sommes tout à côté du métro ligne George Braque Station Place du 8 mai.
Conception IPL, juin 2019
Nous avons poursuivi avec une image prise un samedi soir de mai 2019 sur le site de nos amis défricheurs, la #FricheLucien. Ce lieu s’illustre par son succès en chiffre, d’une part, 45 000 visiteurs du 29 avril à début juin 2019 (avant leur fermeture estivale et leur reprise du 19 juin). D’autre part, pour ses vertus émancipatrices pour la jeunesse qui trouve enfin un lieu qui lui ressemble, conviviale, tranquille, où on peut faire la fête sans se ruiner, où les filles peuvent venir sans être inquiétées, un site où l’ambiance a toujours été bon enfant. Une reine moderne trône. Nous pouvons voir se dessiner, en effet, celle qui se dresse et qui définit l’endroit avec exactitude: la Tour des Archives. Au vu de l’angle qui est le nôtre, nous sommes donc bien rive gauche.
Comme toute évolution, l’émancipation de cette rive se doit d’être soutenue, poursuivie pour mettre en avant une capacité à exister à partir de soi. Valoriser un site à l’aune de ses résidents, de ses architectures, de ses mémoires pour ne plus affaiblir la portée de ses propositions, déprécier ses initiatives, gaspiller ses énergies, ternir ses habitants et dégrader ses histoires.
Conception, IPL, 2019
Au bas de cette image, se distingue, une jeune femme en veste de jean aux cheveux longs. S’émanciper, c’est grandir, mûrir, d’où la présence symbolique de l’échelle, c’est gravir, sortir. C’est devenir adulte et indépendant. Les préjugés sont, nous le constatons encore, mis à rude épreuve sur ce site permissif à toute parole citoyenne. Pourtant cette rive se voit enfin dotée d’un outil, puis d’autres naissent car les initiatives poussent, et son état de sous-rive par opposition à la rive droite, commence à tarir. Nous savons tous pertinemment que le quartier St-Sever est en proie à des gros travaux depuis quelques temps en raison principale: la future gare St Sever mais ce n’est pas, avec ce quartier, que l’émancipation de cette rive doit s’arrêter.
De plus, cette gare comme installation, comme prouesse, suffira- t ‘elle à renverser cet état de dépendance ? La rive droite étant toujours celle qui impose le tempo, donne le La, ce pourquoi les aménagements urbains récents reprennent tous les copies de la rive droite et les dupliquent comme si le prolongement était naturel.
Il n’existe pas de miroir, elles ne sont pas jumelles, ne se complètent pas tant elles s’opposent depuis toujours.
Conception, IPL, 2019
Pour refuser cette posture identitaire de sœurs ennemies et éviter de nourrir le conflit, la confrontation, #sitespecific propose, à la rive gauche via ses habitants, ses résidents ponctuels tels que ses salariés, ses rares touristes, donc tous ses citoyens, de se départir de ce modèle hiérarchique de l’exemplarité.
Elle existe seule, n’a pas de leçon à recevoir, elle fut longtemps, et ce, encore aujourd’hui désignée, affligée de l’étiquette de banlieue, d’ externalité. La rive gauche se moque de ce regard, de cette tutelle, à laquelle elle donnera tort sans cesse. Elle connait parfaitement ses contraintes, elle avance, bouscule, galvanise et finira par se libérer.
Alors, aidons-là puisque c’est notre rôle, à se sortir de ce clivage, à s’émanciper de cette existence subordonnée. Observons, avec une plus grande justesse, ce qu’elle nous cache, ce qu’elle nous dévoile, ce qu’elle peine à préserver. Elle est à nu en ce moment, en raison des très importants travaux, elle est malmenée, mise en danger au travers son économie locale, ses diversités que les tutelles aimeraient voir disparaître…Qui sait.
Alors, voici une manière simple et ordinaire de regarder, de saisir les bouleversements qui s’opèrent et de rester conscient que ces derniers ont déjà commencé, modifié, et qu’ils sont loin, voire très loin, d’être terminés. La rive gauche au regard des quartiers rouennais tel que Saint- Sever n’a pas fini de subir un lifting, en espérant ne pas le voir uniformisé.
Conception, IPL, 2019
Vous le voyez, ici, du béton, beaucoup de béton rive gauche, cette fameuse tour que vous aurez reconnu qui scinde le ciel et qui vous sert de boussole, et l’intrusion de cette caravane qui nous rappelle que, sur ce territoire, nous venons tous du voyage …Et puis s’éparpillent des bus, des piétons, des maisons, des immeubles, de la belle verdure et un beau ciel bleu. Cette photographie fut prise l’an passé lorsque le collectif Lucien proposait son festival Parenthèse.
Sortons de chez nous, de notre individualisme pour montrer les visages de notre rive et lui permettre d’exister comme elle le souhaite sans avoir honte, sans avoir à complexer des regards condescendants qu’on lui jette.
Parlons de partage, de frontière et de limite. Une ligne c’est quoi ? Deux options s’offrent à nous:
Trait continu, dont l’étendue se réduit pratiquement à la seule dimension de la longueur : Tracer, tirer des lignes.
Trait réel ou imaginaire qui sépare deux éléments contigus ; intersection de deux surfaces : La ligne de l’horizon.
Voire trois: trait tracé sur le sol pour délimiter une piste, en marquer le début et/ou la fin : Ligne de touche.
Ligne de partage
Le partage c’est quoi ?
Action de diviser une chose en portions, en parties : Le partage du butin.
Fait de partager quelque chose avec quelqu’un : Le partage du pouvoir.
Ce qui nous intéresse, tout d’abord, c’est la ligne de partage. Cette association de mots est aussi régulièrement associer à « la ligne de partage des eaux » (limite géographique qui divise un territoire en un ou plusieurs bassins versants. Plus précisément, de chaque côté de cette ligne, les eaux s’écoulent in fine dans des directions différentes…En France, il existe des points triple et quadruple avec par exemple Rhône/Seine/ Meuse, Rhône/Seine/Loire, Rhône/Loire/Garonne…)
Ici, avec Site Specific, nous sommes avec la Seine pour unique actrice, de ce fait, pas de « ligne de partage des eaux ».
Chaque métropole entretient un rapport avec son fleuve qui cristallise parfois une relation proche de la symbiose ou une difficile cohabitation. Le 1er élément à observer ce sont la considération des quais et leur aménagement. Nous comprenons qu’à Rouen, les quais ont aussi été pensés comme des hébergeurs de paquebots touristiques. la rive droite avait ses occupants saisonniers et qu’en était -il de la rive gauche ?
La rive gauche est doublement coupée car la ligne de chemin de fer suit la Seine.
Europa (Gare désaffectée Rouen rive gauche), IPL, 2015
Disons qu’elle avait sa ligne de chemins de fer, ses trains, son dépotoir tout du long, que, de temps à autres, quelques voitures venaient y faire des courses, des dérapages pour se marrer, que longer ses quais c’était comme traverser un pays dont le sol et le décor étaient suspendus à une époque antérieure…Mais cela pouvait avoir son charme, sa forme de mélancolie…
Et puis, petit à petit, on a commencé à voir apparaître, des éléments de décor comme des choses en couleur:
Red (quai rive gauche), IPL, 2015
Cela n’a pas vraiment changé à cet instant, d’ailleurs, mon étonnement fut grand lorsque j’ai découvert ces baby-foot seuls, rouge, là. La dignité de la rive gauche n’était pas pleinement réhabilitée avec ces petits efforts, une courtoisie à peine. La balance entre les quais allait prendre encore un tout petit peu de temps.
La différence
« Caractère ou ensemble de caractères qui dans une comparaison, un ordre, distinguent un être ou une chose d’un autre être, d’une autre chose. »Source
Pour celui qui se postait d’un côté ou de l’autre de la Seine, les éléments de disparité étaient flagrants. En face, les quais avec le Marégraphe étaient de toute beauté avant le Panorama XXL. D’ailleurs, il fut question, un temps, que cet équipement déménage rive gauche….
Désormais, les quais ont leur arbres et n’ont plus leur fête foraine. Les face à faces se passent mieux déjà à hauteur des quais, après cela se corse toujours un peu dès qu’on en sort et qu’on emprunte les rues qui irriguent les quartiers St Sever, Europe, Grammont, St Julien, Jardin des Plantes et la direction du Petit-Quevilly via l’avenue de Caen…
Trop, beaucoup trop de voitures circulent, bouchent, polluent ces axes et le ressenti en termes de vie de quartier est à la peine. La faute à des aménagements urbains pour le « tout voiture » ou plutôt, le « tout transport routier ». Les piétons galèrent, les vélos tentent leur chance un peu. Les lignes de front que sont ces rues, avenues où les véhiculent circulent en trop nombre, souvent à trop grande vitesse apportent au décor une grande indécence. Le charme n’opère plus car cela n’a rien de très agréable comme promenade pédestre…
Les milliers de pots d’échappement, ça empoisonne
Les milliers de véhicules routiers, c’est dangereux, bruyant et cela prive toute qualité de l’air, de vie.
Les communes écrasent sous le poids de leur « sur-immatriculation »
Les transports en commun tel que le Teor ou le Métro usent les rues, les quartiers et crèvent le commerce local. Regardez Rouen rive droite et l’avenue Alsace Lorraine, continuez avec Le Petit- Quevilly et l’avenue de Caen/Jaurès depuis le métro….D’un côté, l’ennui ce sont les qualités d’aménagement de ces lignes…Elles sont au mauvais endroit ou non adaptées, elles empêchent toute centralité pour les habitants et donc la création de lieux fluides de partage. D’un autre côté, avant, il y a peu, le métro n’existait pas…et donc la distance allait de pair avec la différence…
Ici, rive gauche, nous subissons la voiture et l’absence de vie de quartier, de centralité tout simplement pour certaines communes c’est très flagrant, ce ne sont que des lignes, et encore des lignes, des horizontales, droites, tout droit, toujours tout droit…Mais avant, cela, nous évoluons derrière nos fortifications à angle droit.
Un jour flou d’angles, IPL, 2015
Notre enceinte, notre enclave, la cité administrative, la tour des archives, passez par la Place Joffre c’est plus agréable même si le balai des voitures, la ligne droite jusqu’à St Sever et le métro qui suit la ligne c’est un peu trop « toujours tout droit »….
Le Centre commercial St Sever est un lieu privé qui fait office de lieu de vie car la mairie n’est pas parvenue à avoir l’idée de créer un endroit de partage. A côté du centre, il y a la MJC et les services sociaux, de l’autre côté le marché Place des Emmurés, ok. Les rues du quartier sont résidentielles et les quelques commerces « ghettoïsent » les espaces, par exemple, ceux de la rue Lafayette, de la rue St Sever. Dans le même temps, à Rouen, les loyers même rive gauche sont chers, les baux commerciaux sont en grande difficulté idem rive droite.
Pourquoi ne pas pas proposer des baux précaires, solidaires, associatifs ou je ne sais pour ne pas laisser mourir ces quartiers ?
Et ne pas se recentrer sur la rive droite et son hyper centre historique en termes d’actions de ce type.
Cesser le clivage cela commence aussi là, permettre les conditions d’une mixité repose sur le fait qu’il ne faut ni abandonner ni privilégier.
Le manque d’équité
En écoutant l’histoire de la rive gauche et la perception qu’en ont les habitants lors d’entretiens, nous pouvons prendre la mesure d’un sentiment de colère, d’abandon en raison d’un manque de traitement égalitaire. Au point que les appellations rive gauche et rive droite avaient, un temps, disparu au profit de Sud, Nord, Est et Ouest. Il n’en demeure pas moins que le code postal est une affaire qui passe encore très mal. 76000 et 76100 ressort comme parfois « une différence injuste », un « cela veut tout dire » , « un symbole ». Cette distinction géographique est nourrie par la concurrence déloyale qui prédomine sur les deux rives. Une compétition? Non, une affirmation de supériorité d’un bord et une déconsidération pour l’autre.
La faute ne revient pas au fleuve.Il est vrai qu’à Paris, la Seine traverse aussi la ville, c’est aussi un département, mais ce n’est pas tout à fait à partir du fleuve que les vingt arrondissements municipaux forment « l’escargot ». Les 20 arrondissements ont été créés en 1859.
La distinction
A l’origine, Rouen existait seulement rive droite. ce qui constitue un problème historique majeur car c’est « à partir de » et non « avec » que la ville s’est développée. Son aire urbaine relève de la Métropole Rouen Normandie, donc non, la rive gauche de Rouen, ce n’est pas la banlieue. Il est vrai que le passage d’un état de la matière à un autre est encore perçu, aujourd’hui, comme une altération. Ce qui se trouve être à l’origine de cette distinction. Le fait d’avoir annexé la rive gauche au monde premier rouennais (rive droite) continue d’alimenter les logiques excluantes. En face pas de réplique, pas de ressemblance, avec ce tête à tête de rive se plante une ligne de front, une ligne d’opposition, de camp adverse. Le meilleur moyen pour la rive gauche d’exister pleinement, librement serait de refuser ce jeu de dupes, de s’émanciper de ce rejet, de ce traitement de défaveur, de refuser ce qui la hiérarchise.Pour cela sur qui peut-elle compter ? Qui pour la promouvoir, pour la dire, la raconter et d’ailleurs où se fixent les regards ?
Entre les quais et le jardin des plantes ?
« La rive gauche ne se limite pas aux bords de Seine. Plus en retrait, le Jardin des plantes devient un spot de choix pour les touristes. Près de 568 000 personnes l’ont visité en 2016. Le centre commercial St Sever est cité toutefois, les grands travaux du quartier ont marqué économiquement durablement, de plus, les touristes se voient régulièrement proposer davantage d’offres de restaurants et d’hôtels rive droite ce qui parfait la névrose des commerçants. « Antoine Péllerin, réceptionniste à l’hôtel Saint-Sever, fait le même constat : «L’affluence est meilleure en semaine, nos clients sont surtout des gens venus pour leur travail à Rouen et qui habitent loin de l’agglomération. Quelquefois des cars de touristes allemands ou hollandais arrivent jusqu’ici tout de même, mais c’est peu fréquent.», le journal poursuit pour cet article du 30 mai 2018 : « Beaucoup d’eau coulera encore sous les ponts avant que les deux rives se rapprochent…Source
« L’office de tourisme organise « des rallyes de visite » dans le quartier Grammont deux fois par an – des visites à pied de 2 à 3 heures accompagnées d’un guide qui s’adapte aux thématiques choisies par les familles. » Source
Et enfin, le Parc urbain des Bruyères (L’ancien hippodrome, à cheval entre Rouen, Sotteville-lès-Rouen, Saint-Étienne-du-Rouvray et Le Petit-Quevilly fermera mi-juin. Il ne rouvrira qu’à l’issue des travaux, prévue fin 2019.)
Avec Site Specific, essayons de valoriser cette rive comme elle le mérite et donnons à voir les images de celle-ci, son histoire, sa mémoire, son patrimoine et ses habitants.
Trois couleurs: Bleu, IPL, Petit-Quevilly, 2019
Le Petit-Quevilly, commune de résidence, possède des ensembles architecturaux, une histoire ouvrière passionnante et toujours des ambiances!
De nouveaux lieux émergent, tels que le Kaléidoscope des Copeaux Numériques
L’intérieur du Kaléidoscope, 2018, Crédits Joëlle Petit
Au-delà des lieux, des noms, des labels et des projets, toutes les communes de la rive gauche sont des mines d’or au quotidien, elles offrent un « patrimoine de l’humilité ».
Pour dernier exemple, comment est-ce possible que peu de personnes connaissent le pôle régional des savoirs qui a, certes, depuis changé de nom mais, au fait, quelle est sa mission?
L’ATRIUM
L’Atrium, ex-Pôle régional des savoirs, devient un nouvel espace régional de découverte des sciences et techniques de Normandie.
D’une surface de 1 000 m² d’exposition, il abrite jusqu’en octobre 2019 l’exposition annuelle sur l’espace et l’aérospatiale « Voyage vers Mars. Découvrir la science de l’air, de l’espace et ses métiers », co-construite avec NAE, la Cité de l’Espace de Toulouse, la Cité des Sciences et de l’Industrie, des partenaires de recherche locaux, la Cité des Métiers de Normandie…
Y sont hébergées une quinzaine d’associations régionales qui œuvrent pour le partage des savoirs et des connaissances dans différents domaines : Cité des métiers de Normandie, Agence régionale de l’environnement, CARDERE, Normandie Images, Normandie Livre et Lecture, Promotion Santé Normandie, Journal Globules…
Un lieu scolaire et grand public, ouvert du mardi au dimanche
Une grande exposition de dimension nationale
Une animation menée par Science Action Normandie, pour la diffusion de la culture scientifique et la découverte des métiers, en lien avec la Cité des Métiers.
Nous reviendrons, plus en détail, ultérieurement sur des structures et leur typologie de publics, telles que Seine Innopolis qui malheureusement ne repose pas sur un projet en partenariat avec la population locale et de, ce fait, fait figure de beauté architecturale inaccessible pour les habitants de la commune.
Seine Innopolis (Ancienne usine de filature- La Foudre), Petit -Quevilly, IPL, 2016
J’ai découvert cet auteur avec le « Spectateur émancipé », puis « Le partage du sensible ». Je vous invite à faire sa connaissance ou à le réentendre avec un portrait qui date de décembre dernier diffusé sur France Culture pour Profession philosophe ou encore à lire cet article de septembre 2004
A la lecture de la production de ce chercheur comme il aime à se définir, je me suis demandée si je n’avais pas fait, là, une rencontre déterminante dans ma vie de militante.
« C’est par le train, par la gare, que j’ai rejoint la ville de Rouen,
Gare Rouen rive droite, 2015, IPL
Au regard de mon exode social comme j’ai, aussi, aimé le nommer, je me suis sondée quant à la perception que l’on pouvait avoir de moi en tant que nouvelle arrivante et comme « quitteuse » de Paris. En outre, je me suis placée comme témoin de cet écho entre ce territoire d’adoption et ma propre vie. Au début, je me suis sentie mal ici. Seule, tellement seule et rapidement face à ma chute. J’ai perdu connaissance pour reprendre, ensuite, mes esprits et parvenir à me tranquilliser. Ce que c’est rude comme expérience émotionnelle un territoire mal traité mais comme c’est formateur.
Rouen, Quai rive gauche en 2014, IPL
N’étais -je pas moi-même cet abandon, cet endroit laissé pour compte à l’instar de cette rive gauche rouennaise? N’étais-je celle dont on ne veut pas avec cette inscription redoutable car durable dans le chômage ? N’étais-je pas, enfin, cette précaire à qui on n’ouvre pas la porte, celle qui ne vaut rien, là, parce qu’elle ne serait pas d’ici ? Celle à qui on reproche son Paris d’origine, celle que l’on juge…Oui, j’ai expérimenté, ici, à Rouen, l’exclusion. Ma différence de parcours, de choix de vie et l’activation de certaines de mes ressources m’ont mise sur la touche. Tenue à l’écart des cercles, des cultureux, des « artistes »….Je suis autodidacte dans différentes domaines, je ne cherche pas de légitimation. Je n’avais rien à prouver mais tout à partager car j’étais dans la soif de découvrir, d’être rassurée sur cette destination morcelée.
Nous nous sommes vues et revues cette rive et moi, je me suis attachée à elle lorsque j’ai commencé à partager son sensible.
Je me suis rappelée, en 2012, lorsque j’avais opté pour terre d’adoption, après Paris, la ville de Rennes. Sans y repenser, en 2014, j’ai choisi Rouen alors que je venais de vivre de grands bouleversements personnels et professionnels. Un « R » en commun certes mais quel écho plus juste que ce délire nostalgique voire mélancolique qui règne à Rouen. Deux années de distance entre ces deux choix où tout a basculé finalement. Celle qui aurait pu m’accueillir et celle qui m’a recueillie.
Elle n’est pas endormie cette ville, elle est politisée à outrance, faite d’opposition franche, de dureté, elle est clivante. Elle fait référence à un endroit où le frontal ne cesse de sévir.
La chute de Rennes, IPL, 2018
Elle est aussi ce vaste champ exploratoire où s’irritent, avec une vive impétuosité voire provocation, les notions de gout, de beau, d’ erreur et de rien. Elle est cet espace qui s’étire mais qu’on ne saurait voir. Elle est cette ville qui tranche, qui coupe, qui scinde et où tout se croise. Elle ne colle à rien qui soit crédible, plausible, elle est cette sédimentation inouïe, de celle qu’on ne laisse pas devenir, de celle qu’on enferme, qu’on enlise dans un imaginaire patrimonial usé jusqu’à la couenne.
Elle est celle qui possède plusieurs récits mais dont un seul serait autorisé par les volontés politiques extra locales. Elle est tenue en laisse par des élites ignorantes, des maîtres ignorants comme dirait Jacques Rancière.
Des hommes et des femmes qui l’emmurent dans des espaces circonscrits, qui prennent de haut ses conflits, ses errements, ses disgrâces. Elle est cette terre où le bon souvenir est ancien, religieux le plus souvent, elle est cette grande à qui on a brisé les jambes de peur qu’elle ne s’échappe, qu’elle ne prenne de libertés. Elle est minorée, boudée, là, dans sa province, dans sa région, dans la plus illustre méconnaissance, dans le plus grand mépris, parfois. Elle ne se résume pas, elle ne se veut pas compartimentée, elle se sait affaiblie sans ses deux rives qui fondent son monde premier. Elle ne souhaite pas se démunir, se départir. Elle tient à son « dépareillage » mais réfute tout catégorisme. Sans sa mixité, elle n’aurait aucun pouvoir.
La Seine et ses histoires sociologiques de rives, IPL, 2014
Sa Seine et cette fausse narration qui va avec. Je ne veux pas croire à ce refus du partage, à cet affront du 76000 et du 76100 (Rouen rive gauche). Je ne veux pas alimenter ces oppositions: ces touristes versus ces habitants, cette rive versus cette autre, cette sociologie versus cette autre, je veux apaiser cette relation. Je pense que l’issue de ce face à face finit par ternir la ville, lui empêche tout déploiement digne, la contrecarre dans son ampleur et son charme.
Rouen, ce ne sont pas les quatre rues de cet hyper centre historique comme nous le présente l’ office malheureux du tourisme. Le problème c’est que cette posture politique est adoubée par les faiseurs d’images fans de sur-esthétisation, les story tellers game over… C’est-à-dire ceux qui ne voient pas qu’ils participent à une annulation, à l’effacement du pouvoir qu’à l’habitant sur sa ville. Une ville est faite pour être habitée plus que pour qu’être visitée, croisée.
Rouen, ce sont des histoires. Rouen ne peut être retenue et amenuisée au point de se ridiculiser à force de contorsions autour de « Jeanne » par exemple. Ce n’est pas, non plus, l’impressionnisme qui doit régir une programmation culturelle annuelle. Sclérosée est la ville, brimée, sa rive gauche réfute ce système parce qu’elle est cultures et diversités. Elle est l’ extinction de ce modèle uniformisant.
Quartier St Sever, 2014, IPL,
Elle est cette déroute à la bienséance car elle embrouille la beauté, interpelle, cloue, sidère, place dans un embarras, dérange. Sa pauvreté bouleverse, ses rues bousculent, ses gens démolissent tous les préceptes que l’on pensait avoir sur le « déjà vu ». Elle appelle la notion de vide. Elle chamboule le spectateur, m’a laissé seule et coite à maintes reprises. Cette rive c’est la gifle, elle nous déconcerte, nous perd, nous désoriente car tout paraît loin, tout semble sans fin et ce ne sont pas ses images qui pourraient nous aider à poursuivre, elles manquent cruellement à l’appel. Quelles sont les illustrations ? Quels sont les clichés? Et qui pour nous faire découvrir cette rive, qui pour s’y risquer ?
L’humilité, comme je l’ai déjà évoqué, celle de la mémoire ouvrière, celle du passé historique, celle des classes moyennes et/ou populaires, il faut croire en sa vertu pour parvenir à elle. Selon moi, l’humilité est gage d’innovation, elle est l’antithèse du gigantisme, le modèle contraire, le croquis inversé, le chromo authentique. La rive gauche, par son patrimoine de l’humilité, c’est le refus de la hiérarchie. Ce en quoi, elle est passionnante et intelligente. »
Faut-il toujours partir d’un constat pour soulever un sujet ? Faut-il émettre des observations ? Et d’où proviennent nos remarques, nos interrogations ?
Ici, je vais tenter de poser des questions, celles-ci souffleront dans un sens ou dans un autre. Pour Site specific, je me suis sondée. La 2 ème rencontre citoyenne » Terrasse’ Specific # 2« , prévue le 25 mai sur le site culturel et éphémère de la Friche Lucien, est une façon de « se demander » collectivement.
Percevons-nous, collectivement, la complexité de ce territoire?
Site Friche Lucien un 1er mai 2019, IPL
Parviendrons-nous à nous entendre, à nous comprendre ? D’où proviendront nos mots et que symboliseront-ils? Diront-ils que nous ne nous vivons pas notre territoire de la même manière? Stipuleront-ils que les remarques formulées ça et là passent sur nous sans laisser de trace ? Ou qu’elles nous frottent comme un gant de crin, nous irritent, nous blessent. Ni chaud ni froid, vous dîtes?
Sotteville, un début de soirée de Vivacité 2018, IPL
Les questions qui vont suivre seront poser, en amont, de cette terrasse:
« Je suis partie d’un unique point commun: la rive gauche: y vivre/ y travailler.
Est-ce suffisant comme point commun pour nous mettre à nous parler?
Comment vivez-vous votre commune/quartier au sein de la Métropole Rouen Normandie ?
Quels sont vos verbes d’action pour parler de cette expérience de vie (vivre et/ou travailler rive gauche) ?
Êtes -vous dans l’opposition: rive droite / rive gauche?
Rouen c’est une ville aux deux rives ou deux villes ?
Quelle commune de la rive gauche connaissez-vous le mieux ?
Identifiez-vous une concurrence entre les territoires de la rive gauche ?
Quels points communs voyez-vous entre ces territoires?
Maisons jumelles au Petit-Quevilly, mai 2019, IPL
Pour tenter d’apporter un dialogue, j’ai dans l’idée de constituer des groupes où la paroles de chacun compterait, pas de primauté au plus fort car un corpus fait société.
A l’issue de ces réponses, Site Specific prendra une forme collaborative.
Cette rencontre sera photographiée et filmée avec l’accord des participants, l’idée étant de fournir de l’archive puisque la 1ère chose commune qu’il manque à cette rive c’est une mémoire collective.
Les images seront transmises depuis la page FB et le compte instagram @photographyspecific
Les vidéos seront montées afin de produire des séquences courtes de production d’échanges, elles seront diffusées sur la page FB.
Chaque « Terrasse » et autres « Rallyes », « Ateliers » seront documentés par des images et contribueront à la constitution d’un fonds iconographique de la rive gauche. Celui-ci repose sur l’humilité, il ne traduit pas de rapport de force, pas de suprématie car cet espace de référence a tout intérêt à s’émanciper de cette opposition binaire: rive gauche, rive droite, ou de toutes autres formes de définition géographique du type sud, nord, est ou ouest.
Pour moi, qui photographie cette rive depuis l’année de mon arrivée, à savoir 2014, je ne peux que que lui concéder son caractère paradoxal et pluriel. Elle est, à la fois, une ode à l’ imprévisible, qui, pourtant, reste constante dans son humilité. Elle me laisse simultanément dans un état de surprise et d’attachement. Elle aborde, sans égal, l’espace public de manière sociologique et culturelle. Elle montre une pauvreté, un ennui, une typologie d’habitants, elle est un biotope subdivisé et sédimenté exceptionnel.
Elle est à préserver, à valoriser pour ce qu’elle dévoile, au quotidien, pour ce qu’elle montre du doigt. Elle est cette responsabilité collective et incarne un territoire de droit. Elle possède de multiples visages mais peine à faire « creuset commun« , pourquoi ?
Après avoir questionné La sociologie de nos transports en commun, et relevé les notions de « mobilité inclusive » ainsi que le type, encore genré, de trajets que propose l’offre des transports en commun en banlieue ou en ZUS. Nous poserons notre regard sur la place de la voiture au sein de nos territoires sociaux.
Alors que nous la savons décriée, parfois interdite des centre-villes et que notre regard change sur elle, nous pouvons, cependant, la considérer comme objet social total.
Pour la réalisation de la 1ère partie de cet article, j’ai repris les propos tenus par Yoann Demoli lors de son entretien avec Lucie Fougeron pour le journal l’Humanité du 24 janvier 2019 (Source) afin de mesurer leurs interactions avec mon propre récit de vie.
Yoann Demoli et Pierre Lannoy, « Sociologie de l’automobile » paru le 31 janvier 2019 aux éditions La Découverte.
Notre relation à la voiture s’est aussi construite en fonction de nos territoires d’habitation. Une des premières raisons à cela tient au caractère « divisionnel » de la France: un centre -ville (nous pouvons l’observer avec Rouen et son hyper centre-historique), une banlieue et plus loin, un espace rural.
Cette structuration urbanistique impose une adaptation. L’éloignement du centre et la présence ou non de transports en commun engendrent la nécessité de la voiture. Ce constat implique une inégalité quant au poids que représente les dépenses supposées: le coût de la voiture(achat/entretien) est très lourd et les conséquences, telle que l’impossibilité financière de procéder à une réparation, peuvent être préjudiciables.
1. La voiture comme bien symbolique
Schéma –Les usages sociaux de l’automobile : concurrence pour l’espace et accidents par Luc Boltanski, 1975
Le sociologue Luc Boltanski, dans cet article de 1975, parvient à réfuter le fait que les groupes sociaux aient un usage homogène et semblable de l’automobile. La recherche de Boltanski confère à la voiture un autre statut, elle n’est pas un objet de consommation. Elle est un bien symbolique au sens où les formes de concurrence ne seraient pas réglées par des variables de prix.
La voiture comme pratique culturelle
Yoann Demoli souligne qu’il existe désormais une uniformisation croissante au regard du design des modèles proposés à la vente par les constructeurs. (Une standardisation que nous pouvons rapprocher de celle de nos centre-villes avec l’omniprésence des mêmes enseignes).
Selon lui, « la différenciation sociale se fait aujourd’hui par l’achat de véhicules neufs qu’il convient de changer tous les deux ans. »
C’est typique des professions libérales et des cadres supérieurs.
Des questions se posent: Quel rapport à la consommation est entretenu par ces populations ? Au gaspillage, au caprice? Quel part représente la LLD (location longue durée) avec ses avantages sur le plan fiscal, par exemple?
Il ajoute, qu’aujourd’hui, « la distinction, ce n’est plus d’avoir une ou plusieurs voitures c’est de ne pas en avoir ».
Pour une certaine frange des classes moyennes et supérieures urbaines.
Je ne possède pas de véhicule. Comme nous l’avons abordé lors de notre article « la sociologie de nos transports en commun ». Cet état de fait tient, aussi, à un défaut de ressources financières. De plus, je ne relève pas de la classe moyenne mais plutôt précaire et je ne me considère pas comme « urbaine ».
Il précise, que « la voiture, en tant que pratique culturelle, correspond à des goûts et à des dégoûts, par lesquels on se positionne dans l’espace social« .
La voiture ne suscite pas de goût ou de dégoût en ce qui me concerne, ce qui me touche ce sont les comportements des automobilistes.
Pour comprendre les explications qui vont suivre, Yoann Demoli aborde les notions de capital social et de capital culturel.
« Quand on a un capital culturel plus important, on tend à « snober », voire mépriser la voiture. »
Revenons sur ce notion avant d’interagir.
Le capital culturel peut prendre la forme de biens culturels qu’un individu possède comme les livres, CD & Vinyles, films (supports & fichiers)…
– il peut prendre aussi la forme de compétences culturelles attestées par des diplômes scolaires (bac, etc.)
– enfin, il peut être « incorporé », c’est-à-dire qu’il fait partie de l’individu lui- même en tant que dispositions apprises lors du processus de socialisation et qui sont mises en œuvre lors de différentes activités (consommation de biens culturels comme une pièce de théâtre, échanges langagiers par exemple à l’école, activités scolaires, etc.)
Durant toute ma jeunesse, j’ai eu accès à des biens culturels grâce à mon père, puis, au fil du temps, je me suis constituée une bibliothèque, vidéothèque, dvdthèque…
J’ai repris un cursus universitaire il y a trois ans (en 2016) après une VAE. Avant 2013, je disposais d’un bac littéraire. Je suis diplômée d’un master 2. (Je possède donc des compétences culturelles)
Processus de socialisation:
Pendant de nombreuses années, je n’ai pas eu accès à des structures culturelles. La raison: je résidais dans des communes dépourvues de salles de spectacle, de cinéma voire de bibliothèque et les seules disponibles étaient éloignées sans réseau de transport en commun. Les choses auraient pu considérablement s’améliorer avec mon arrivée en région parisienne, à 20 ans, avec un bémol toutefois, j’ avais un travail précaire et n’avais pas d’argent pour prendre le RER. J’ai pu profiter de l’offre culturelle pléthorique parisienne à mes 25 ans grâce à un emploi stable et à mon emménagement à Paris.
Je n’ai pratiqué aucune activité artistique à l’école. Je suis autodidacte en ce qui concerne la photographie.
« Au travail et au travail domestique : cumulés, cela représente 80 % des déplacements en France.
La voiture est maintenant l’outil et le prolongement du travail.
Cela concerne des territoires qui se sentent isolés, où la suppression de services publics complique les trajets et où l’offre de transports en commun ne convient à aucun actif, quand elle n’est pas nulle. »
Remarquons la description qui est faite de ces territoires. Sans que cela ne soit précisé ou de manière implicite. Selon vous, qui réside sur ces espaces isolés où l’on supprime les services et où l’offre de transport en commun « ne convient à aucun actif » ?…Nous. Ce pourquoi, lorsque nous sommes actifs, nous sommes dépendants de la voiture. De plus, les personnes précaires sont confrontées à une forme « d’activité contrariée » en raison de leur sujétion aux transports.
Depuis 2015, je suis au Petit-Quevilly et je constate une gêne dans mes déplacements. Cette nouvelle adresse a pu me donner à vivre une forme d’éloignement.
Les habitants de la ville-centre, cadres et professions intermédiaires ont, eux, une part de trajets longue distance énorme : pour eux, la voiture est aussi l’engin du loisir.
L’usage du véhicule n’est pas du même ordre pour les résidents des ville-centre. Ils ont tout sur place: des services, commerces, un réseau de transports en commun, en général, adapté et efficient… Ils peuvent utiliser les transports doux, la notion de distance est parfois relative. Ils ont les taxis, les vélos en location…
Ils sont, au regard de leur territoire d’habitation, privilégiés. De plus, ils sont cadres et professions intermédiaires, détiennent donc les ressources financières suffisantes pour faire davantage de distances pour se divertir.
L’opposition est prégnante, les uns travaillent – la voiture est leur outil et le prolongement de leur travail- tandis que les autres se servent de leur voiture pour se promener…Je suis embarrassée par cette approche.
Au Petit-Quevilly, je travaille, en photographie sociale, sur la disparition du piéton. En effet, je suis dehors, chaque jour ou presque, et je croise en très grands nombres des voitures et très peu de piétons. Même pour des petites distances, les gens prennent leur voiture. Pourquoi ?
La question du genre
« les trajets des femmes font exploser les distances parcourues : accompagner les enfants, faire les courses… tout ce travail domestique s’ajoute aux trajets liés à leur emploi.
La division sexuée du travail se poursuit en voiture »
Quand ces femmes ne sont pas précarisées, quand elles ont un emploi avec des ressources financières suffisantes pour acquérir un véhicule…Et pour celles qui vivent en couple: à un défaut de parité salariale s’ajoute une pression sociale et familiale: pour la plupart, les charges inhérentes au foyer leur incombent.
En outre, rappelons-nous que, 85% des foyers monoparentaux sont féminins.
Sociologie de l’accident
« Ce sont les membres des classes populaires qui meurent sur la route : parce qu’ils roulent plus au volant de voitures en mauvais état et sur des départementales, là où la mortalité est la plus forte. »
22 % des tués sont des ouvriers alors qu’ils constituent 14 % de la population de plus de 15 ans…
Le poids des voitures dans les classes populaires compte aussi :
Plus légères car
Plus anciennes
Plus petites
Elles subissent des dégâts plus graves en cas de choc avec les véhicules récents, plus lourds, prisés par les classes supérieures.
Je m’arrête un instant, je suis locataire du bailleur social: Seine Habitat. Dans ma rue, sur le parking privé de la résidence et sur ceux qui sont adjacents à ma rue, soit environ 40 véhicules, sept sont des berlines/coupés allemandes récentes. Au total, pour toute la rue (Joseph Lebas), on arrive à 75% de voitures de + de 5 ans. Deux exceptions : une Citroën visa (dernière année de production: 1988) et une Ford Taunus (dernière année de production: 1994). Sinon, des véhicules Low cost côtoient les modèles Ford Ka, C2, Twingo…
Sociologie de la pollution
« On a observé que les biens deviennent problématiques quand les pauvres y accèdent. En France, on commence à parler massivement de ces « externalités négatives » dans les années 1970, quand sa diffusion verticale s’achève » selon Yoann Demoli.
La diffusion s’est verticalisée à partir de l’instant où tout le monde, toutes les catégories sociales, ont pu voir accès à une voiture.
En considérant la voiture comme bien symbolique, comme nous l’avons vu précédemment. Elle relève non plus de la sphère des marchandises (sphère englobée) mais d’une sphère englobante comme celle de la culture o par exemple. Des effets de transformations, de réaction se sont déroulées. De ce fait, le phénomène des externalités négatives est à entendre par, chaque fois qu’une transaction est opérée dans une sphère englobée, elle produit des conséquences sur le sphère englobante, d’où des réactions de rejets, de dégoûts, de problèmes.
Taxe carbone & Diesel
La mobilisation des Gilets jaunes a pour motivation de départ le rejet de l’augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Elle s’élargit rapidement à d’autres revendications fiscales et sociales ainsi que politiques.
Les dernières mesures comme la taxe carbone concernent les véhicules que conduisent majoritairement les catégories modestes des zones périurbaines et rurales.
« Les véhicules diesel ont été responsables de 385.000 morts prématurées liées aux émissions polluantes du secteur des transports en 2015, selon une étude de l’ICCT, l’ONG à l’origine des révélations sur le « dieselgate. » Source
Dans un article du 02 février 2019 , nous apprenons qu’un peu plus de 36 % des ventes (neuf) de véhicules concerne les diesel.
Observons un carte de la répartition des diesel en France
Le département de la Seine- Maritime est représenté à hauteur de 61%. Nous n’avons pas, toutefois, accès à ce chiffre en détail en fonction des territoires d’habitation.
Ancienneté du parc automobile en France
« Le parc automobile français compte désormais 32,39 millions de voitures particulières. Si elles sont de plus en plus nombreuses, les voitures françaises sont aussi de plus en plus vieilles: presque 9 ans en moyenne« . Source BFM 2017
« Or, nombre d’études montrent qu’elles polluent moins que les catégories supérieures, car elles conduisent moins et limitent leurs déplacements du fait des coûts associés.
Les actions contre la voiture dans les hypercentres ciblent les véhicules des banlieusards pour leurs nuisances, or, ce sont plutôt les classes populaires qui les subissent là où elles vivent, alors même qu’elles y contribuent assez peu. »
Avant de définir la « les classes populaires », Yoann Decimo nous précise que ces classes résident en banlieue.
Classes populaires ?
» Une chose est certaine : on ne parle plus de « classe ouvrière ». C’était une construction politique devenue identitaire…C’était loin. Par contre on entend tous les jours des expressions comme « milieux populaires », « quartiers populaires », « la droite populaire », « familles populaires », « l’électorat populaire ». Les auteurs de cet ouvrage observent très justement que « c’est une notion qui met à distance ».
On ne répond pas « moi je suis classe populaire » aux questions posées sur l’appartenance sociale, nombreux sont aujourd’hui celles ou ceux qui se sentent « classes moyennes ».
La classe populaire ressemble davantage à un « grand ensemble » – « ouvriers+employés+petits indépendants+petits agriculteurs... » Source
Classes moyennes ?
Le sociologue, Serge Bosc privilégie l’approche en termes de catégories socio-professionnelles pour la définir. Il y a donc deux groupes principaux qui forment cet ensemble, très hétérogène, rappelons-le, que sont les classes moyennes.
Ce sont les petits indépendants et artisans, et les professions intermédiaires, tels que les enseignants du secondaire, par exemple. A cela s’ajoute une partie des cadres, l’ensemble des « petits » cadres du privé. Source
3. Un amour populaire de l’automobile
« Il y a aussi un amour populaire de la voiture : elle permet d’incarner la virilité, dans un monde ouvrier en crise ; de s’affirmer en tant qu’adulte quand on est jeune : les jeunes ouvriers sont ceux qui dépensent le plus en voitures en acquérant, d’occasion, des berlines allemandes ».
La voiture incarne l’émancipation, procure un sentiment de liberté. Elle est aussi un bien symbolique car elle nous renvoie à des images, des esthétiques. Les prouesses en termes de motorisation, de vitesse engendrent des sensations physiques recherchées. Le design, les formes, le bruit attestent de notre rapport très sensible, voire sensuel avec ce mode de déplacement. Néanmoins, je n’aborderai la notion d’attachement notamment aux marques. La voiture est parfois vécue comme l’extension de nous-même, elle s’inscrit dans notre histoire personnelle et collective. La culture populaire en a fait un personnage de cinéma, une héroïne…
Voiture & culture populaire
Les voitures et le cinéma, c’est aussi une très longue histoire commune. Alors que des véhicules doivent leur notoriété au cinéma et aux séries, certains deviennent des icônes et d’autres, des modèles cultes.Modèles cultes du grand et petit écran
Je vous invite à visionner cette vidéo de l’émission Blow Up de Luc Lagier. Vous serez d’accord ou constaterez sûrement des manques et souhaiterez apporter l’inscription voire la réhabilitation tant votre attachement à certaines scènes de films est grand…
CINÉMA & Bullitt
Bullitt met en scène la plus célèbre course poursuite de l’histoire du cinéma avec Steve McQueen au volant de la Ford Mustang Fastback GT de 1968. Ce film fut un succès populaire, en France, avec plus de 3 millions de spectateurs …
Bullitt est le 5 ème Film le plus rentable aux États-Unis en 1968 (budget: 5,5 millions de dollars/ Recettes: 42,3 millions de dollars)
Télévision
Avant de vous parler de l’audience télévisuelle, je voudrai revenir à la sociologie, grâce, notamment à l’ouvrage, Sociologie de la télévision de Brigitte Le Grignou et Erik Neveu paru en 2017 aux éditions de la Découverte.
« Selon le critère de la durée la télévision est loin d’être morte puisqu’elle représente la troisième activité de l’existence humaine en France, après le travail et le sommeil, avec en moyenne 3 h 50 par jour et par personne, sans compter les produits de télévision, de plus en plus nombreux, diffusés sur d’autres supports (ordinateurs, smartphones). » Source
Audience télévisuelle & Bullitt
En ce soir du 27 janvier, un dimanche de 2013, soit 45 ans après sa sortie, le film Bullitt est diffusé sur Arte. sachez que cette chaîne a enregistré, pour l’année 2017, une audience moyenne qui oscille entre 1 et 1,6 millions de téléspectateurs.
Ce soir là, elle attire 1, 1 millions de téléspectateurs, ce qui la place après les mastodontes que sont TF1/ M6 mais son score est tel que le magazine cité en source titre son article: Succès pour Bullitt sur Arte. (Audience source)
Car chase – Course poursuite au cinéma
Après le décès de Steve McQueen en 1980, Jean-Paul Belmondo lui rendit hommage dans le film policier Le Marginal (1983) de Jacques Deray, en exigeant qu’une poursuite de voitures semblable à celle de Bullitty soit intégrée. Belmondo conduisait lui-même la voiture du poursuivant, une Ford Mustang d’un vert pomme métallisé, semblable (même si un peu plus foncé) à celle de Franck Bullitt. Le Marginal est d’ailleurs sorti 15 ans après Bullitt.
La course-poursuite a inspiré trois autres morceaux de bravoure automobile célèbres : ceux de French Connection, The Seven-Ups (Police Puissance 7, 1973, avec Roy Scheider) ainsi que Le Casseavec Jean-Paul Belmondo…
Dans le film Drive (2011), une course poursuite entre le héros conduisant une Mustang et des « méchants » en Chrysler 300C est une référence très claire à la course poursuite de Bullitt.
En 2001 et 2008, le constructeur Ford commercialisa une Mustang « Bullitt » en série limitée.
En 2003, la série Fastlane rend un hommage à Steve McQueen en présentant une réplique identique de la Ford Fastback.
En 2018, pour le cinquantième anniversaire de la sortie du film, Ford présente au salon de Détroit une Mustang Bullitt. Essai Mustang Bullitt 2019
La voiture exposée
La voiture exerce un très fort pouvoir d’attraction, de fascination. L’exposition AUTO PHOTO à la fondation Cartier nous emmène vers des dimensions sociologiques, technologiques, anthropologiques et historiques…Cet évènement (20 avril au 24 septembre 2017) est intéressant à questionner d’une part, car cette fondation avait déjà rendu hommage à la voiture il y a 30 ans avec Hommage à FERRARI (Source) et d’autre part pour la question de la réception des visiteurs.
Hommage à Ferrari s’est déroulée du 22 mai au 30 août 1987. Cette exposition a touché beaucoup de monde, » aux dires de Marie-Claude Beaud, Directeur de la Fondation Cartier, 1987. C’était à Jouy-en- Josas sur une scénographie d’Andrée Puttman que l’hommage s’est déroulé.
Un visiteur se souvient:
» C’était à Jouy-en-Josas, en Essonne. J’avais 7 ans. Pas de photos. Mais quelques souvenirs intenses de cette balade en famille incroyable. Des voitures magnifiques présentées de manière surprenante, dans un parc naturel superbe.Je me rends compte que j’ai eu à l’époque une grande chance de pouvoir la voir. (les voir !) » (Source)
AUTO-PHOTO
« La voiture est un objet de fantasmes, de contemporanéité, de pouvoir, de vitesse, de violence, de désir, de sexe, de technique… »
« À travers la photographie et le cinéma, l’exposition Auto Photoveut revenir sur toute l’histoire de la photographie à travers le prisme de l’automobile ». (Source)
Ce seront 500 photos de 100 photographes historiques et contemporains originaires des quatre coin du monde. Source Ici un Diaporama
Je ne présenterai pas de photographies de cette exposition, je vous invite donc à consulter le site de la Fondation Cartier
« Au final une belle expo explorant de nombreuses histoires de la voiture. Certes cela change un peu de ce que l’on peut voir dans le monde des bagnolards, dans les villages d’artistes comme celui de Retromobile. une expo très orientée art, mais avec des niveaux de lectures ouverts à tous. » (Source)
» Avec « Autophoto », la Fondation Cartier réussit une performance : revoir les grands auteurs de la photographie et nous embarquer dans des histoires de bagnoles improbables, drôles et tragiques. Comme celle de la construction de la Turtle, au Ghana, la série vernaculaire de fiers propriétaires européens qui prennent la pose devant des voitures ou la série montrant les Allemands de l’Est réfugiés dans les coffres pour passer à l’Ouest, par Arwed Messmer… » (Source)
Les différentes lectures qui sont faites de cette exposition permettent de mettre en exergue un niveau de vocabulaire des « bagnolards » à « bagnole » à celui « série vernaculaire », en passant par « expo très orientée art » qui se veut rassurante « niveaux de lecture » « accessible à tous ».
Et vous, l’avez-vous visitée ou auriez-vous eu envie d’y aller ?
Je n’avais pas envie de clore ce chapitre « voiture » sans citer la photographie américaine et son rapport singulier à ce mode de déplacement. Le photographe Lee Friedlander, c’est une certaine vision, de l’Amérique comme territoire social, offerte par la voiture. (Source)
crédits Lee Friedlander
Selon lui, « lesvoitures éloignent les gens les uns des autres ».
Bien que Friedlander ait visité les villes en décroissance de la Rust Belt (ceinture de la Rouille est le surnom d’une des régions industrialisées des États-Unis en déclin), il ajoute: « in almost every case the car is a kind of shield that deflects empathy.”
« Dans presque tous les cas, la voiture est une sorte de bouclier qui détourne l’empathie »
Cet article trouvera une suite, très prochainement, avec l’approche des pratiques qui concernent des territoires sociaux telles que le Tuning, la mécanique sauvage où encore celle des « Big Bangers » (le crash de voiture comme art de vivre) observées par le photographe David de Beyter …
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