Logement social & typologie de population

A territoire social, nous pouvons associer un secteur géographique plus connu pour son accueil des classes moyennes et populaires, des logements sociaux… Mais aussi au regard de la population, nous pouvons observer des habitants qui possèdent un travail, des retraités, des demandeurs d’emploi et des précaires…Tout dépend donc de ce que l’on cherche et du poste d’observation choisi. Nous questionnerons ici, la notion de logement social.

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Quartier Nobel – Maletra en 1977

Le Petit-Quevilly est le 1er territoire social du projet Site Specific. Cette commune se définit par différentes données statistiques telles que celles de l’INSEE, étudiées sur des périodes.

Le Petit-Quevilly en chiffres

Screenshot_2019-04-15 POPULATION LE PETIT-QUEVILLY statistique de Le Petit-Quevilly 76140.png

En 2015, date du dernier recensement INSEE, la population de cette commune est de 22511 habitants. Le nombre total de logements est de 10951- 90, 2% sont occupés en résidence principale. Il existe 9% de logements vacants. 41, 4% des logements occupés en résidence principale le sont par des ménages propriétaires.

Le nombre de ménage fiscaux est 9700, la part des ménages fiscaux imposés est de 44, 8%. Le taux de pauvreté est de 24%.

  • Le taux de pauvreté correspond à la proportion d’individus (ou de ménages) dont le niveau de vie est inférieur pour une année donnée à un seuil, dénommé seuil de pauvreté (exprimé en euros). L’Insee, comme Eurostat et les autres pays européens, mesure la pauvreté monétaire de manière relative alors que d’autres pays (comme les États-Unis ou l’Australie) ont une approche absolue. Dans l’approche en termes relatifs, le seuil de pauvreté est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. On privilégie en Europe le seuil de 60 % du niveau de vie médian.Source

Le taux d’activité des 15-64 ans est de 74, 5%, le taux de chômage (même variable) est de 21, 3%.

La part de l’industrie est 4, 4%, celle de la construction est de 14, 9% et celle du commerce, transports et services divers est  de 67, 7%

Historique de la population de Le Petit-Quevilly de 1968 à 2007 

La population de Le Petit-Quevilly était de 21 970 habitants en 2007, 22 329 habitants en 1999, 22 600 habitants en 1990, 22 876 habitants en 1982, 22 401 habitants en 1975 et 22 876 habitants en 1968.

Le Petit-Quevilly-population

  • Ce recensement de la population de la ville de Le Petit-Quevilly est sans doubles comptes.
    Ce concept de population de Le Petit-Quevilly sans doubles comptes signifie que chaque personne habitant Le Petit-Quevilly et ayant des attaches dans un autre commune n’est prise en compte que pour l’une de ces deux communes.

Répartition de la population de Le Petit-Quevilly par sexe en 2007

– Le nombre d’hommes habitant était de 10 432
– Le nombre de femmes habitant était de 11 539

Répartition de la population de Le Petit-Quevilly par âge en 2007

– Population de Le Petit-Quevilly de 0 à 14 ans : 4 070 habitants
– Population de Le Petit-Quevilly de 15 à 29 ans : 5 031 habitants
– Population de Le Petit-Quevilly de 30 à 44 ans : 4 721 habitants
– Population de Le Petit-Quevilly de 45 à 59 ans : 4 150 habitants
– Population de Le Petit-Quevilly de 60 à 74 ans : 2 562 habitants
– Population de Le Petit-Quevilly de 75 ans ou plus : 1 435 habitants

 

LOGEMENT SOCIAL

En 2018, au niveau national,

En 2017, plus d’ 1,8 million de demandes de logement social sont enregistrées par le système national dit « numéro unique ».Source

Les Derniers chiffres du logement social

Au 1er janvier 2018, le parc locatif social compte 5 003 500 logements, en progression de 1,8 % sur un an, soit 89 000 logements supplémentaires.

En 2017, 78 200 logements ont été mis en service:

  • 91 % d’entre eux sont neufs.
  • Dans le même temps, 10 200 logements ont été démolis,
  • 10 400 ont été vendus et
  • 700 ont changé d’usage ou ont été restructurés.

Par ailleurs, 9,4 % de l’ensemble des logements sociaux (hors nouvelles mises en service) ont fait l’objet d’un emménagement. Au 1er janvier 2018, la proportion de logements vacants est restée stable à 3,0 %. Le taux de vacance de plus de trois mois varie très peu ; il s’élève à 1,5 %, soit 0,1 point de moins par rapport aux trois années précédentes.Source

« Les logements sociaux sont attribués sous conditions de ressources et de séjour régulier en France. Le plafond de ressources à respecter dépend notamment du type de logement et de sa localisation.

Certaines personnes, compte tenu de leur situation personnelle, sont définies comme prioritaires. « Source

Screenshot_2019-04-15 Logement social conditions d'attribution.png

Le HLM en chiffre (2018) les_hlm_en_chiffres_2018

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Personnes prioritaires

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Le logement social en FRANCE et par Région

Nous pouvons noter que la région Normandie comprend entre 200 000 et moins de 300 000 locataires en logements sociaux, soit 17, 6%. Ce pourcentage est plus élevé que la moyenne nationale qui est de 15%.

Parc social & étiquettes énergie

Qui est énergivore ?

La classe énergie est une note allant de « A » à « G « . La note « A » indique que le bien a une excellente performance énergétique, c’est-à-dire qu’il est parfaitement isolé et qu’il consommera peu d’énergie pour être chauffé (maison basse consommation bbc). Au contraire, un DPE E ou un DPE F indique que le bien est mal isolé et que vous devrez surement engager des frais de rénovation pour isoler la toiture, les fenêtres ou les murs ou changer la chaudière. La classe énergie vous permet par conséquent d’anticiper et de connaitre le montant de vos consommations futures d’énergie et donc de vos factures.

Screenshot_2019-04-15 Classe energie le calcul DPE du bilan énergétique Allodiagnostic

Selon cette carte, en Normandie, le parc se découpe de la façon suivante: seulement 1/3 des logements ont une classification « responsable ». 67% des logements du par social sont énergivores, mal isolés et dont les rénovations se font attendre.

 

 

Étiquettes Gaz à effet de serre (GES)

 

Il existe différents gaz à effet de serre, contribuant au réchauffement climatique : le dioxyde de carbone, le méthane, l’oxyde nitreux, les chlorofluorocarbones, etc. Par convention, le CO2 sert « d’étalon » des gaz à effet de serre. C’est pourquoi la classe énergétique GES d’un logement est attribuée en fonction du poids « d’équivalent CO2 » dégagé par an par le bâtiment.

Les échelons de la classe GES :

La classe GES d’un logement est attribuée selon ses émissions de gaz à effet de serre :

  • Classe A : moins de 5 kgeqCO2/m2.an (Bâtiment BBC),
  • Classe B : 6 à 10 kgeqCO2/m2.an,
  • Classe C : 11 à 20 kgeqCO2/m2.an,
  • Classe D : 21 à 35 kgeqCO2/m2.an,
  • Classe E : 36 à 55 kgeqCO2/m2.an,
  • Classe F : 56 à 80 kgeqCO2/m2.an,
  • Classe G : plus de 80 kgeqCO2/m2.an.

Selon cette carte, la région Normandie est la 7ème région de France avec ses 43% (classes E F et G), ce qui la classe dernière du peloton de tête ( Est de la France, Nord et la région lyonnaise). De plus, elle cumule, pour ses classes D, E, F et G: 78%.

Qui est accueilli en logement social?

Après l’approche par ces classifications, nous pouvons questionner, au niveau national, la composition familiale des ménages et la part de personnes seules, des familles monoparentales et familles nombreuses.

Examinons ensuite les catégorie socio-professionnelles au niveau national et demandons-nous quelle est la part des employés/ouvriers?

Interrogeons le niveau de vie annuel médian et le taux de pauvreté de ces habitants

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Notons que le taux de pauvreté est nettement supérieur dans le parc HLM avec 31% des locataires. On observe un phénomène de paupérisation des locataires du parc social compte tenu du faible niveau des ressources des demandeurs et des attributaires. Une demande sur quatre est pourvue soit 23% pour l’ensemble des ménages demandeurs.

Quel taux de succès par région?

Alors que la moyenne nationale est de 23%, nous pouvons constater que, pour la région Normandie, ce taux s’élève à 41%. Elle fait partie des régions les plus favorables.

Quel est le niveau moyen de loyer, pour le logement sous contrat de location – parc HLM,  au M² ?

58 % des logements HLM ont un loyer compris entre 4 et 6 € mensuel par m² de surface habitable (SH) et 85% des logements ont un loyer inférieur à 7€ mensuel par m² de SH. Observons la répartition régionale de ces données.

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Quelle est la proportion régionale de logements dits « très abordables » (inférieurs au plafond de l’ APL ?

  • L’aide personnalisée au logement (APL) est une aide financière destinée à réduire le montant de votre loyer ou de vos mensualités d’emprunt en cas d’accession à la propriété d’un logement ancien situé en dehors d’une zone tendue. Elle est versée en raison de la situation de votre logement et ce, quelle que soit votre situation familiale : célibataire, marié, avec ou sans personne à charge.Source

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La région Normandie se détache encore une fois avec un taux de 59%, supérieur à la moyenne nationale qui est de 54%, avec quatre régions que sont l’Alsace/Champagne-Ardenne/Lorraine, L’Ile-de-France et le Centre Val de Loire.

Après cette vision nationale, nous pouvons ajouter que le parc social français est quasiment le plus important d’Europe.

 

Le Petit-Quevilly et son parc de logements sociaux

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Immeuble le Petit-Quevilly ( rallye photo « La rue est une mine d’or  » organisé en mars 2018)

Sur le site internet de la commune, le logement relève de la catégorie SOCIAL, à l’onglet logement, la 1ère chose qui se donne à être considérée est ceci:

Il existe à Petit-Quevilly un nombre important de sociétés HLM proposant des logements très variés, à différents niveaux de loyers. Pour éviter aux futurs locataires des démarches multiples (dépôt d’un dossier dans chaque société), le service habitat peut dresser un aperçu général des possibilités de logement sur la commune.

Screenshot_2019-04-15 logements collectifs - Ville de Petit-Quevilly.png

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Le Grand -Quevilly & Quevilly Habitat

« 2014 a été marquée par les 90 ans de la société et la livraison du symbolique 10 000ème logement» Source

431 nouveaux logements ont été livrés :

  • 171 à Grand-Quevilly, 99 à Maromme,
  • 94 à Petit-Quevilly,
  • 38 à Rouen,
  • 23 à Elbeuf
  • 6 à Isneauville.

Réhabilitations en 2014

  •  271 logements collectifs et 116 pavillons à Grand-Quevilly,
  •  Démarrage de la réhabilitation de 104 pavillons supplémentaires à Petit-Couronne.

 

Nous reviendrons plus en détail sur les logements qui sont concernés localement par cette recherche.

 

Isabelle Pompe, 15 Avril 2019

Perception du territoire

Percevoir se définit par le fait de saisir quelque chose par les organes des sens, discerner, parvenir à connaître, à distinguer. La perception pourrait être une idée plus ou moins nette de quelque chose. Alors ce territoire, comment est-il perçu, sous quel aspect se présente-t’il?

Quels visages ?

Résidente, depuis octobre 2015, du Petit-Quevilly, je réalise et continue de mesurer une absence de « fierté » ouvrière de mon territoire d’habitation par rapport aux messages/images que la commune « emploie » pour se donner une pluralité de « visages ». La politique du maire, en matière communicationnelle, est un vecteur d’image très puissant. C’est par le déploiement de sa stratégie de communication que nous pouvons comprendre les mécanismes d’une stratégie globale. Si la visibilité de ce territoire se constitue avec une absence de relai mémoriel et sans valorisation d’un existant, nous pouvons nous demander ce qui soulève un intérêt plus important.

La Valeur travail

Dominique Royer, en 2002, pour « Qu’en est-il de la « valeur travail » dans notre société contemporaine ? » Précise que « L’homme est un être vivant et, de ce fait, il agit. C’est une activité de pensée, de réflexion, de contemplation ou de création. C’est aussi une forme de rapport de l’homme au monde jusqu’à l’activité de transformation du milieu social ou naturel. »Source

L’intégration par le travail est économique, symbolique et sociale :

  • économique car elle autorise l’insertion et la participation au travers d’activités de production et de consommation ;
  • sociale parce qu’elle entraîne la constitution de liens sociaux par l’inscription dans des groupes ;
  • symbolique par les normes et les valeurs communes qui sont construites socialement.

« Le travail occupe une place essentielle dans nos sociétés, même par son absence. C’est une des bases de l’économie. C’est la source principale des revenus qui autorise l’accès à la consommation. C’est aussi la voie principale de l’insertion sociale. Le travail structure des catégories professionnelles et des pratiques collectives. Dominique Royer

Si je m’en tiens à la communication de ce territoire, je ne vois guère apparaître le patrimoine ouvrier par exemple. Le travail est un élément structurant mais il ne semble pas être perçu comme vecteur d’un patrimoine. Il occupe, par ailleurs, une place maîtresse dans nos sociétés. Localement, peu de réhabilitations, hormis le bâtiment de l’ancienne filature de la Foudre, ont été réalisées. Dans le même temps, il s’agit bien du site au regard de son édifice et non des personnes qui y ont travaillé qui sont mises en valeur par cette légitimation nouvelle.

La notion de patrimoine

Cette singularité territoriale est suffisamment créatrice de distinction pour constituer un patrimoine. Le patrimoine culturel se définit comme l’ensemble des biens, matériels ou immatériels, ayant une importance artistique et/ou historique certaine, et qui appartiennent soit à une entité privée (personne, entreprise, association, etc.), soit à une entité publique (commune, département, région, pays, etc.).

Cet ensemble de biens culturels est généralement préservé, restauré, sauvegardé et montré au public, soit de façon exceptionnelle (comme les Journées européennes du patrimoine qui ont lieu un week-end au mois de septembre), soit de façon régulière (château, musée, église, etc.), gratuitement ou au contraire moyennant un droit d’entrée et de visite payant.

  • Le patrimoine dit « matériel » est surtout constitué des paysages construits, de l’architecture et de l’urbanisme, des sites archéologiques et géologiques, de certains aménagements de l’espace agricole ou forestier, d’objets d’art et mobilier, du patrimoine industriel (outils, instruments, machines, bâti, etc.).
  • Le patrimoine immatériel peut revêtir différentes formes : chants, coutumes, danses, traditions gastronomiques, jeux, mythes, contes et légendes, « petits métiers », témoignages, captation de techniques et de savoir-faire, documents écrits et d’archives (dont audiovisuelles), etc.

Le patrimoine fait appel à l’idée d’un héritage légué par les générations qui nous ont précédés, et que nous devons transmettre intact ou augmenté aux générations futures, ainsi qu’à la nécessité de constituer un patrimoine pour demain. On dépasse donc largement la simple propriété personnelle (droit d’user « et d’abuser » selon le droit romain).

 

Il relève du bien public et du bien commun

 

Demandons-nous si notre patrimoine ouvrier relève du bien public et du bien commun? Est-il de l’ordre de l’intérêt général de savoir, de connaître le passé industriel d’une commune ? Lorsque nous prenons conscience des conséquences en termes de santé publique et de sécurité civile que soulève cette présence industrielle forte, nous pouvons affirmer que cette « existence chimique, pétro-chimique et pétrolière » relève de l’intérêt général.

Petit-Quevilly est cet espace de référence fait de pierres et non de paroles, peu d’échanges et donc peu de transmissions, peu de partages de ces « humanités » prennent forme. La commune ne propose guère à ses habitants de se rencontrer. Si l’on se réfère aux mutations engendrées par la notion de gouvernance, qui vont jusqu’à impacter l’intégralité des politiques publiques en replaçant au centre le citoyen, je me demande où se situe ce territoire et s’il n’est pas lui-même « détaché » des évolutions de mentalités.

Les risques ?

Vivre déconnecté des changements c’est s’assurer d’un retard quant à l’attractivité de son territoire, c’est aussi se garantir un défaut d’autonomie citoyenne, gage d’une émancipation. Confirmer que le repli est toujours à l’œuvre et conserver le contrôle et donc entretenir une certaine méfiance des citoyens que l’on perçoit encore comme des usagers et non comme partie prenante. « Penser à leur place » est aussi le meilleur moyen de se couper des populations.

L’oubli, la disparition de cette mémoire ouvrière, et la perte de singularité de la commune sont des risques non négligeables. Avec l’ignorance des habitants et le désaveu de la commune, comment « vit » cette histoire? Comment est-elle traitée et archivée, comment est-elle transmise, comment se régénère-t’elle et à partir de quoi, de quand, l’histoire officielle de la commune est jugée acceptable, transmissible?  Plonger ce territoire d’habitation dans le grand bain inoculant et aveugle de la méconnaissance c’est aussi mépriser ce qui le distingue.

 

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Enfants dans la cité UNAN- Petit-Quevilly, Novembre 1952, Henri Salesse

Gouvernance & Marketing

Le vocable gouvernance exprime la manière de conduire les affaires d’une entité. Dans le cadre d’une organisation, la mise en place d’une gouvernance digne de ce nom implique une définition précise du processus de décision et des parties prenantes impliquées pour la question du pilotage.

C’est un concept représentant la manière dont un domaine d’activités est gouverné. La gouvernance renvoie à un système d’entités décisionnelles qui dirige un certain domaine d’activités, autrement dit à un « système de gouvernance », impliquant notamment une structure de gouvernance et un dynamisme de système (processus de gouvernance, activités de gestion, etc. Attention toutefois à l’usage parfois contradictoire qui est fait de ce terme, nous pourrions isoler les trois étapes d’une gouvernance démocratique comme suit:

  1. Vérifier régulièrement la pertinence (qui la définit?) et la permanence du projet.
  2. S’assurer que l’action menée est conforme au projet, et en mesurer l’impact.
  3. Conduire l’action conformément aux règles établies en commun.

 

MARKETING TERRITORIAL

Pourquoi cette commune ne crée par d’instances participatives, ni ne permet pas, par le biais, de lieux physiques des espaces de paroles citoyens ? Avec sa géographie particulière et son absence de centralité, comme nous l’avons déjà évoqué, Le Petit-Quevilly, donne à comprendre et à recevoir une image de ville déconnectée de son passé lorsque celui-ci nous est compté. Car dès la découverte de cette commune, lors d’une promenade physique ou virtuelle, nous ne percevons pas son histoire. Il n’y a pas de plaque, ni de musée de l’industrie, rien ne vient commémorer ce lien, pourtant très fort entre ce territoire, ses habitants et ses usines.

En pleine interrogation quant au marketing territorial, je me suis demandée s’il ne s’agissait pas d’une image non désirée par la commune.

« Le marketing territorial désigne la manière dont les pouvoirs publics utilisent les techniques de la publicité et de la communication, issues du monde de l’entreprise, pour promouvoir leurs territoires. Ces pratiques existent à toutes les échelles, depuis la promotion d’une petite commune à celle d’un État. Le but est d’attirer des populations jugées désirables, des investissements, des entreprises, ou tout cela à la fois. « Source

Les supports (affiches, spots publicitaires, sites internet) sont des indicateurs indispensables pour la compréhension d’une stratégie de marketing territorial. Nous pouvons comprendre le positionnement de la commune, les cibles visées et appréhender la notion d‘image voulue.

 

STORY TELLING

Le storytelling, c’est l’art de raconter des histoires (et de les écouter), son but: convaincre et persuader, de manière objective, donner confiance. L’idée étant d’attirer – reprenons les termes issus de la définition du marketing territorial  – » les populations jugées désirables, des investissements, des entreprises« . Comment construire une image en -dehors d’une histoire véritable?

Pour commencer, nous avons noter qu’il ne s’agit pas d’activer voire de réactiver les ressources spécifiques d’un territoire comme ici avec notre passé industriel mais de capitaliser avec des ressources à même d’attirer l’extérieur (capitaux comme habitants).

« Le paysage est l’un des supports les plus courants du marketing territorial, d’autant qu’il peut servir de support à un discours orienté dans le sens voulu : éloge de la lenteur, préservation du patrimoine et perpétuation des traditions (dans le cas d’une campagne de publicité pour la région Bourgogne), ou au contraire hyper connectivité, dynamisme économique et insertion dans la mondialisation (en particulier lorsque le public ciblé sont les investisseurs et les entreprises).

  • SEINE INNOPOLIS

« Situé au sud de la métropole rouennaise, le pôle d’excellence Seine Innopolis accueille sur près de 10 000 m², dans un ancien bâtiment industriel inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, les entreprises dédiées au numérique. » Source . C’est ainsi qu’est décrit, dans les premières lignes, ce projet, vous remarquerez que la situation géographique est pour le moins vague.

Il se présente comme  le pôle des technologies de l’information et de la communication et a ouvert ses portes en centre ville en 2013. Mais est-il ouvert à la population? C’est avant tout un programme immobilier qui se compose davantage de bureaux (open space, espace de co-working), de salles de réunion et espaces communs, des services et de locaux de stockage et techniques. L’accès y est sécurisé.

 

  • Interrogeons la recherche et le secteur public?

« La Normandie se classe parmi les dernières régions métropolitaines…La recherche est essentiellement porté par les entreprises privées… »

  • SEINE INNOPOLIS & son offre

Screenshot_2019-04-11 Pôle numérique Seine Innopolis - Rouen Normandy Invest

Startup, innovation, R&D, réseau de formations avec les campus universitaires, écoles d’ingénieurs et de commerces…

  • Quel degré de proximité avec les habitants? 

Observons les niveaux de diplômes selon l’âge au niveau national puis en Seine-Maritime avec les derniers chiffres de l’INSEE ( 2015.)

 

Au niveau national, nous pouvons remarquer que pour les 25/49 ans, la part globale du supérieur (court + long) correspond à 40, 3 % et que la part qui correspond à l’ensemble (de 25 à 65 ans et plus) est de 25, 9 %. La part de ceux qui ne possèdent pas de diplôme, brevet, CAP/BEP et Bac est de 64,7%.

  • Que disent les chiffres du département de la Seine-Maritime ?

La part des titulaires (dans l’ensemble) d’un diplôme de l’enseignement supérieur âgé de 15 ans et plus est de 23% sans distinction (court ou long). Celle des « sans diplôme, CAP/BEP et titulaire du BAC » est de 77%.

Screenshot_2019-04-11 Pôle numérique Seine Innopolis - Rouen Normandy Invest(1).png

Seine Innopolis est un site qui ne s’inscrit pas de manière extra locale au regard de la population concernée (les habitants) et du quartier populaire au sein duquel il s’ancre.

Enfin ces formes de communications tendent souvent au greenwashing, c’est-à-dire à présenter un territoire comme durable ou respectueux de l’environnement, en dépit des faits.« Source

  • « Petit-Quevilly Village »

 » La commune a entamé la réalisation d’environ 500 nouveaux logements sur un secteur en pleine mutation. Ainsi devrait-on voir, depuis l’actuelle salle des fêtes Astrolabe jusqu’à l’église Saint-Pierre, une déclinaison d’espaces collectifs et semi-collectifs : cours, jardins, square, allées, bandes paysagères… Le long d’une coulée verte desservant les équipements majeurs et symboliques, tels que la mairie, les écoles, l’église et la salle des fêtes. Au total, plus d’un hectare d’espaces verts parsèmera les voies, îlots et rues résidentielles du quartier. »Source

L’objectif :  Redynamiser un quartier et attirer de nouveaux habitants. Il y aura du collectif et de l’individuel, et 20% de logement social », présente Charlotte Goujon, deuxième adjointe en charge des finances, de la politique de la ville, et des affaires scolaires. Le cadre lui-même devrait permettre d’améliorer la vie dans le quartier avec un hectare sur cinq dédié à la voirie, aux aires de jeux et aux allées réservées aux modes de déplacement doux.Source

Un problème de connexion: Entre une réelle scission de ce quartier avec le reste de la commune et la présence immédiate de la SUD III, ce projet soulève quelques interrogations. Il est, en effet, le seul espace où les immeubles n’ont pas impacté le paysage. Il est, à la fois; coupé symboliquement de ce qui caractérise les limites géographiques du Petit-Quevilly et proche de la mairie. Il apparaît comme étant le seul quartier qui pourrait bénéficier d’une nouvelle centralité.

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Un problème de santé : « Petit-Quevilly c’est aussi une route à fort trafic qui découpe la commune, la SUD III ▬ « Des chercheurs de l’Inserm du CRESS (Centre de Recherche Épidémiologie et Statistique Paris Sorbonne Cité, Inserm – Université Paris Descartes – Université Paris 13 – Université Paris Diderot – INRA) ont étudié le risque de leucémie aiguë chez l’enfant à proximité des routes à fort trafic ■ Les résultats montrent que la fréquence de nouveaux cas de leucémie de type myéloblastique (418 cas sur les 2760 cas de leucémie) serait plus élevée de 30% chez les enfants dont la résidence se situe à moins de 150 m des routes à grande circulation et qui ont une longueur cumulée dans ce rayon dépassant 260m. » Source

Screenshot_2019-04-11 Mappy - Plans, comparateur d'itinéraires et cartes de France.png

Et vous ?

En tant que citoyens, résidents de ce territoire par conséquent partie prenante de son histoire, avez-vous conscience de votre rôle ? Vous percevez-vous comme des  ressources au regard de votre mémoire, récits et paroles?

Comment vous sentez-vous au sein de cette commune?

Aimez-vous votre territoire? Quels rapports entretenez-vous avec votre commune?

Existe -t’il un lien familial générationnel entre vous et ce territoire? Comment le définiriez-vous?  Est-il proche, sans importance ? Ces questions feront parties du questionnaire bientôt diffusé.

Petit- Quevilly, 1952 Henri Salesse

Henri Salesse, Petit-Quevilly, Novembre 1952

In Situ

Les structures, les politiques publiques activent très peu le passif social et industriel de ces territoires d’inscription. Ces communes doivent leur image, histoire et développement en très grande partie grâce à la place de l’industrie. Elle est cette présence constitutive quasiment identitaire. Mais entendons-nous parler de ces sites au regard de la constitution d’une mémoire collective et ouvrière sur place ?

La commune du Petit-Quevilly semble plutôt assez mal vivre sa situation historique et sociale au point de ne pas parler, de ne pas commémorer et donc de ne pas donner de place à ces particularités. S’agit-il d’un sentiment de honte quant aux industries qui certes sont présentes économiquement mais aussi participent de plein fouet à des pollutions plurielles sur cet espace de référence? Ou alors est-ce l’image disons « prolétaire » qui ne fait provoque pas les « bons bruits » ?

La commune est, il est vrai, sujette à des crispations sociales dans certains de ces quartiers, assortis de l’appellation ZUS (Zone Urbaine Sensible), possède un parc en logements sociaux équivalent à 38%, le trafic de drogue notamment et l’insécurité sont parfois pointés du doigt. Mais, qu’est-ce qui gêne dans cette commune ? Nous pouvons  dégager au regard de la perception soit une « mauvaise réputation » soit une « identité aseptisée » dans le sens neutralisée et perdue au profit de la notion de banlieue/Couronne/ Agglomération.

La banlieue se définit par une zone floue, franche mais indéfinie. Une sorte de non-lieux d’un point de vue macroscopique qui existe grâce à la ville/Métropole autour de laquelle il se constitue. A l’aune de la réforme des espaces de références, la banlieue reste une zone péri-urbaine clivante qui subit son exclusion. Alors, quoi ressentir lorsqu’on se sait résidents d’une commune de l’agglo riche par ailleurs mais dont l’image n’étant pas valorisable pour une stratégie de marketing territorial se voit dissoute, anéantie au profit du non man’s land banlieue et toute sa péjorativité.

Que connait-on de la ville que nos territoires sociaux entourent? A qui appartenons-nous? A Rouen ou à notre commune?

Si nous nous considérons comme rouennais, ne sommes -nous pas déconnectés de notre territoire extra local qui lui possède une histoire très marquée et surtout très différente?

Quel est notre sentiment d’appartenance entretenons-nous avec notre lieu de résidence et, avant cela, que savons-nous de la commune au sein de laquelle nous sommes installés?

Paris & Sa banlieue

« Dans l’intimité de chacune et chacun s’écrit l’histoire de la banlieue à la fin du XXe siècle, une histoire en marge de l’actualité, mais qui depuis n’a pas changé pour les pauvres vivant près de la capitale sans ne rien en connaître. On peut hélas le constater à la projection du film récent d’Olivier Babinet, Swagger. Les deux mondes s’ignorent mutuellement« . Source

 

Ex Nihilo

En partant de rien

Souhaiter attirer une autre population en véhiculant une autre histoire n’est-ce pas un aveu du peu de satisfaction voire de considération des habitants actuels ? Nier leur contribution c’est aussi les ignorer, refaire une histoire, reconstruire une image c’est partir d’un tout qui ne serait « rien ». Une « biographie » de la ville élaborée hors-sol.

Petit-Quevilly possède par ailleurs, une histoire qui s’est construite au fil du temps, d’un temps long, elle n’est pas une cité nouvelle ni une ville conceptualisée à l’instar du Val de Reuil par exemple.

  • Voici plus de 40 ans que la ville de Val de Reuil (ville nouvelle le Vaudreuil) est « sortie de terre » partant de rien, édifiée en pleine campagne, dans la plaine du Vaudreuil, limitée à l’ouest par les forêts de Bord et de Louviers et à l’est par les falaises du Vexin longeant la rive droite de la Seine. Conçu par l’atelier Montrouge avec comme objectif d’atteindre 140 000 habitants en l’an 2000. Cette commune, en 1967, fait partie d’un programme de création de neuf villes nouvelles afin de répondre à des impératifs économiques de décentralisation industrielle et de développement du secteur tertiaire, démographiques et souvent environnementaux décidé par l’État.

 

L’image comme capitulation

L’image comme vecteur du renoncement, comme l’ incarnation d’un abandon de la vraie histoire. Une vision fictive qui interroge la transparence, l’effacement.

L’histoire est pourtant une passion pour beaucoup de citoyens de l’hexagone, une ressource inestimable en termes d’attractivité, alors pourquoi? La hiérarchie du souvenir prime-t’elle ? Existe-t’il une histoire honorable et une autre que l’on préfère ignorer, cacher?  Quelle image est diffusée de notre commune?

Depuis le site internet du Petit-Quevilly, nous percevons une image confuse, des visages floutées, des scènes « brumeuses », les endroits sont reconnaissables mais les « gens » souffrent d’une imprécision.

Voici ce que propose le bandeau déroulant de la 1ère page du site:

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A la hauteur de la prise de vue répond un éloignement, en toute logique du sol, du concret quotidien et donc loin de la hauteur des hommes. Les sites photographiés sont le CDN – Centre Dramatique National (ancien théâtre de la Foudre), la médiathèque François Truffaut, l’Église Saint-Antoine de Padoue, le bâtiment de l’ancienne Filature de la Foudre (Seine Innopolis), la piscine Tournesol, le parc des Chartreux (jardin des Oiseaux).

L’ impression de voir s’exprimer une « identité communale » qui tient peu compte de ses diversités, il ne s’incarne pas avec des « visages » mais avec des « scènes ». On assiste davantage à une forme d’uniformisation, voire d’atomisation d’un territoire, nous pouvons le regretter car il est le résultat d’une histoire riche car sédimentée.

Pourquoi choisir une autre image de notre territoire?

En quoi, la place des activités industrielles et donc des ouvriers n’est pas ressentie au regard, par exemple, des moyens communicationnels et d’une politique culturelle. Notre territoires social souffre d’une présence ouvrière non légitimée. On entend assez peu parler de cette place très forte occupée par les entreprises de la seine industrielle dans les mémoires et dans les quotidiens. Une sorte de déconnexion entre le l’image voulue, transmise via les services de communication, les discours, les supports de cette commune et celle qu’en ont les habitants. Eux sont reconnus fiers de leur passif, de leur mémoire industrielle et ouvrière.

Avec l’enquête terrain qui se précisera en juin et juillet (questionnaires), je vais tenter de mesurer le degré de fierté, la place de la commune dans l’esprit des habitants et implicitement les formes de liens qui existent entre eux.

A cela s’ajoute une désinformation des habitants quant aux risques auxquels ils sont confrontés historiquement et quotidiennement. Un accès complexe à l’information du, en partie, à une formulation spécifique à grands renforts d’acronymes pourrait se dessiner.

Ceci trouve un écho particulier à ma démarche. On m’estime optimiste dans ma capacité à intéresser et à sensibiliser des personnes qui seraient elles-même non intéressées par ces informations. Est-ce un refus de se sentir concerné? Une crainte? Un aveu d’incapacité à réagir, à intervenir? Auraient-ils baissé les bras? Pourquoi ne pas faire confiance à l’éveil possible d’une conscience collective?

Je reste toujours étonnée par ce sentiment négatif formulé, dès mon arrivée à Rouen, en 2014. Nous verrons bien.

 

Isabelle Pompe, 11 Avril 2019

 

Territoire social & Voiture # 2

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In advance of a broken car, IPL, 2017

Nous avons vu précédemment dans Territoire social & Voiture # 1, l’automobile fait partie intégrante de notre « paysage ». Nous résidons, pour la plupart, dans des espaces de relégations, des banlieues où ce mode de déplacement est presque le seul moyen opérant pour se déplacer. De plus, de par notre territoire social, et ce constat, nous sommes les premiers à subir les effets néfastes de la voiture -pollution- dépendance- coût associés. Par ailleurs, il existe un amour populaire de l’automobile.

Paradoxe ?

Non, elle appartient à une culture populaire, c’est un patrimoine défendu qui possède des « valeurs ». Alors, dans cet article, nous évoquerons les modes d’expression de cette culture « voiture ».

Pourquoi ?

Parce qu’à « territoire social » s’associent des pratiques populaires qui se doivent d’être traitées sans jugement de valeur. De plus, ces cultures/ loisirs sont stigmatisés, parfois dénoncés, décriés…Ici, sur mon territoire d’habitation, sur quelques mètres à peine, je vois chaque jour mon jeune voisin et sa « voiture tunée » bleue, mais surtout, je l’entends. J’ai aussi à portée de vue, mes autres voisins en bas, en face, en train de réparer voiture, camionnette/camion qui se composent de deux groupes distincts.

C’est depuis ces postes d’observation que s’est structuré cet article, autour de deux postures: l’acteur et le spectateur. La 1ère partie de cet écrit concerne l’acteur avec la notion du « faire« – sera donc développé la pratique du Tuning. Elle sera également questionnée comme marqueur social. Nous l’avons noter, précédemment, il existe un amour populaire de la voiture, de ce fait, il semble intéressant de nous pencher sur les courses automobiles à travers la posture du spectateur. Avec Les 24 h du Mans et la Formule 1, au regard de leurs stratégies et territoires, nous développerons la question de la réception de leurs publics. Nous irons, ensuite du côté de la mécanique comme activité et secteur pour reprendre cette posture de l’acteur – « du faire« , puis vers la mécanique « sauvage« , en tant que spectateur, en nous demandant comment est définie, vécue cette pratique ? Et enfin, L’approche, à la fois anthropologique et artistique de David de Beyter, des « Big Bangers ». Cette communauté qui vit le crash de voiture comme art de vivre.

 

« Dans l’horreur que suscite, chez certains, la sociologie entre pour beaucoup le fait qu’elle interroge le premier (ou le dernier) venu au lieu de donner la parole seulement aux porte-parole autorisés ».

Pierre Bourdieu, La distinction.

 

La suite qui serait susceptible d’être donnée à cette série d’articles -consacrée à notre rapport affectif et subi aux voitures – pourrait prendre la forme d’une documentation visuel. Un travail de portrait (ethnophotographie) des résidents de ma rue et de leur véhicule.

 

1. LE TUNING

En transformant les comportements de ces populations issues des classes populaires en mépris de classe, ce sont des lieux de mémoire, générationnels par définition, que l’on attaque, que l’on moque. Une mémoire ouvrière, rurale dont le récit des portes-paroles légitimes a été si souvent refusé.

Le Tuning, un marqueur social

Pour explorer cette discipline/pratique/loisir pas si évident à définir, nous reprendrons les propos de Yoann Demoli (co-auteur avec Pierre Lannoy de l’ouvrage « Sociologie de l’automobile » paru en janvier 2019 aux éditions La Découverte), les travaux d’Eric Darras et son article « un lieu de mémoire ouvrière: le tuning » et l’émission de Chloé Leprince sur France Culture du 13 mars 2019, « Beauf, plouc et gros Jacky : de Shakespeare au tuning, ces (dé)goûts qui innervent le mépris de classe. »

 

Le « tuning » est le parangon de ce qui est moqué dans la voiture par certaines catégories sociales comme un « truc de beauf » selon Yoann Demoli Source

« Une passion pour l’automobile est une pratique culturelle classante, c’est-à-dire une pratique culturelle observée avec condescendance et mépris par les instances culturelles. Selon le sociologue Pierre Bourdieu, « la pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe, à justifier la domination des uns par les autres ». (Source)

« Cette fracture automobile recouvre une fracture culturelle. A chaque fois qu’il est question de tuning, le message sous-jacent est : comment peut-on aimer les voitures ? Comment peut-on aimer les voitures alors qu’au mieux cet ustensile doit être perçu de manière utilitaire, sans compter tous ceux, qui, dans les grandes villes désormais, n’en possèdent plus. » Source

« Il est loin le temps où les dominants de Pierre Bourdieu avouaient aimer les voitures, il faut remonter pour cela au temps de Françoise Sagan et de Pompidou, comme si, depuis lors, les routes de chaque classe sociale s’étaient séparées sans jamais pouvoir se rejoindre. » Source

 

Une tentative de définition

« Le tuning semble défier la sociologie de la culture : il relève à la fois de l’activité populaire et esthétique, de la pratique culturelle et sportive, individuelle et collective, de la « passion » ordinaire préservée bien que fortement méprisée et réprimée par le droit et les forces de l’ordre ; il s’agit encore d’une activité culturelle pratiquée par de jeunes hommes virils et pourtant patients et exigeants, des individus modestes pour un loisir coûteux. » Eric Darras – source

Un aperçu historique

De son côté dans l’émission de France culture, nous parlerons plus facilement de loisir.

« Ce loisir né de la bidouille de vieilles carcasses avec le “hot rod” dans l’Amérique des années 20 pour faire des rodéos du côté de San Francisco, est arrivé en France au début des années 1990. Au plus fort de son succès, voilà une petite dizaine d’années, les sites spécialisés estiment que le tuning aurait rassemblé jusqu’à 200 000 passionnés.

Entre-temps, sa popularité outre atlantique devait beaucoup à la jeunesse hispanique puis aux rappeurs à grosses cylindrées dorées. » Source France Culture

Qui sont ces passionnées?

Le travail d’enquête sur le terrain mené, dans la région de Montauban en 2012, par Eric Darras a permis de souligner que tous ou presque appartenaient à une jeunesse rurale. Tous sont confrontés aux  » transformations socio-économiques lourdes auxquelles ces jeunes hommes tentent aussi d’apporter leurs réponses par le tuning. Mais les tuners se distinguent néanmoins des plus démunis par les ressources, savoirs et savoir-faire précisément objectivés dans et par leurs véhicules tunés, objets d’une fierté individuelle et collective. » Source Eric Darras

Pourquoi?

« Le tuning revêt des critères esthétiques, célébrés lors des meeting et autres compétitions. Les prix, trophées sont autant de récompenses convoitées ce pourquoi le « Faire pour faire » est primordial et ces « ouvriers qui font du beau »  deviennent des « œuvriers ». L’idée étant que « c’est beau parce que c’est bien fait« , l’amour du travail bien fait doit être perceptible : « l’objectif c’est de montrer notre passion ». »Source

Les « mains » & l’enfance

Chez les virtuoses, le tuning prolonge un intérêt déjà ancien pour le dessin ou la mécanique parfois devenue activité professionnelle. L’enfance, comme origine de la vocation est citée, pour les plus doués.

Passages

L’évolution des customisations évolue avec l’âge, le vélo, puis les scooters, motos en enfin la voiture avec l’obtention du permis de conduire comme libérateur, désinhibant moyen d’avoir enfin accès au Graal. Avec l’âge, la passion se transforme en vocation.

La quête

Ils désirent exprimer, créer, montrer une pièce unique, rare et singulière afin d’obtenir davantage le respect des pairs plus que l’admiration des non-initiés. Une façon de façonner, de s’opposer aux modèles ordinaires, de se placer face à la mécanisation qui engendra, avec elle, la standardisation. La fierté tient en l’art de faire soi-même.

Quel est leur territoire d’habitation?

Les tuners vivent le plus souvent dans un environnement industriel rural ou semi rural, dans des bourgs péri-urbains dans la ceinture des 20 à 30 km autour de villes moyennes selon l’article d’Eric Darras.

« Ce loisir qui consiste à accessoiriser, modifier soi-même, et décorer sa voiture au prix de longues heures de travail et souvent d’un vrai budget, Eric Drouet le pratique en effet depuis “Muster Crew”, une association qui rassemble près de cinq mille passionnés en Seine-et-Marne, le département à l’est de Paris. »Source France culture

Fierté ouvrière et patrimoine

« Comme affirmation populaire du soi, le tuning est une manière obstinée et créative de s’exprimer sous contraintes, une mémoire « d’en bas ». Comme pratique culturelle il rappelle, par le bas, et non sans une certaine lucidité tragique, la richesse perdue d’une vie populaire dans toutes ses dimensions culturelles, sociales ou affectives » ajoute Eric Darras.

Épisode Ford Mustang

(Citée dans la 1ère partie  » Territoire social & voiture # 1″) Revenons à ce modèle de voiture un instant.  « La motivation de Benjamin est patrimoniale, il certifie fièrement que sa Ford mustang rutilant était une « épave » lorsqu’il l’a acheté. Il s’agissait de le sauver, comme d’autres sauvent des monuments historiques. La mustang relève pour beaucoup de passionnés de l’automobile du chef-d’œuvre de la culture ouvrière. Source Eric Darras

* Cette voiture a vu le jour en 1964, pensée comme une petite voiture sportive qui envahirait les rues, elle fit une entrée fracassante. Ford venait de réinventer l’automobile pour les jeunes américains, de plus, de nombreuses options étaient disponibles pour agrémenter la voiture, le but étant que chacun ait une Mustang unique.

Voitures sportives comme étalon

« Les tuners prennent pour référence constante les voitures sportives, notamment allemandes, dont ils cherchent à reproduire les principaux marqueurs de distinction : becquet arrière des Porsche, ouverture des portes papillons des Lamborghini, pneus larges, jantes chromées… »précise Eric Darras.

Aujourd’hui en France

Monde de l’Auto Samatan

Les 21, 22 et 23 septembre 2018, s’est tenu le 11ème Monde de L’auto à Samatan. Avec ses plus de 4000 m² d’expositions de modèles et d’animations, le salon attend  plus de 10 000 personnes. Cet évènement doit son existence à des passionnés de la mécanique. Source  La commune de Samatan (Gers) compte environ 2400 habitants.

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Youngtimers

Depuis quelques années déjà, nous assistons à un retour en force voire à une déferlante des tendances des décennies 80- 90, en écho, les styles et pratiques convergent au point de concerner la mode, les modèles qu’ils soient vestimentaires ou encore ceux des voiture.Site du magazine Youngtimers

Les 1ères conséquences pour les modèles de véhicules, leurs côtes enflent. Ces nouveaux acquéreurs représentent des nouveaux collectionneurs mais ils couvrent aussi un très large spectre tant aux niveaux des modèles recherchés (berline, sport, grand tourisme, prestige) que des moyens financiers dont ils disposent. Les youngtimers sont à comprendre comme « jeune voiture de collection« , par conséquent une pluralité de marques et de modèles sont concernés toutefois la rareté de production et l’état conditionnent, en général, le passage de statut. La légitimation s’opère avec certains critères, sous condition.

  • La vente « Dream garage « 

RM Sotheby’s a proposé 140 youngtimers aux enchères. L’ensemble des lots de la collection était réparti sur quatre ventes: Paris, Amelia Island, Fort Lauderdale et Essen. Une vingtaine d’entre eux seront vendus le 6 février 2019, place Vauban à Paris. Pour la vente à Essen, deux Renault 5 Turbo 2, un modèle dont la cote atteint des sommets: entre 80 000 et 90 000 euros et une Lancia Delta HF Integrale Evoluzione «Martini 5» de 1992 (estimation 120 000 – 140 000 euros), par exemple.Source vente Essen

 

 

LA QUESTION DE LA RÉCEPTION

« A raison de 1500 euros minimum pour faire repeindre toute la carrosserie (mais facilement le triple pour de la peinture mate et des éclairs qui lacèrent les flancs) et des détails mécaniques insoupçonnables à l’oreille profane, le tuning est vite devenu un objet de raillerie. » Source France culture

 

Émission Strip-tease

135.3 db, un épisode de l’émission Strip-tease diffusé par France 3 en 2000. Le protagoniste resté dans les annales de la télé après ce passage s’appelait Christophe, qui, vingt ans plus tard, fait encore l’objet de nombreux commentaires ricanants à chaque fois qu’un internaute rend une copie de l’archive accessible depuis YouTube.

« C’est du côté de Douai, dans le Pas-de-Calais, que Strip-tease avait déniché Christophe, 23 ans, des enfants tôt, un Marcel, l’accent picard et une R21 « tunée » dont le pot d’échappement s’écoutait au ras du sol. »

Traitement médiatique

Dans les médias généralistes, on continue de parler plutôt comme d’une pratique exotique un peu grotesque, macho et pas très finaude. C’est le principe de la caricature : les ailerons dorés et le moteur qui grogne fournissent des images plus spectaculaires pour dire une jeunesse souvent rurale, plutôt invisible dans les médias. Source FC Les clichés opérant comme des objets caractéristiques de distinction: la tenue, l’accent et la pratique culturelle moquée (non légitimée par la haute culture) seront repris par les médias tels que les Inrocks (ils en ont fait, par exemple, leur deuxième moment d’anthologie de toute l’histoire de l’émission Strip-tease.) Strip-tease en 7 épisodes cultes – Les Inrocks

Le tuning ne relève pas d’une pratique isolée, elle est régulièrement associée aux présentations de voitures anciennes dans des salons et autre foires, aux courses auto/moto.

 

2. LA COURSE AUTOMOBILE

La course automobile est un sport et donc une pratique culturelle. En choisissant volontairement des manifestations très connues, c’est une façon de s’adresser à notre mémoire collective de téléspectateurs, à notre expérience commune de spectateurs. Aborder ces courses permet de se demander ce qu’elles peuvent produire comme image, comme réception populaire et comme forme d’attachement.

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24H du Mans 2016 Source

« Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle: la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive…Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la victoire de Samothrace.«  Filippo Tomaso Marinetti, Manifeste du Futurisme, 1909.

2.1 Les 24h du Mans

« L’automobile agit sur les représentations communes. Elle émeut, elle agit sur la sensibilité, elle fait intervenir l’émotivité. L’automobile ne laisse pas insensible les individus par toute une production médiatique qui a modelé les consciences individuelles de manière à ce qu’elle soit vue sous une certaine forme sympathique ayant donné naissance au mythe de l’auto. D’où son passage d’objet utilitaire à valeur économique à Objet mythique à valeur sacrale » selon Nathalie Halgand (Source)

Pour réaliser cette 2ème partie, l’idée étant toujours de questionner la réception, c’est l’article d’Eric Leser, du 18 juin 2017, pour Slate, qui m’a, ainsi, servi de point de départ. En écho, nous nous tournerons vers la bande dessinée Michel vaillant, puis en direction de la Formule 1. Un article de Michel Pinçon et Monique Pinçot-Charlot, « Sur la piste des nantis, les rallyes » de septembre 2001 au Monde Diplomatique ainsi que celui de Nathalie Halgand  » La passion de l’objet : le cas de l’automobile « Des œuvres d’art sur quatre roues » ont apporté leurs échos sociologiques.

L’intérêt de parler des 24h du Mans tient à la typologie de ses publics et au territoire au sein duquel elle s’inscrit, en outre, rappelons-nous les adeptes du tuning et leur référence en termes de véhicule: « les voitures sportives, notamment allemandes, telle que celles de la marque Porche « . Il se trouve que les 24h du Mans et la marque Porche, c’est une longue histoire avec 19 victoires, à ce jour.

  • La cas Mercedes-Benz

C’est avec l’accident dramatique de 1955 qui couta la vie à plus de 80 spectateurs dans les tribunes ainsi qu’au pilote français, de la Mercedes-Benz 300 SLR, Pierre Levegh. (Il s’agit du plus grave accident de l’histoire du sport automobile) que Mercedes s’est retiré de la compétition automobile en tant que constructeur pour les 43 années à venir au Mans, et durant 55 ans en Formule 1. Source images

Un peu d’histoire

Cette course automobile d’une durée de 24h se déroule en juin (l’édition 2019 se déroulera le 15 et 16 juin) et existe depuis 1923. Une semaine d’évènements est organisée autour de cette course.

La course en chiffres

  • Une fois par an
  • 1 journée test qui rassemble 23000 spectateurs Chiffre 2015
  • Elle dure 24h soit l’équivalent de 17 grands prix de F1
  • 1 circuit de 13kms avec une ligne droite de près de 5kms
  • 330 kms/h (vitesse enregistrée sur la droite des hunaudières)
  • Les véhiculent sont à fond 85% du temps.
  • 258 000 visiteurs pour son édition 2017 (publics très fidèles)
  • 5000 Kms de jour comme de nuit (certaines portions de la course ne sont pas du tout éclairées)
  • 3 pilotes qui se relaient environ toutes les 3 heures
  • 22 pilotes y ont perdu la vie depuis sa création (chiffre 2017)

La course et ses caractéristiques

  • Course la plus prestigieuse au monde
  •  Banc d’essai incomparable
  • Offre un spectacle unique chaque année
  • Scénario dramatique
  • Les plus grands constructeurs mondiaux sont présents

« Des animations et des concerts plébiscités par le public – un accueil du public toujours plus soigné et des conditions d’accès au circuit facilitées grâce aux parkings gratuits. » Source

La course et les pilotes féminins

Michèle Mouton a marqué l’opinion au volant de son Audi Quattro en remportant quatre rallyes de championnat du monde au total (Sanremo 1981, Portugal 1982, Acropole 1982, Brésil 1982) et deux fois la course de côte de Pikes Peak (dont une fois au classement général). En 1975, elle remporte, dans la catégorie 2 litres, sa 1ère victoire au 24H du Mans.

La course et sa réception chez les acteurs de cinéma

Beaucoup de comédiens ont un rapport singulier, à noter Paul Newman qui a fini deuxième en 1979. Steve McQueen, dont le destin s’est noué autour de ce circuit, s’est ruiné en faisant, en 1970, un film devenu mythique baptisé simplement: Le Mans. Le documentaire, The man & Le Mans, sorti le 11 novembre 2015 de John McKenna et Gabriel Clarke lui rend hommage.

La course en termes d’expérience de spectateur

« L’ambiance magique qui règne sur le circuit, qui grouille encore de spectateurs, en dépit de l’heure tardive. On ne le dira jamais assez : la nuit Sarthoise reste un moment assez unique » Source

« Le hurlement métallique, lancinant et déchirant des moteurs, et les disques de frein qui rougissent la nuit dans les virages, les échappements lâchant des flammes saccadées. Le plaisir mécanique à l’état pur. »

Les 24h du Mans font office de pèlerinage pour les « nostalgiques de l’automobile triomphante, de la vitesse et de la fureur des machines« . Source Eric Leser pour Slate

 

…… »Le paradis sur terre », « il faut imaginer l’ambiance, le bruit! », « je suis devenu accro« , « une institution », « le plus beau circuit du monde », « l’exploration du mythe« , « circuit mythique, « légendaire« …

La course et sa diffusion télévisuelle

Pour son édition 2018,  » Course internationalement reconnue, les 24 Heures du Mans disposent d’une couverture télévisée conséquente en France, avec notamment les chaînes de France TV et d ’Eurosport« . Source

Pour son édition 2016, « Les 24 Heures du Mans font partie de ces évènements sportifs retransmis à travers le monde grâce à une couverture télévisuelle de grande ampleur. Cette année la course sera retransmise dans 190 pays pouvant ainsi potentiellement être suivie par 802 millions de téléspectateurs. « Source

2015,  « La couverture télévisuelle des 24 Heures du Mans avait atteint 100 millions de téléspectateurs uniques et l’épreuve était l’événement sport mécanique le plus regardé en France et dans plusieurs autres pays (chiffres Eurodata 2015 mesurés dans plus de 30 marchés). »Source

  • Par comparaison, C8 avait rassemblé, devant le Grand Prix de Monaco en Formule 1 en 2017,  1 million de téléspectateurs.Source

Michel Vaillant & La course

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Michel Vaillant de Jean Graton – Graton éditeur

« Attention Légende ! Au volant de sa Vaillante, le célèbre pilote automobile a fait frissonner bien des lecteurs qui se demandaient comment il réussirait à déjouer les pièges des écuries concurrentes et les soucis mécaniques tout en franchissant le drapeau à damier en pole position. La réponse dans cette intégrale indispensable. « Source

Cette Série de bandes-dessinées a été créées par Jean Graton en 1957. Le grand défi est le 1er album sorti en 1959. Depuis ses débuts, les aventures de Michel Vaillant passionnent les amateurs de courses automobiles mais aussi les lecteurs moins accrocs aux sports mécaniques, qui se sont attachés à la famille du célèbre pilote. (Source) Aujourd’hui, les 70 titres de la collection Vaillant totalisent plus de 20 millions d’albums vendus dans 16 pays, dont les États-Unis et le Japon » Source

 

Sociologie de la Ville du Mans

La ville du Mans, nettement marquée politiquement à gauche, porte plusieurs surnom dont celui de L’ouvrière. Elle a été l’une des plus grandes plaques tournantes industrielles de l’Ouest de la France durant les XIXe et XXe siècles (« La plaque tournante de l’Ouest »ou « Porte de l’Ouest » pour son réseau autoroutier et son rôle de distributrice ferroviaire).

Le Mans en quartiers

La ville dont la population avoisine les 143000 habitants est divisée en 6 secteurs soit 72 quartiers. Parmi eux, l’Insee a désigné cinq quartiers de la ville comme des ZUS : Les Sablons, Bellevue, les Ronceray, Les Glonnières et l’Épine. Deux autres quartiers sur la commune d’Allonnes sont également considérés comme tels : Chaoué et Perrières.

Le Mans figure à la 57e place parmi les 100 plus grandes villes de France concernant le taux de pauvreté selon la Gazette des communes – 2014 Le taux de pauvreté s’établit à 19% (37000 personnes). Un chiffre comparable avec d’autres grandes villes de l’Ouest, comme Angers Caen ou Tours, moins touchées par la crise que des agglomérations du nord et du sud de la France. Par exemple, le taux de pauvreté peut aller jusqu’à 75 % dans certains quartiers de Marseille, trois fois plus que la moyenne de la ville.

« L’Ouest, de tradition moins inégalitaire et moins marqué par la crise, est moins représenté » indique la Gazette des communes Source

 

—Dans cette approche de la voiture comme pratique culturelle, nous avons questionné son inscription sur un territoire social. Nous avons évoqué le Tuning et les Youngtimers. La course des 24h du Mans en interrogeant son ancrage local à travers la ville du Mans notamment. Celle-ci, en effet, se montre sous un jour moins inégalitaire que d’autres territoires d’habitation. Cependant, la voiture s’incarne aussi socialement que ce soit par les véhicules de prestige mais aussi par des comportements excluants tel que l’entre-soi économique. 

 

2.2 L’auto & la haute bourgeoisie

La voiture c’est une question de vocabulaire, de niveau de langage. Alors que nous venons d’aborder cette pratique culturelle à l’aune du Tuning et de la course, Les 24h du Mans, évoquons, brièvement, les rallyes et « l’auto ».

Automobile Club De France

Les membres de la haute bourgeoisie fréquentent les cercles, tels, à Paris, l’Automobile Club, place de la Concorde, ou le Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg-Saint-Honoré.

  • « Premier Automobile Club au monde fondé en 1895, “l’Auto” incarne une institution pionnière qui s’établit dans le somptueux écrin du 6 et 8 place de la Concorde dès 1896. »Source

« Les rallyes existent depuis le début des années 1950, ils représentent la troisième instance de socialisation après la famille et l’école pour la haute bourgeoisie. Le rallye atteint presque toujours son objectif : faire en sorte que les jeunes ne ruinent pas un avenir brillant, un destin hors du commun, par une mésalliance qui viendrait rompre le fil de la dynastie, noble ou bourgeoise. Il n’y a pas de libre concurrence dans l’économie affective grande bourgeoise. »Source

C’est en relisant la partie de l’article « Sur la piste des nantis, les rallyes » paru au Monde Diplomatique en septembre 2001 des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon -Charlot, qu’il m’est apparu évident de reprendre certaines citations en rapport avec le territoire social qui est le nôtre. Source

Le traitement des espaces publics est aussi révélateur d’inégalités profondes dans les conditions de vie générées par l’intervention des administrations locales. Ainsi, à Paris, le périphérique, et son vacarme incessant, est couvert dans les quartiers de l’Ouest, ceux de la bourgeoisie, alors qu’il est à l’air libre dans de nombreux autres secteurs. La voirie est différente entre les beaux quartiers et les arrondissements pauvres.

« Le patronat, un singulier qui désigne un ensemble d’agents sociaux auxquels on peut supposer une certaine unité de vues, est remplacé par les entreprises, un pluriel d’entités individualisées.  »

 » La mobilité n’est pas la même selon qu’elle est contrainte ou choisie, selon qu’elle est une condition de survie ou qu’elle fait partie d’un mode de vie et d’une identité. »

« Tout en manifestant ce collectivisme pratique, la grande bourgeoisie prône l’idéologie de l’individualisme. »

 

3. La Formule 1

Cette discipline sportive a suscité des grands moments de liesse dans l’histoire du sport et certains grands prix sont gravés dans tous les esprits. La Formule 1 c’est aussi des écuries mais surtout des pilotes dont les renommées sont internationales.

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Ayrton Senna- McLaren Honda – 1989 – Grand Prix de Monaco

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Résultat du Grand Prix de Monaco 89 Source

En 2018, le Grand Prix de Monaco a été remporté par Daniel Ricciardo ( Red Bull – Tag Hauer) en 1h 42’54’807′
En 30 ans, 10 minutes sont gagnées mais est-ce ainsi qu’il faut regarder ce sport ?

 

 

Un bref historique

Considérée comme la reine des catégories du sport automobile, comme un aboutissement pour les pilotes, elle est l’un des évènements sportifs les plus médiatisés, avec la coupe de monde de Football et les Jeux olympiques. La Formule 1 est officiellement crée en 1946, sa réglementation est effective en 1948 et voit s’ouvrir son 1er championnat en 1950. Elle trouve son origine dès les années 20/30 avec les courses automobiles disputées en Europe. Au fil du temps, l’escalade des performances, la puissance croissante des moteurs ne vont pas sans engendrer des problèmes de sécurité. Des changements réglementaires tentent d’endiguer le taux de mortalité des pilotes (35 décès de pilotes en course ou en essai). De l’ innovation à la révolution technologique en passant par le basculement économique, introduit par les pays émergents, la formule 1 ne cesse de changer d’ère.

  • Le cas Mercedes

55 ans après leur accident tragique survenu lors des 24h du Mans de 1955, le constructeur auparavant motoriste, s’engage sous son propre nom, Mercedes Grand Prix, en 2010, pour les championnats du monde. 2014 marque le début d’une période totalement dominée par Mercedes Grand Prix, avec cinq titres des constructeurs, cinq championnats du monde des pilotes (Lewis Hamilton en 2014, 2015, 2017 et 2018, Nico Rosberg en 2016), soixante-quatorze victoires entre 2014 et 2018, trente-neuf doublés, quatre-vingt-quatre pole positions, et un record de dix-neuf victoires et vingt pole positions en une saison en 2016.

Mercedes et le marché français :  Marque leader du premium en France devant Audi et BMW en 2017. Avec 68’007 immatriculations au 31 décembre 2017, au sein d’un marché global qui avoisine les 2’110’000 véhicules neufs, Mercedes reprend son fauteuil de leader et enregistre, par la même occasion, sa meilleure performance dans l’Hexagone. Source

 

 Typologie des circuits

Screenshot_2019-03-28 Grand Prix de Formule 1 — Wikipédia.png

A raison de 35 millions d’euros exigés par la FOM, les pays émergents ont pu bénéficier de l’autorisation d’organiser leurs propres grands prix.

Argent & politique

Stratégie & modifications

FOM ( Formula One Management) – En 2017, à la suite de la prise de contrôle de la Formule 1 par le groupe américain Liberty Media, Chase Carey prend les commandes de la discipline et remplace, à ce poste, Bernie Ecclestone qui a régné, sur elle, durant quatre décennies.

Bernie Ecclestone, homme d’affaires anglais, s’est illustré au travers une stratégie de conquête des pays émergents: sur les 21 épreuves du championnat, il faut en compter 12 organisés hors d’Europe. Celui, qui s’est exprimé, en 2016 sur le fait qu’il refusait de voir des femmes au volant des monoplaces au motif qu’elles ne serait pas crédibles, s’est vu, en 2014, accusé d’ avoir versé 44 millions en pots de vin pour prolonger son règne de 40 ans sur la formule 1….

  • Une volonté d’exclusivité

En 2008, lorsque le coût du plateau – c’est-à-dire la facture garantissant la présence des 22 acteurs de la F1 – a approché les 18 millions d’euros par an, la Fédération française du sport automobile, qui avait pris le relais des organisateurs, a abandonné la partie: c’est donc la suppression du Grand-Prix de France de Magny-Cours*. Celle-ci a été  vivement critiqué par les fans.  *Ce circuit, situé dans la Nièvre en Bourgogne, a accueilli un grand prix de 1991 à 2008. La France a perdu ainsi un circuit qui permettait de créer de la diversité au regard des publics tant en termes de territoire/région mais aussi socialement par opposition à Monaco ou au Castellet. Désormais, la France est exclusivement représentée par la région du sud-Est pour l’organisation de ses grands prix.

Rolex– « La marque signe un accord de partenariat global avec la Formule 1. Elle devient, à partir de 2013, et pour plusieurs années, l’un des principaux partenaires de la Formule 1™ en tant que Chronométreur Officiel et Montre Officielle. »Source. Cette marque de luxe, pionnière du sponsoring sportif, est visuellement très voire trop présente sur les circuits, au point de saturer et de créer, de par sa présence exclusive, une forme de pollution visuelle. En termes d‘image, « Rolex reste la marque non seulement la plus connue du monde, mais aussi la plus prisée sur le marché du vintage. Un succès qu’elle doit en partie à ses collectionneurs dont la passion a tendance à devenir une obsession », soulignait le journal Le Point en 2016. Source

  • Un changement de marque, changement de monde

Rolex représente 4, 3 milliards de C.A estimé en 2014, elle se place 1ère au classement des maisons horlogères suisses en terme de chiffres d’affaire.

Tag Hauer est un partenaire historique de la course automobile avec les 24 h du Mans et la Formule 1 via ses partenariats avec Ferrari puis McLaren (depuis 1985).  Ce dernier a aussi sponsorisé les très grands de la discipline: de Fangio à Alain Prost, en passant par Ayrton Senna, ou plus récemment Kimi Räikkönen, Jenson Button et Lewis Hamilton. Cette marque est également associée à Steve McQueen et à sa « Monaco » au poignet pour son film Le Mans (1971). Cependant, en termes de poids, Tag Hauer pèse cinq fois moins que Rolex.

Steve McQueen Monaco Tag Hauer Le Mans.jpg

  • Les pays émergents et la culture masculine

« La croissance du marché masculin dans le luxe est intrinsèquement liée au développement économique des pays émergents, en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou en Afrique. « Ici, on est bien loin du modèle occidental qui conjugue surtout le luxe au féminin », souligne Joëlle de Montgolfier, directrice senior du pôle Études & Recherche chez Bain & Company sur la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. La Chine fait figure d’exemple et de leader : au niveau national, la part des achats masculins s’élève à 70 % du secteur du luxe. » Source

  • La formule 1 et les femmes

Cette discipline sportive que l’on pensait exclusivement réservée aux hommes en termes de pilotes fait apparaître quelques petites surprises: Lella Lombardi, la dernière en date, a été la seule a avoir participé au plus grand nombre de grand-prix. Elle est la seule femme à avoir terminé un Grand Prix de Formule 1 dans les points, en Espagne lors du championnats du monde 1975. Elle se classera 6ème. Nous pouvons citer également Divina Galica, Désiré Wilson et Giovanna Amati.Source

Les GRID GIRLS

« Employer des grid girls (filles sur la grille) a été un élément de base pour les Grands Prix de formule 1 pendant des décennies », a rappelé le patron américain (de la FOM) Jusqu’à leur remise en cause à la mi-décembre 2017. Pour l’occasion, la BBC effectue un sondage auprès de ses auditeurs. Il en ressort que 60 % sont favorables au maintien des filles sur la grille.

Depuis 2018, ce sont des enfants qui accompagnerons les pilotes (à surveiller pour cette période de grand-prix 2019 qui commence). L’idée étant de contribuer au rajeunissement des publics, d’apporter davantage de divertissement et de défendre des valeurs sociétales différentes, une des conséquences du mouvement #MeToo Source

Bernie Ecclestone (patron de la F1 pendant 4 décennies), 87 ans, s’exprime sur le sujet: » « Les pilotes aiment [les grid girls], le public les aime, et ça ne pose problème à personne. Il faudra m’expliquer en quoi cela gêne de voir une fille, jolie qui plus est, se tenir avec un panneau devant une voiture avant le départ d’un Grand Prix. »Source

Anciens mondes Vs Nouveaux mondes?

La stratégie de FOM consiste en un repositionnement sur le marché mondial de la marque avec d’une part son redéploiement géographique – Le retrait de certains circuits relevants des pays de  « l’ ancien monde« , substitués par ceux  des « nouveaux » –pays dits émergents-  est potentiellement envisageable. En termes d’image, la FOM veut incarner la puissance du luxe et s’assurer des capitaux extérieurs au détriment des publics fidèles, des sportifs et de la vision même du sport. Une forme de pureté perdue est régulièrement soulignée par les anciens sportifs et publics. De plus, l’hyper sophistication des monoplaces apporte une certaine vision du sport automobile qui peine à toucher, à émouvoir. Les monoplaces sont des engins extrêmement complexes, ce qui ravit les experts/marques mais n’est pas source d’intérêt chez les publics.

La décennie 1990 plébiscitée par les publics

Une certaine nostalgie est remarquée lorsque les journalistes sportifs de la chaine « Formula One » (YouTube – 2 millions d’abonnés) demandent aux  internautes, en 2016, de voter pour leur « duel préféré entre pilotes » lors de grands prix ou encore leurs grands prix d’Espagne, de Belgique, d’Autriche préférés: les années retenues (dans l’ordre) sont 1992, 91,  98 et 99.

  • 1994 et la question de l’éthique

 Questionner l’éthique des intérêts financiers dans le sport c’est aussi revenir vers des accidents mortels. Le circuit d’Imola a provoqué le décès, sur le circuit, de l’autrichien Ratzenberger le samedi 30 avril 1994. Une loi italienne interdit l’organisation ou le maintien d’un événement sportif en cas de décès d’un des acteurs. Roland Ratzenberger est pourtant mort sur le coup mais les officiels se seraient arrangés pour que son décès ne soit annoncé qu’à l’hôpital de Bologne. Propos confirmés ensuite par le docteur Ricci, chargé des autopsies de Senna et de Ratzenberger à l’Institut médico-légal de Bologne. Roland Ratzenberger n’est pas mort «d’un arrêt cardiaque», comme l’affirme la Fédération internationale de l’automobile (FIA), mais a été tué sur le coup. Source Le lendemain, dimanche 01 mai, Ayrton Senna se présente dans le paddock, prend le volant de sa Williams et meurt à son tour, juste après l’accident, devant 300 millions de téléspectateurs…Mais là encore l’annonce de son décès ne sera indiquée qu’à la fin de la course.

  • La place de la politique en deux épisodes

Réunies au sein de la Formula One Constructors Association (FOCA), un groupe de pression destiné à défendre les intérêts des principales écuries britanniques entendent peser plus lourdement sur la direction de la discipline en profitant de la passivité de la CSI.

En 1978, avec Jean-Marie Balestre nommé à la tête de la CSI, les choses changent. La CSI devient FISA. Les conflits entre les deux groupes FOCA et FISA se « soldent » avec les différents acteurs concernés en 1981. Ils signent, les « Accords de la Concorde » qui entérinent le partage des pouvoirs entre FISA et FOCA…

  • La géopolitique

la Chine ou la Russie aujourd’hui, ou dans un but d’expansionnisme économique, le Qatar, entretiennent des relations tortueuses avec le sport. Ce dernier est un soft power qui permet d’exister aux yeux du monde et d’attirer des capitaux extérieurs.

Conséquences sur les publics

Alors que, comme nous l’avons cité en amont, le duel Senna/ Prost passionnait à hauteur de 300 millions de téléspectateurs il y a plus de 20 ans, ils sont 400 millions en 2016. Ils étaient 450 millions en 2014 contre 510 millions en 2011. Le désintéressement n’est pas seulement français ou européen mais bien mondial. Ces chiffres interpellent d’autant plus que la population mondiale ne cesse de croître, à raison de 400 millions tous les 5 ans et que le nombre de grands prix est passé de 162 (1990/99) à 177 depuis 2010.

« Le Wall Street Journal révèle, en outre, que deux facteurs, pouvant expliquer cette baisse importante, correspondent à une deuxième partie de saison dominée par Sebastian Vettel (Ferrari depuis 2015) et au changement de diffuseur en Chine et en France. »Source

2013, diffusion sur canal +

« En passant sur Canal+, chaîne payante, les audiences ont chuté en France car les téléspectateurs ne souhaitent pas payer un abonnement uniquement pour regarder les courses de Formule 1. Il est vrai que le dimanche après-midi, les français entre autres, avaient pour habitude de regarder les Grands Prix sur TF1.

L’impact des modes de diffusion a été, en partie, rejeté par certains publics car ces derniers étaient excluants.

  • Lorsqu’on « sonde » des personnes à ce sujet, les 18 – 25 ans se souviennent que « leurs parents regardaient le Grand Prix » mais eux se sont très vite désintéressés du sport automobile. « 

Remarques: L’impression formulée par les publics est qu’il n’y a plus autant de compétition qu’auparavant entre les coureurs, que le podium est occupé par les mêmes constructeurs et ne laisse plus de place aux surprises ni aux outsiders. De plus, cette typologie de course (sa longueur ou son absence de surprise) peut ne pas correspondre à la génération « z » souvent associée à la culture du « zapping ».

L’image véhiculée d’un sport sous influence politique/géopolitique et financière est doublement négative lorsque les stratégies se font au détriment des coureurs. L’interrogation porte sur « l’essence du sport » ? Que reste-t’il de sa dimension humaine et de ses valeurs ?

Stratégie mise en place

  • Renouveler son public, le rajeunir.
  • Séduire un nouveau public via FB avec des monoplaces « plus agressives », « plus performantes ».
  • L’âge des coureurs est à prendre en considération, par exemple Charles Leclerc est le 1er coureur automobile à rentrer chez Ferrari (2019) si jeune, il a 21 ans. Pour les grands prix 2019, ils seront les plus jeunes à concourir (tous ont moins de 25 ans) depuis 1950.

 

Quittons le paddock pour écouter les paroles d’un conseiller d’orientation:

« Vous savez, Antoine n’aime pas trop les activités intellectuelles ; il ne lit quasiment pas, écrit très peu et en plus il a une orthographe épouvantable… Peut-être serait-il plus à son aise, plus heureux, dans une filière professionnelle… » Source

 

3. LA MÉCANIQUE

 

La mécanique (à comprendre par « secteur »), premier employeur de France, est présente dans de nombreux secteurs de pointe comme l’aéronautique, l’énergie, la mécatronique, la robotique… Les recrutements font la part belle aux jeunes techniciens et aux ingénieurs.Source

Mécanique et école

Cette tribune de 2016 d’Alain Bentolila parue au Journal Le Monde nous rappelle le mépris entretenu de la France pour ses métiers, ses filières techniques.

 » Comme si les activités manuelles étaient le juste aboutissement ou la juste sanction de l’échec scolaire. Disons-le fortement, il s’agit là d’une insulte aux savoirs fondamentaux comme à la noblesse du geste. »

 

Pour traduire l’échec scolaire ou le désaveu de l’école, voici comment sont considérées les personnes en fonction de leur parcours scolaire selon Roger Cornu  {( sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)} « si vous n’avez pas le bac, aujourd’hui, vous êtes considéré comme un déchet« . Comment comprendre ce rapport à l’autre alors que ce système injuste produit de l’image négative. Commençons par la question de l’impérieuse nécessité de la main-d’œuvre.

Travailleurs & ouvriers

Dès la première guerre mondiale, la France, doit faire face à une pénurie de main-d’œuvre masculine nationale. Celle-ci s’impose aux autorités françaises comme un des problèmes les plus aigus. Après 1945, c’est principalement à l’Italie de pourvoir la France en travailleurs. Cependant, à la fin des années 1950, l’immigration italienne vers la France se réduit alors que les besoins en main-d’œuvre augmentent en conséquence de la croissance économique et des effets de la guerre d’indépendance algérienne (suspension de la libre circulation entre l’Algérie et la France, mobilisation du contingent). Si l’Espagne devient la principale source de travailleurs immigrés, les autorités françaises commencent à tolérer plus amplement la venue irrégulière d’étrangers.

Nous allons observer certaines caractéristiques migratoires. Nous savons qu’au Petit-Quevilly s’est installée une importante communauté portugaise. L’immigration portugaise ne date que de la fin des années 50. Les Portugais deviennent en quelques années la « communauté » étrangère la plus nombreuse. En dix-sept ans, les Portugais en France passent de 20 000 (1958) à 750 000 (1975). Source

Cette carte fait apparaitre une très forte progression de la part de la population active employée dans l’industrie qui correspond à l’essor industriel mais l’on constate que tous les territoires ne sont pas concernés de la même manière. Nous pouvons remarquer que la Seine-Maritime est dans le « rouge » (plus de 40% de la population active) depuis 1860.

 

  • Travailleur, ouvrier, employé ?

L’ouvrier ne se définit plus comme tel, nous indique Martin Thibaut (sociologue du travail à l’université de Limoges, a entamé son enquête, Ouvriers malgré tout (Raison d’agir éditions, 2013). Ces derniers ont investi d’autres secteurs. Il se tertiarise. Par ailleurs, il observe que la parole est donnée aux ouvriers lorsque les entreprises sont délocalisées car « Ils apparaissent comme un monde vieux, finissant« .

Selon l’Insee, la France compte 6,3 millions d’ouvriers, classés en trois catégories : qualifiés, non qualifiés et agricoles. Un chiffre en net recul par rapport aux années 1970. Alors qu’ils occupaient 40 % des emplois il y a quarante ans, ils n’en occupent plus que 20,5 % aujourd’hui. Source

Au total, un homme français sur trois ayant un emploi est encore un ouvrier. (Le secteur reste masculin à 80%)

« Les ouvriers représentent encore près du quart (21,5 %) de la population active, c’est important. Ce qui a vraiment décliné, c’est leur visibilité  » selon le sociologue du travail, David Gaborieau

 

« On s’intéresse rarement à l’intérieur des usines, comme s’il n’y avait plus que des ouvriers sans emploi » ajoute Roger Cornu { ( sociologue et chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS)}.

Les ouvriers et leur invisibilité médiatique

« A la télévision, seules 3 % des personnes interviewées sont des ouvriers, contre 61 % de cadres, selon le baromètre de la diversité du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) »

Ouvrier – Employé

Les deux « désignations » ont perdu de leur « sens ». Nous aurions pu penser que la question du statut joue entre ouvrier/employé/agent de maîtrise mais, aujourd’hui, la frontière entre le monde des ouvriers et celui des employés n’a jamais été aussi floue. La notion de « classes populaires » traduit cette mixité nouvelle.

  •  75% des employés sont des femmes
  • Les classes populaires sont aussi le résultat d’une hybridation, par exemple, pour exemple, au regard des enfants – le père est ouvrier et la mère est employée.

 

 Géographie des métiers

Selon l’Insee, l’histoire industrielle, le développement des villes et les migrations ont façonné la géographie des métiers. Les ouvriers industriels sont ainsi surreprésentés dans les parties nord et ouest de la France.

 

Mécanique et voiture

La mécanique comme activité technique, comme savoir-faire peut s’appréhender comme une pratique ouvrière. Nous l’avons constaté avec ce rapport « aux mains« , aux travaux manuels pour le tuning mais nous pouvons entendre régulièrement cette banalisation  » du faire « .

 

La question de la réception de la mécanique chez les jeunes

  • La filière de la mécanique

« Alors que l’automobile continue de faire rêver et que certaines filières techniques ou artisanales attirent de nouveau les jeunes, beaucoup d’entreprises en France recherchent activement des professionnels de la mécaniquemais n’en trouvent pas. Un seul et unique constat : le problème ne date pas d’hier ! Il aurait fallu que la branche automobile réagisse plus tôt et lance « un plan ORSEC de communication auprès des jeunes » il y a bien longtemps…Les louables actions mises en place dernièrement ne sont clairement pas suffisantes. »Source

 

Après cette question de la réception et de l’image que nous renvoie la mécanique, nous pouvons, par ailleurs, remarquer que les spécialistes/garagistes ont vu leur métier se complexifier et implicitement leur tarif croître. Sur notre territoire social, nous cumulons les difficultés: notre parc automobile vieillit, nous sommes dépendants de la voiture et supportons difficilement les frais imputés par les réparations. Elles sont parfois très lourdes de conséquence. Observons une pratique qui s’est développée dans les cités puis sur des parkings de résidence, à savoir la mécanique sauvage.

 

3.1 La mécanique sauvage

Lorsque certains parlerons de systèmes D, d’ actions proches de la débrouillardise, du partage qui repose sur des compétences d’autres contesteront, dénonceront bien avant que celle-ci ne soit réglementée…

 

La mécanique sauvage a engendré des abus, a produit des dégâts, elle est, désormais, réglementée. Sachez, néanmoins, qu’elle ne se traduit pas de la même façon et qu’elle n’est pas reçue de la même manière en fonction des territoires où elle s’exécute. Observons, dans un premier temps, la présentation qu’en fait le journal Paris Normandie en 2016, à Évreux:

Évreux, quartier de la Madeleine- « En ces temps de disette économique, toutes les solutions pour mettre quelques sous de côté sont bonnes à prendre. A fortiori lorsqu’il s’agit d’effectuer des réparations sur son véhicule. L’automobile est le troisième poste de dépenses des ménages en France derrière l’alimentation et le logement. Ce n’est donc pas étonnant de rencontrer, au hasard des parkings ou en pleine rue, des habitants qui mettent la main dans le cambouis« .Source

Lorsque nous sommes conscients de notre dépendance quotidienne à la voiture, que nous mesurons la situation subie qui est la nôtre. Il paraît tentant de réduire les dépenses en passant par ces « mécaniciens de l’espace privé/public ». Pour certains territoires, cette pratique s’est ancrée historiquement, en Ile-De-France, comme  un garagiste de Vitry- Sur- Seine le fait remarquer : « la mécanique sauvage en banlieue c’est vieux comme le monde »   Source

Quel territoire social  est concerné ?

D’un point de vue extra local, c’est-à-dire ici, en bas de mon immeuble au Petit-Quevilly, j’assiste, depuis déjà quelques mois, au déroulement d’ « interventions mécaniques » à ciel ouvert avec ce qu’il faut comme odeur, bruit et dégâts sur ce que je définirais comme un parking privé de résidence…Je me suis tout d’abord demandé qui réparait quoi? Un voisin, de mon quartier, en galère avec sa voiture, me suis-je dit. Puis, les véhicules changent de formes, de marques et de couleurs. Hier, jour ensoleillé de mars, c’était au tour d’un camion, dommage pour l’aération de mon appartement…

Un souvenir lointain quant à cette pratique m’est alors revenu à l’esprit. Nous sommes dans le milieu des années 90, dans les hauteurs de Nancy et de son Haut du Lièvre. Je revois, au pied de l’immeuble des comportements qui me semblaient appartenir à un autre monde, telles que ces familles qui allaient chercher leur caravane et qui s’installaient, tout l’été, sur le parking prenant ainsi des vacances in situ. Et puis, cette mécanique, un peu partout au point de ne pas imaginer qu’elle puisse être, un jour, qualifiée de « sauvage ».

  • En 1957, l’architecte Bernard Zehrfuss se met donc à l’ouvrage pour construire les plus grandes barres frontales d’Europe – plus de 400 mètres de longueur. Les travaux, qui s’échelonnent sur treize ans, donnent naissance à un quartier qui compte 3 400 logements et héberge alors 12 500 personnes. En crise dès 1962, ce quartier compte aujourd’hui 6500 habitants .Source

C’est, en effet ce qui me frappe, la distance temporelle entre mon souvenir et aujourd’hui. Il s’est passé presque 20 ans. Pourquoi en parlons-nous de cette manière désormais alors que cette mécanique existe, au point de faire partie intégrante de la vie d’un quartier, depuis « toujours » ou presque ?

Retournons un instant en région parisienne avec les réactions, en 2014, d’une municipalité.

Le Maire d’ ERMONT & La mécanique sauvage

Par un arrêté municipal, la commune d’Ermont dans le Val d’Oise (95), en quatre articles, interdit la mécanique sauvage, le 17 juin 2014. Ermont est une commune de 30 000 habitants au nord ouest de Paris. Le maire, à l’origine de cet arrêté, est Hugues Portelli. Personnalité politique en place depuis 1996, Hugues Portelli, au sein de son territoire social, a pu donner à vivre en 2008, un épisode singulier avec les Restos du cœur. En effet, il a crée une polémique en qualifiant la distribution de repas par Les Restos du cœur « d’assistanat« , il a interdit les maraudes de l’association à Ermont malgré les protestations de la Ligue des Droits de l’Homme (Source).

 

« La distribution de repas, c’est de l’assistanat. Nous préférons accompagner nos habitants les plus démunis en faisant de l’insertion par notre épicerie sociale, notre centre communal d’action social ou encore notre partenariat avec la Croix-Rouge. Grâce à leur travail, nous n’avons pas de SDF sur la ville. »

 

Voici, une capture d’écran de leur arrêté:

Screenshot_2019-03-26 Mécanique sauvage.png

Source

La Maison des communes de la Vendée* cite, dans un document concernant les pouvoirs du maire, ceci: (Source)Screenshot_2019-03-26 POUVOIRS DU MAIRE ET LE STATIONNEMENT - 5_reglementation_du_strationnement_circulation_mise_en_fourri[...].pngScreenshot_2019-03-26 POUVOIRS DU MAIRE ET LE STATIONNEMENT - 5_reglementation_du_strationnement_circulation_mise_en_fourri[...](1)

Remarquons la date du décret, 1964.

*La Maison commune de la Vendée regroupe 6 entités juridiques distinctes qui depuis de nombreuses années travaillent ensemble au service des collectivités des élus et de leurs agents : le Centre de Gestion de la Fonction Publique Territoriale, l’Association des Maires et Présidents de Communautés de Vendée, l’Association Vendéenne des Anciens Maires, e-Collectivités Vendée, GéoVendée et le Fonds Départemental d’Action Sociale.

 

  • Une reterritorialisation d’un espace

Les troubles, que la mécanique sauvage engendre, relèvent de l’environnement et de la tranquillité publique. Ce qui change ce sont aussi les populations, cette pratique tolérée hier se voit aujourd’hui interdite. Est-ce ce changement de populations, ou est-ce la prise en compte de valeurs sociétales et donc environnementales (RSE) qui ont engendré cette règlementation ?

Une façon de reterritorialiser (par l’ autorité) un espace social (public ou privé) s’est exprimée. Paradoxalement, la parole citoyenne, à force de plaintes, a été entendue. Ce changement de mentalité a pu produire, pour certains, une modification de taille dans le sens où le territoire qui était partagé mais « subi » redevient commun et neutre. Pour ceux qui s’étaient « appropriés » cet espace, ils ont été dans l’obligation de se « retirer ».

Longtemps, ce débordement sur l’espace partagé fut « admis » car d’une part, il faisait partie intégrante d’un décor social et d’autre part parce qu’il prenait vie au sein d’un territoire ghettoïsé. Une façon politique de laisser les populations évoluer entre elles sans que la mairie ne se responsabilise ni ne s’occupe de ces espaces de référence souvent éloignés/ex-centrés. Une manière indirecte de signifier que cet espace social ne fait pas partie des politiques publiques de la ville.

Cette pratique, quasiment culturelle au vue de sa temporalité et de son mode d’existence, a subi une assimilation. La mécanique « sauvage « est devenue l’incarnation d’un folklore désormais non désiré. Un comportement politique s’est manifesté en vu d’ intégrer ces « minorités » à un groupe social (la ville dans son ensemble) en demandant à cette pratique de répondre aux « caractères » qu’exige le groupe. La conséquence première fut sa proscription.

Tant que la considération de ces espaces, souvent de relégation, n’était pas effective, ces quartiers étaient appréhendés comme des « non-quartier d’une ville« . Ces espaces insulaires se sont développés au fil de ces habitants et donc de leurs pratiques. Durant cette période, (plusieurs décennies) la « mécanique sauvage » ne dérangeait personne ou presque.

  • Qu’est-ce qui est commun?

Les abus de la mécanique sauvage sont évidement à contester mais pourquoi au lieu de verbaliser, d’interdire, ne pas proposer des espaces communs et citoyens de partages d’expériences dédiés à cette pratique ne sont pas initiés ? A l’instar des garages citoyens, des selfs garages sont souvent impulsés par une association, il existe, d’ailleurs, un annuaire de ces derniers Source

L’intérêt pour une commune

  • Recréer du lien social tout en facilitant la transmission de savoir-faire.
  • Réactiver ces ressources spécifiques (savoirs et compétences)
  • Susciter des vocations
  • Signifier une marque de confiance aux habitants
  • Permettre l’autonomie citoyenne
  • Faire réaliser des économies à tous

Sur le site « Self garage » , 150 garages associatifs sont référencés dont 2 en Seine- Maritime (Franqueville St-Pierre et au Havre) et 4 dans l’Eure pour finir, 2 dans le Calvados, 4 dans la Manche, et un dans l’Orne

En Seine-Maritime, les deux selfs garages référencés reposent sur des initiatives impulsées depuis une commune de 6100 habitants environ et une autre de 170 000 autres. Nous pouvons nous demander pourquoi, sur des territoires sociaux avoisinant les 20 000 habitants en moyenne, ce type de proposition ne voit pas le jour ?

En intégrant, à une politique de ville, tous les citoyens, nous agissons dans une logique de partie prenante, sans hiérarchisation entre les individus, sans stratification sociale supplémentaire.

Le vélo connait ce type de propositions, de plus elles sont très bien accueillies par les habitants et collectivités. Toutefois, cette pratique concerne majoritairement les résidents de centre -ville.


 

3.2 « BIG BANGERS »

 

In Rainbows Chromogenic print 2017 David de Beyter.jpg

Crédits David de Beyter

Une autre pratique s’inscrit également sur un territoire social, rural cette fois-ci. Avec le crash de voiture comme art de vivre, les Big Bangers nous convient à un spectacle sans appel.

2008 – Voitures (destruction) Big Bangers

« Big Bangers « : une pratique dérivée de l’auto-cross, sport populaire dans le Nord de la France. Celle-ci consiste à provoquer des chocs violents de véhicules, de «good crash», dont l’unique gain/motivation serait le spectacle de la destruction et la contemplation de son résidu, l’épave, ou selon le terme des amateurs de cette communauté une «auto-sculpture». Source

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Crédits David de Beyter – 207

« La carcasse semble tombée du ciel, à pic, dans ce champ hivernal. A moins qu’elle n’ait poussé là, comme un mirage dans un sillon de boue. » Source

AUTO CROSS

Ce sport, populaire dans le Nord de la France mais aussi en Belgique, est aussi très développé en Angleterre. La finalité de la course est la réduction à néant de l’objet voiture. Il faut regarder les courses sur circuits à Ploegsteert ou à Warneton pour admirer les ruines s’entrechoquer comme de vieux pots de yaourt calcinés. Mais David De Beyter s’intéresse à tout ce qui entoure la course« . Source

Circuit de Warneton

Big Bangers – Processus

« Il n’y a pas d’intention artistique sous-jacente, juste la jouissance du spectacle de la destruction dans le moment de l’accident mais aussi avant et après, quand il n’en reste que des décombres fumants. Exhiber la voiture brûlée participe aux plaisirs annexes. Elle peut correspondre aussi à une phase de test préparatrice, pour savoir comment et à quelle vitesse le véhicule s’enflamme. » Source

DAVID DE BEYTER

Photographe, né à Roubaix en 1985, vit et travaille à Tourcoing.

Big Bangers, les films

  • Le projet raconté par David de Beyter

Le projet Big Bangers cherche à révéler, dans la représentation d’une pratique de la destruction, une réflexion sur l’obsolescence et la dématérialisation. Par son approche anthropologique, il nous confronte à une sorte de culture brutale et chaotique, où la voiture en ruine devient trophée.

En extrayant volontairement de cette pratique toute une série de formes qui s’apparentent à la sculpture, celui-ci met à mal la notion de progrès et nous plonge dans ce qui semble faire l’écho d’une société qui produit ses propres ruines.Source

  • Les échos humains à ces réflexions

A l’instar du « déchet » pour les personnes qui ne possèdent pas le Bac, de la sous -représentations dans les médias (3%) des classes populaires, nous pouvons poursuivre avec d’autres rapports excluants voire méprisants entretenus avec la ruralité.

L’obsolescence – Ruine, souligne le changement d’échelle, au regard des marchés et de sa production, du monde agricole. Les producteurs français sont confrontés à de très graves difficultés économiques. Précarisés, leurs situations sociales tournent, parfois, aux cauchemars.

La surproduction, le gaspillage, les fermes -usines – La ruralité comme culture brutale vis à vis du monde animal.

Engrais/pesticides/pollution de l’air et des sols -Mise en danger des hommes, faune et flore.

Zone blanche – La ruralité ce sont aussi des espaces de référence qui ne possèdent pas de connexion internet. Ces territoires accusent un manque de renouvellement des populations en partie à cause de cela, et engendrent une exclusion du numérique pour les habitants, alors même que ces derniers voient déjà leurs services publics se raréfier.

Le bassin minier, les industries et l’ère post-industriel du nord de la France

Nous pouvons penser à la fin du bassin minier. Dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, marqué économiquement, socialement, « paysagèrement », écologiquement et culturellement par l’exploitation intensive, de la fin du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle, de la houille présente dans son sous-sol.

 

La mutation de l’industrie vers les services n’a cependant pas été totale ; en dépit d’un net phénomène de désindustrialisation et de tertiarisation, la région reste en effet à la fin du XXe siècle l’une des plus industrialisées de France avec un tissu industriel localement dense pour ce qui concerne la métallurgie, automobile, chimie, papeteries (papier-carton), verreries, cimenteries, secteur de l’énergie (nucléaire, gazière principalement) industrie du bois et le secteur agroalimentaire et de la pêche industrielle (conserverie, plats préparés, etc.).

  • L’influence de l’esthétique des films MAD MAX

les visions du monde post-apocalyptiques de cette séries de films ont produit une mythologie qui s’est ancrée dans la culture populaire et dans les arts depuis 1979. La guerre contre le pétrole, la pénurie d’eau pour Fury Road (2015), permettent un exploration dans un monde barbare, sauvage et viscéralement dangereux. Le spectacle oscille entre la représentations des Freaks, le tuning comme pratique ouvertement affiliée et les explosions spectaculaires. Les bruits des moteurs hurlants, les courses poursuites impitoyables ont suscité un intérêt croissant depuis 36 ans.

 

 

Isabelle Pompe, 30 Mars 2019

 

Soeurs, GPN Borealis – AZF Toulouse

Sur ce territoire, nous avons, près de nous, un site qui possède quelques ressemblances, quelques caractéristiques avec un autre, accidenté et mortel autrefois implanté à Toulouse. Je veux parler de cette « grande paroisse », GPN, installée au Grand-Quevilly en Seine-Maritime. Nous aborderons les éléments de ressemblance à travers la production,  l’implantation géographique des deux sites et donc la sociologie de ces territoires. Nous observerons, en écho, la notion d’image en tant que vecteur. L’image comme outil de communication, d’esthétisation, transmetteur, malgré lui, d’ une image ordinaire et d’une « vision parasitée ».

 

gpn grand quevilly

Site Grand-Quevilly

Tout d’abord, faisons connaissance avec ce site. Ci-dessus, une image de ce dernier, de jour, à la dimension vernaculaire. Un jour, de travail pour les salariés, comme les autres. La particularité de cette prise de vue nous indique toutefois une forme de vétusté, une époque quasi révolue où la communication n’était pas encore stratégique, où l’esthétisation, les plans, cadrages, les filtres n’avaient pas encore fait leur apparition, une image d’un autre temps. L’usine, non pas comme patrimoine industriel, mais comme source d’emploi, une maison-mère, nourricière à l’apparence ordinaire. L’image comme disparition du danger, dissolution du risque. La présence humaine au 1er plan, puis de part et d’autres composant ainsi une ligne horizontale, se veut rassurante. Les hommes travaillent, le lieu est humanisé, il est calme et relativisé. Toutefois l’échelle des verticales ne relèguent pas au second plan la dangerosité éventuelle. elle apparaît cependant, moins menaçante, moins « ventriculaire ».

Plus connu sous l’appellation GPN, ce site relève de l’industrie chimique et renvoie à Borealis (entreprise chimique spécialisée dans la fabrication d’engrais, de polyéthylène et de polypropylène) en tant que filiale. Cette usine se dénomme, aujourd’hui, Borealis Grand- Quevilly – Borealis Chimie SAS et s’enorgueillit, sur son site internet, d’être le plus grande site de production de Borealis Chimie, il s’étend sur 100 hectares. Source

Sa production se concentre sur des engrais azotés. Deux sites sont encore exploités en France: Grandpuits (77) et Grand-Quevilly (76). Auparavant un autre site était utilisé, celui d’AZF, définitivement fermé, rasé depuis son explosion le 21 septembre 2001.

 

La catastrophe d’ AZF

Dans la banlieue sud de Toulouse, ce matin du 21 septembre surgit une très forte explosion. Il s’agit d’un stock de près de 300 tonnes de nitrate d’ammonium qui engendrera les conséquences suivantes:

  • 31 morts et quelque 3 000 blessés
  • 27 000 logements endommagés
  • 3 500 entreprises touchées ainsi que de nombreux bâtiments publics, dont 120 établissements scolaires.
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Vue de l’usine AZF à Toulouse, après l’explosion qui a ravagé le site, le 21 septembre 2001. AFP ERIC CABANIS

L’image comme dilatation des possibles, comme élément notoire, insupportable, comme composante ineffaçable de l’histoire de la chimie industrielle en France. L’image comme trace. La présence humaine au 1er plan nous apporte des indications, d’une part en termes d’échelle. D’autre part, la tenue vestimentaire de ces « hommes » est troublante et distille un sentiment contradictoire. Cette image de désolation, de chaos, réaffirme la place de l’homme comme élément à la fois contingent et fortuit mais pour autant déterminant: l’erreur est humaine. L’apparente tranquillité de la démarche apporte du calme. L’image comme fait, comme bruit, comme odeur, couleur. On perçoit le caractère physique de la scène, pourtant, elle renvoie à des images fictionnelles. Une scène structurée, ordonnancée qui fait figure de preuve, élément factuel non substituable mais qui trouve sa force et sa véracité dans la vision d’horreur qu’elle cristallise. L’image devient symbole alors même qu’elle est le fruit d’une vision parasitée. 

 

Screenshot_2019-03-11 Explosion de l'usine AZF de Toulouse — Wikipédia

 

Faisons apparaître des similitudes, tout d’abord en ce qui concerne l’adresse physique des sites. Celle qui nous concerne directement, se situe au 30 rue de l’Industrie au Grand-Quevilly.

Son territoire d’implantation s’apparente, au même titre que celui d’ AZF, a une banlieue, de métropole, populaire voire socialement exposée.

 

 

Au Grand-Quevilly, l’histoire des usines va de pair avec l’histoire social de ce territoire. Ces sites sont implantés depuis près d’un siècle, pour certains, ils concernent des générations d’ouvriers, d’employés et font partie intégrante de l’histoire de la commune. Ils occupent, dans l’esprit des habitants, une place singulière, empathique qui soulève, par ailleurs, le paradoxe de l’attachement. Nous comprenons que ce territoire a d’abord été vécu et qu’il demeure subi parce que n’offrant aucune autre alternative économique.

 

  • Les Hauts- Fourneaux

En 1913, un complexe sidérurgique est créé en bord de Seine à Grand-Quevilly loin des zones d’extraction du minerai et proche des lieux d’importation de matières premières. En 1914, la Société Anonyme des Hauts Fourneaux de Rouen commence la construction d’une usine. Le chantier est interrompu puis reprend en 1916 à la demande du Ministère de la Guerre. En août 1917,le  1er haut fourneau est mis en service. En 1930, la plupart des 870 salariés sont logés dans 8 cités bâties autour de l’usine et des cadres habitent la plupart des belles maisons situées le long de la route nationale à Petit-Couronne. Les directeurs successifs, Marie Emmanuel BRUNEL de BONNEVILLE et Yves O’ DELANT, demeurent au château du Rouvray. L’usine ferme ses portes en 1967. Toutes les propriétés sont mises en vente par la société qui est dissoute en 1976. Source

Les-Hauts-Fourneaux grand quevilly

Carte postale, date inconnue

Cette image interroge, malgré sa très bonne composition graphique, ses lignes, elle fut utilisée et produite comme objet: une carte postale. L’image comme représentation mentale collective. Les « Hauts -Fourneaux » possédaient une effigie qui fut utilisée comme support d’écriture. La photographie, non pas sociale, mais patriarcale qui se pose en instrument de communication. L’usine n’est nullement décriée, elle se veut rassembleuse, une messagère identifiée, reconnue, dont on parle et qui fait parler d’elle. L’image comme vecteur de fierté d’un territoire social.

 

« Les gens vivent au Grand- Quevilly depuis plusieurs générations : ils sont très attachés au quartier, qu’ils ont toujours connu avec l’usine », approuve Laurence Wauters, directrice de l’école maternelle Louis-Pasteur, située à 500 mètres des hautes cheminées qui crachent sans discontinuer de larges panaches de fumée. »  Source

 

Screenshot_2019-03-11 Empalot — Wikipédia

 

Le site d’ AZF se trouve non loin du quartier d’Empalot (située au sud-Est de Toulouse). Il est l’un des quelques quartiers des grands ensembles historiques. Autrefois caractérisé par de longues barres, Empalot est aujourd’hui le symbole de la réalisation d’un Projet Urbain qualitatif co-construit avec ses habitants. (Source)

 

 

Ce site trouve un écho très fort avec celui du Grand-Quevilly, nous invitant à comparer ces usines à deux sœurs aux caractéristiques gémellaires. Certains allant jusqu’à désigner « la « Grande-Paroisse », de son ancien nom – celui qu’utilisent toujours les Rouennais – comme la « grande sœur » de l’ancien site de la ville rose : même groupe, mêmes activités et donc mêmes risques. » (Source)

« On est conscients qu’il peut y avoir un risque, admet l’une des agentes spécialisées de l’école. Mais en période de chômage, d’autres questions se posent : les usines, ce sont des emplois. »Source

 

La Société Chimique de la Grande Paroisse

En 1919, fut créée la Société Chimique de la Grande Paroisse (SCGP) par l’Air Liquide et Saint-Gobain. Le 1er atelier français de production d’ammoniac produit environ 5t/jour. En 1929, cette société s’implante au Grand-Quevilly avec une usine plus importante au regard de sa production: 1000 t/jour.

  • Ammoniac

« Ce gaz, essentiellement émis À 94% par les activités agricoles, est celui qui a connu la réduction la plus faible de tous les polluants surveillés dans le cadre du protocole de Göteborg sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance ». Source

L’ammoniac est un fléau qui contribue à l’eutrophisation et à l’acidification des écosystèmes.

 

L’ammoniac est un polluant de l’air qui contribue aux dépôts d’acides et à l’eutrophisation (il s’agit d’une forme singulière mais naturelle de pollution de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent. Les principaux nutriments à l’origine de ce phénomène sont le phosphore (contenu dans les phosphates) et l’azote (contenu dans l’ammonium, les nitrates, et les nitrites). Source

usine-gpn-de-grand-quevilly site total

Site GPN Grand- Quevilly Source

L’image esthétisée qui se veut neutre : sur fond de verdure et de ciel bleu, quelques cheminées, ça et là, pour que se confondent, naturellement, sans désagrément, fumées et nuages. Le site est ramené à échelle humaine, de par le choix de l’angle de vue, peu de précisions sont, en effet, apportées en terme d’occupation d’espace. Pas de présence humaine, une forme de monochromie parsemée par quelques notes de bleu. Trois couleurs: bleu, vert et sable (crème, blanc, gris clair) se partagent la composition avec pour toile de fond la verdure forestière. Une vision qui offre une absence de danger dont la neutralité vient modifier, « manipuler » tranquillement notre perception.

Sur le net, on peut trouver, entre autres, un  article du site Agriavis datant de 2012 qui fait état du redémarrage de l’unité d’ammoniac du site GPN du Grand-Quevilly:

 

Arrêtons-nous un instant sur ces chiffres. Ils nous indiquent, qu’en termes de capacité de production, nous sommes sur un site très conséquent, le spectre de la « grande sœur » du site d’ AZF refait surface. Au-delà de l’incident en tant que tel, imaginons, au regard des dégâts, de pollution de l’air, de l’eau, des sols, ce que peuvent/pourraient représenter ces chiffres. Nous savons que la production d’aujourd’hui est plus propre que celle des années 60/ 70 toutefois, les dommages causés par un siècle d’exploitation semblent inéluctables.

Combien de générations, d’élèves présents sur les sites scolaires concernés, combien d’employés/ouvriers et de précaires ont été touchés, de manière directe, indirecte, combien de dommages collatéraux ont été engendrés par ces activités. Toutes ces interrogations font partie intégrante de cette recherche, ce pourquoi, des éléments d’informations seront apporter au fil de cette enquête.

 

Enfin, je ne sais pas s’il s’agit d’une commande, à l’instar de Rubis Mécénat et de celle passée à Geert Goiris (je reviendrai ultérieurement sur ce sujet) Source mais je terminerai avec cette représentation de GPN Borealis proposée par Hervé Sentucq pour Panoram’art (Source)

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C’est alors que j’ai repensé à la définition du mot vecteur : « Tout être vivant capable de transmettre de façon active (en étant lui-même infecté) ou passive, un agent infectieux (bactérie, virus, parasite). La scène se veut être une « séquence en extérieur nuit », un  panorama cinématographique aux couleurs chatoyantes, incandescentes, pause longue et filtres: la fumée s’opacifie, tout paraît figé : et la lumière fut!

Ce type de proposition esthétique m’a toujours gênée car, ici et là, semble être prônée l’affiche d’un lieu divertissant voire exotique. Une forme « calme et volupté » aux effets luxueux qui élève à un rang supérieur un lieu à manier avec la plus grande des précautions, à traiter avec la plus grande des consciences. Celui qui photographie saisit une séquence, certes, mais ici la version sublimée de l’histoire est une vision choisie, assumée et peut cautionner la sous-estimation d’une activité à hauts risques. 

 

Bien à vous,

Isabelle Pompe, Mars 2019.

 

Petit-Quevilly, un territoire social

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Rue Jacquard, Petit-Quevilly, 1914

Le « territoire » est à comprendre au sens de « commune ». Par  territoire social, j’entends, réaliser une exploration de la population de cette commune pour préciser ses spécificités et ses ressources. Une population se définit par l’ensemble de ses habitants mais nous aborderons aussi les employés des sites industriels dont le siège social est/était lié à cette commune. Chaque espace de référence a son propre territoire social : du fait qu’il soit interdépendant d’un passé économique et aussi parce que les modifications, que ce territoire a subi, lui sont propres.

Pour exemple, Le Petit- Quevilly était à l’origine une commune rurale qui, de par, son sol (plutôt sableux), cultivait un certain type de céréales (seigle). Son centre historique s’est construit autour de l’église. Ses terres, plutôt maigres, semblent nous indiquer que la population avaient de faibles ressources.

Érigée en paroisse autonome au début du XVe siècle, Petit-Quevilly et ses quelques centaines d’habitants décident de construire une église aux proportions plus importantes que la modeste chapelle, succursale de l’église Saint-Pierre de Grand-Quevilly, servant jusqu’ici au culte. Source

La mare possède un rôle très important pour la commune. Elle fait partie intégrante du  village.

La proximité de la Seine, pour le Petit-Quevilly, aura un impact décisif sur son devenir économique, social et sur le type d’entreprises qui viendront s’y installer.

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Eglise St Pierre et la mare du Petit- Quevilly, date approximative (timbre semeuse orange 1907/ 1922)

Les interventions de la préfecture de la Seine-Inférieure

Le préfet de la Seine-Inférieure (chef lieu: Rouen) va avoir un rôle déterminant pour la commune. Deux de ses interventions vont sceller l’avenir de ce territoire. D’une part, il autorise, en 1808, l’implantation de l’usine Malétra, privilégiant ainsi une terre éloignée de Rouen et de ses habitants. La production de cette usine est perçue comme dangereuse. La chimie s’installe sur ces espaces peu peuplés et pauvres. La venue de Malétra fut, peut-être, associée à un essor pour la commune grâce aux emplois et à une promesse de modernisation. La question de la réception, de cette usine, par la population, fait partie des pistes à explorer.

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Quartier Nobel (actuel quartier de la Piscine) en 1977 – Archives municipales Source

D’autre part, les limites des terres du Petit-Quevilly demeurent floues relativement longtemps, puis, en 1811, l’étendue en surface de la commune, est clairement définie par le préfet de la Seine Inférieur. Désormais, il faudra compter 652 hectares. La commune du Petit- Quevilly est, alors composée de 1000 habitants.

Transformations et ruptures

L’essor de Rouen, via son port, St Sever (Rouen, rive gauche), et le chemin de fer vont favoriser le développement soutenu de l’industrie sur ce territoire. La chimie, sera en 1ère ligne, ce, tout au long du XIX ème siècle. La commune change d’allure et de visage.C’est par l’avenue de Caen, par cette ligne droite, que tout commence pour l’industrie locale. Comme un prolongement naturel vers Rouen, elle accueille, par exemple, le gigantesque bâtiment de la Foudre, dès 1845-47. Cette construction phare est novatrice. Édifice aux dimensions impressionnantes (147 m de long et 16 m de large), La Foudre, a, en outre, connu de multiples vies. A partie de 1859, les transformations se succèdent. Elle relève, aujourd’hui, du patrimoine industriel et a été reconvertie.Reconversion du patrimoine industriel région Normandie

 La filature de lin « la Foudre » demeure, à son ouverture, la plus grande usine du genre en France.

La population de la commune

Screenshot_2019-03-01 Modèle Données Le Petit-Quevilly évolution population — Wikipédia

Source Insee

Et le village devient, petit à petit, une ville…

En un siècle (1793/ 1891) sa population est multipliée par 13. Dès le milieu du XIX ème siècle, elle progresse au rythme de l’essor industriel. En quarante ans, elle est triplée, passant d’environ 3000 habitants (1851) à plus de 10000 (1891).

La notion d’unité urbaine, se définie, selon l’Insee, par le nombre d’habitants (au moins 2000) et sur la continuité du bâti (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions).

Ici, nous parlerons de ville isolée.Source Insee

L’installation de ces sites monumentaux engendre un accroissement significatif de la population. Au sein de ces installations, de ces venues d’habitants, existe-il un renouvellement de la population, au sens générationnel du terme? Nous savons, par ailleurs, que le directeur de l’usine Malétra construit de nombreuses habitations pour son personnel autour de l’usine. Ces habitants, en majeure partie, des salariés de ces entreprises, composent ce territoire social avec ses ouvriers, ses professions intermédiaires et ses cadres. Subsiste-t’il encore une forme de ruralité? Y a-t-il  eu une reconversion de cette dernière?

En plus de l’organisation de ces usines, avec leur structure hiérarchique pyramidale, ce sont les types d’établissements, définis par leurs activités (sa nature et son activité de production, de transformation…), qui auront un impact décisif sur les caractéristiques de ce territoire.

Petit-Quevilly va accueillir au fil du XIX et début du XX de l’artisanat (verrerie, tissu) et des usines (filature – « Foudre », pétrochimie – « Malétra », pyrotechnie – Davey Bickford, « Éclair Prestil » *…)

*La fermeture à glissière fut exploitée à partir de 1924 par Davey Bickford Smith* ( exploitant du brevet de la fermeture anglaise  » Ligthing faster » – fermeture éclair) , propriétaire d’une usine au Petit-Quevilly où étaient fabriqués des cordeaux Bickford (mèche pour la dynamite inventée par William Bickford).

*Davey Bickford est associé à la pyrotechnie (détonateurs et matériels explosifs, systèmes de tirs, services), principalement pour les industries des mines, des carrières et des travaux publics, en ce qui nous concerne: le percement de la ligne de chemin de fer « Rouen-Orléans ».

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Site « Éclair Prestil » – 2008 – Crédits photo Thomas Boivin Friche Éclair Prestil

La chimie est désormais omniprésente au sein de l’activité économique du Petit-Quevilly. Pour exemple, la filature de coton utilise des traitements, des solvants chimiques pour le nettoyage des textiles.

  • Selon ses propriétés, un solvant peut être utilisé comme dégraissant, adjuvant, diluant, décapant ou encore purifiant.
  • Tous les solvants comportent un risque pour la santé (voie respiratoire, cutanée et digestive)
  •  Son utilisation peut également entrainer des explosions, des incendies. Source

Un paradoxe s’installe avec ces activités industrielles

Nous pouvons apprécier que, malgré l’activité industrielle de pointe par rapport aux bâtiments (La Foudre à l’épreuve du feu), aux activés de production et de transformation elles-mêmes (Bickford et ses brevets), c’est la dangerosité de ces industries qui précisera la typologie des habitants de la commune. En effet, ces usines requièrent une main- d’œuvre peu qualifiée, maintenue dans une urgence économique par conséquent peu regardeuse des risques qu’elle encourt. Les employés de ces entreprises, les résidents du Petit-Quevilly seront caractérisés voire hiérarchisés en comparaison avec d’autres territoires telle que la commune frontalière de Sotteville- lès- Rouen, qui, grâce aux chemins de fer, accueillera l’élite ouvrière.

Aujourd’hui, ce type de barrière sociologique et symbolique est encore perceptible. Son expressivité la plus flagrante demeure la gestion de la « frontière » de la Seine à Rouen où une fragmentation sociale est encore à l’œuvre. Est-elle subie, choisie voire maintenue?

Fragmentation urbaine

Elle peut se définir brièvement comme « une coupure [partielle ou absolue] entre des parties de la ville, sur les plans social, économique et politique. » (Gervais-Lambony, 2001, cité dans Dupont et Houssay-Holzschuch).

Cette notion trouve un écho singulier au Petit-Quevilly. Des « coupures » ont fait leur apparition en fonction des bouleversements urbanistiques, industriels…La percée de l’avenue Jean Jaurès, en 1797, crée une 1ère scission, qui, s’apparente à un effet d’éloignement. L’avenue et sa future activité industrielle et économique ne se trouve pas à côté de l’église et de la mare qui correspondent à la centralité première de la commune. Le site de l’Usine Malétra (aujourd’hui quartier de la piscine) prend place en 1808 entre l’avenue et le quartier historique. La ligne SNCF vient s’ajouter et créer une double rupture entre ces deux espaces. Les Chartreux, à l’opposé de la commune, vont venir fermer les portes du Petit-Quevilly et parfaire ce territoire social.

La ville perd son centre petit à petit et se définie par ces bandes successives qui vont participer à la création d’espaces de repli et à la disparition d’espaces de rencontre.

Dans une ville fragmentée, les différentes parties coexistent sur le mode du repli sur soi.

La carte de ce territoire impose, aux populations, des séparations.

Les gens ne se mélangent pas voire plus. Les volontés politiques vont différer sur ces points au fil du XX ème siècle, souhaitant recréer un centre-ville à cette commune puis abandonnent le projet.

Une des conséquences de l’accroissement de la population et surtout du déplacement de cette notion de « centralité » est la construction d’un nouveau lieu de culte. Ce projet connaitra des phases successives entre 1894 puis 1913-1916. L’architecture de cette église, située au 125 rue Jacquard, interpelle trouvant un écho singulier à la spécificité industrielle de la commune.

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Eglise Saint Antoine de Padoue, IPL, 2017

Aujourd’hui, l’avenue Jean- Jaurès/ Avenue de Caen, par le tramway (baptisé métro) a recrée un effet de scission qui vient s’ajouter aux sédimentations territoriales de cet espace de référence. Cette ligne devenue une colonne vertébrale pour la commune s’est alors transformée en un autre espace de confrontation. Balisant et excluant, ce moyen de transport a engendré la fermeture de beaucoup de commerces. Son impact sur à prendre en considération.

Il peut se situer sur le plan des représentations collectives : dans l’abandon d’une vision commune de la ville comme espace d’intégration, de rencontre, et de convivialité (Navez-Bouchanine, 2001)Source

Nous pouvons ajouter que l’une des conséquences de la percée de l’avenue Jean Jaurès fut symbolique. Avec la proximité de Rouen, par cet axe, le lien naturel entre les deux communes se veut renforcé. Lien qui s’est aménagé et qui a permis à la commune du Petit-Quevilly de gagner en visibilité mais qui s’est fait également à son détriment. Le « centre » a perdu sa notion de centralité et est devenue « centre d’intérêt » car porteur de vie économique.

Ainsi des quartiers, définis par leurs segmentations sociales sont favorisés en considération du type d’habitat. Les cadres résident en appartement (exemple Rue Joseph Lebas) et les ouvriers, en maison. Ces types d’habitats se sectorisent et ne se développent pas en faveur d’une mixité sociale.

  • Loi Loucheur du 13 juillet 1928 – Votée à l’initiative de Louis Loucheur, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale entre 1926 et 1930, cette loi a prévu l’intervention financière de l’État pour favoriser l’habitation populaire.

 

Dans le cadre de prochains articles, je reviendrai, en détail, sur les usines comme composantes indissociables de l’histoire de la commune via des portraits. Et je tenterai de faire le point sur la notion de déterminant social.

 

Isabelle Pompe, mars 2019.

 

 

Pour commencer, A1 s1

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Les anciens abattoirs, Petit-Quevilly, IPL

Acte 1, scène 1

Résidente du Petit-Quevilly depuis 2015 et rouennaise de la rive gauche en 2014, j’ai appréhendé, instinctivement, ces deux espaces de manière photographique. J’ai agi ainsi, tout d’abord, pour faire la connaissance des ces territoires distincts puis je me suis tournée vers une action sociologique afin d’être plus près d’une histoire communale et plus proche de ses habitants.

Après avoir abordé, en 2015, les rues de la métropole rouennaise comme patrimoine mémoriel, le management éthique des organisations (Normes ISO 26000- Responsabilité sociétale), en 2017, les publics des structures culturelles métropolitaines notamment dans leur rapport au territoire extra local et en 2018, les artistes locaux appréhendés comme ressources spécifiques du territoire rouennais, activés ou non par ce même territoire…Je reste, aujourd’hui, encore curieuse des problématiques sociales, environnementales et culturelles de mon lieu d’habitation.

Depuis plus de trois ans, cette commune singulière de la rive gauche m’offre, au quotidien, de nombreux postes d’observation et de multiples sujets d’études: deux enquêtes photographiques sur la question du taudis et sur la disparition du piéton (au profit du tout véhicule) sont actuellement en cours.

C’est le mercaptan qui m’a fait connaître ce territoire, en 2013, alors que je résidais à Paris. Lorsque j’ai emménagé à Rouen l’année suivante, je n’y pensais plus puis cela a refait surface progressivement… Au point que j’ai voulu nommer ma 1ère exposition photographique personnelle en 2016 à l’atelier photographique du Point Limite (Rouen) : Rubis Terminal. Après plusieurs échanges à ce propos et un vote, j’ai mesuré combien le sujet pouvait poser problème, j’ai alors opté pour Interzone comme un territoire intermédiaire mais aussi en référence implicite aux cartes postales familiales « interzones » utilisées durant la seconde guerre mondiale…

En 2019, après des mois de tergiversations et d’hésitations quant au fait de quitter ou non ma commune, un sujet d’étude passionnant et complexe s’est présenté à moi : La question du territoire « subi ».

Cet espace est l’occasion, pour moi, de vous apporter le fruit de mes recherches, remarques et interrogations en lien avec un territoire social (ouvrier, précaire, socialement exposé) et les risques technologiques de l’environnement dans lequel il s’inscrit.

 

Bien à vous,

 

Isabelle Pompe, février 2019.